Le point sur la question des Monnaies digitale souveraines
mise à jour du 7 mai 2022
Préoccupation récente, les monnaies digitales « banque centrale » en sont pour la plupart au stade du projet. Seules les Bahamas ont lancé leur CBDC (central bank digital currency), le Sand-dollar. Les projets proches d’aboutir sont, à ce jour, très peu nombreux.
Les annonces faites par la Chine au sujet du lancement du yuan digital montrent que créer une monnaie est une entreprise complexe et que si les mécanismes monétaires en place durent depuis si longtemps, ce n’est pas par faiblesse de l’esprit humain, mais au contraire par force.
Quels besoins, quels utilisateurs?
Au-delà des discussions sur les technologies qui devraient être mobilisées, la création d’une monnaie digitale souveraine soulève plusieurs questions : qui en a besoin, quels seront les utilisateurs, où pourront-ils l’utiliser, sous quelles contraintes ? Et tout d’abord, pourquoi des monnaies digitales souveraines ?
Le déclin de l’usage de la monnaie fiduciaire (les billets) et, en substitution, l’explosion des paiements en ligne ont joué un rôle décisif. En Suède, par exemple, ce sont les utilisateurs eux-mêmes qui, plébiscitant les paiements en ligne, poussent les billets de banque vers la sortie et appellent à la création de l’e-krona (une CBDC).
Donc, pourrait-on dire la pièce est jouée ! Pourtant, les gouvernements ne se précipitent pas pour instaurer des monnaies « CBDC » ni a fortiori des monnaies digitales privées car les risques sont nombreux. On évoquera des risques de solvabilité, de liquidité mais aussi d’intrusion dans les vies privées, de détournements des données privées. On pourrait y ajouter, que le billet de banque est la dernière des manifestations visibles de la prééminence du souverain dans le domaine monétaire.
Des compétences « utilisateurs » exigeantes
Dans tous les cas, la mise en place d’une monnaie digitale souveraine repose sur un fait humain et culturel : la maitrise croissante par le public, c’est-à-dire les consommateurs et utilisateurs courants, des processus de transmission de l’information dite « en ligne ».
Un rapport sur l’implantation du Sand-dollar indiquait que celle-ci serait facilitée par le niveau élevé de connaissance et de maîtrise des actions et communications en ligne. Même observation pour la Chine au point qu’un commentateur relevait que, si monnaie digitale souveraine il y avait, les agents économiques n’en serait pas autrement perturbés !
Le seul sujet de préoccupation des autorités monétaires locales réside dans la frange de population la plus fragile ou la plus âgée. Des mesures d’accompagnement spécifiques ont été prévues dans le cas du Sand-dollar comme dans le cas de la Chine où le billet de banque demeure fortement implanté parmi des populations moins bien formées ou à la fois très âgées et éloignées.
Le souverain est responsable et comptable de la monnaie
La création d’une monnaie digitale souveraine répond par conséquent à une idée parfaitement politique avant même d’être une option technologique.
Et parmi, ces raisons parfaitement politiques, comptons la lutte contre le travail dissimulé, l’économie souterraine et les circuits de paiements du terrorisme et du grand banditisme qui tendent à les dériver ainsi que la gestion des actifs hors du territoire national.
Ceci explique que le législateur chinois ait affiché dans le projet de loi du 23 octobre 2020 sa volonté d’écarter tout concurrent : le projet de loi interdit à tout individu ou entité de créer ou d’émettre un billet symbolique ou un jeton numérique qui pourrait remplacer la circulation du yuan numérique sur le marché.
C’est pourquoi aussi, l’Eurosystème recherche des solutions techniques destinées à garantir des formes de paiements “offline” et à offrir des solutions qui apporteraient des qualités « monnaie fiduciaire » pour protéger l’anonymat et fournir un usage commode aux groupes vulnérables. (Rapport sur un « digital Euro » de la BCE-octobre 2020).
Créer une monnaie, suppose-elle l’émergence d’une confiance nouvelle ?
La création d’une nouvelle monnaie ou toutes modifications de monnaies préexistantes reposent sur des fondements « non technologiques » : croyance et confiance.
« Notre rôle est d'assurer la confiance dans la monnaie, a déclaré la Présidente de la BCE, dans un rapport publié en octobre sur le sujet. Cela signifie être certain que l'euro sera adapté à l'ère du numérique. » (Christine Lagarde. In rapport sur un Euro-digital. Oct 2020.)
Partant des utilisateurs, nous revenons aux utilisateurs, qui… n’utiliseront la nouvelle monnaie que si elle suscite leur confiance.
La monnaie est le meilleur moyen de transporter de la valeur. Encore faut-il qu’on le croie et surtout qu’on l’accepte. C’est pourquoi, on doit associer ces deux termes de croyance et d’acceptation qui valent plus que toutes les technologies les plus sophistiquées.
Les pays qui pensent à une monnaie digitale souveraine ne sont pas dupes des miracles technologiques. Tant dans les rapports relatifs à la création d’un e-euro que dans les commentaires sur la création d’un yuan digital, il est prévu que ces nouvelles monnaies seront « simultanées » avec les monnaies fiduciaires en usage. Dans le même esprit, le change entre monnaie digitale et monnaie fiduciaire, ne peut qu’être fixe. Dans le cas des Bahamas comme dans le cas de la Chine, le change est de 1 pour 1.
La mise en place de ces nouvelles monnaies implique aussi la présence aux côtés du souverain d’institutions publiques ou privées prêtes à intervenir sur les marchés pour les fournir en liquidité…numérique. La présence et « la puissance de feu » de ces institutions expriment ce qu’on nomme la « profondeur » du marché.
Depuis que la monnaie existe, elle est un engagement pris par le souverain à l’égard de la société dont il émane.
La mise en place d’une monnaie digitale souveraine est donc par principe un choix formulé par le souverain et une attente de son action par les acteurs économiques.
Jeudi 11 février 2021
Les conditions de réussite de l’implantation d’une monnaie digitale « banque centrale »
Intervention de M. Pascal Ordonneau dans le cadre des enquêtes de la BCEAO sur les monnaies digitales banque centrale
Une monnaie digitale doit créer de la confiance et obtenir l’acceptation des utilisateurs.
Toute monnaie repose sur un double socle : la confiance et la croyance. Ces deux principes n’ont rien ni d’informatique ni d’algorithmique. Ils s’imposent à toute volonté de transformer la monnaie et ses usages.
Avertissement
Notre exposé sera orienté sur l’action. Les références à de théories économiques ou monétaires seront les moins fréquentes possibles.
Avant toute chose, des définitions, une des plus claires : dans cryptoast.fr
Qu’est-ce qu’une crypto monnaie : c’est un actif qui s'échange de pair-à-pair (P2P) sans tiers de confiance comme les banques. Elles n'ont pas de support physique comme des pièces ou des billets, ne sont pas régulées par un organe central et ne sont pas indexées sur le dollar ou l'or par exemple. Ces nouvelles monnaies électroniques utilisent la technologie blockchain pour transférer la propriété des cryptos entre leurs différents propriétaires. Ces cryptomonnaies ne sont donc que des suites de chiffres dont la propriété est transférée d'une personne à une autre.
Qu’est-ce qu’une monnaie digitale banque centrale, ou souveraine ? On peut retenir la même définition, si ce n’est (la différence est radicale !) qu’elles sont régulées et émises par un organe central, banque centrale ou autre dépendant du souverain. Ce dernier définit l’acceptabilité (cours légal ou cours forcé) de cette monnaie. Il en définit le cours contre toutes monnaies y compris la monnaie fiduciaire en vigueur. La blockchain qui est indispensable pour les monnaies cryptées « privées », ne l’est pas nécessairement pour les CBDC (central bank digital currency).
Introduction
Les monnaies digitales « banque centrale » sont une préoccupation récente. Les réalisations, ou les projets proches d’aboutir sont très peu nombreux.
Les banques de l’Eurosystème voient les monnaies digitales banque centrale comme une réponse au déclin de l’utilisation du cash. Pour ces banques comme pour la Banque Centrale Européenne, cette réponse ne doit pas conduire à la création d’une monnaie de substitution, mais, à la mise en place d’une « monnaie-sœur » dont l’objet serait de satisfaire les besoins en moyens de paiement adaptés des utilisateurs du commerce en ligne principalement. Rapport de la BCE. oct 2020.
Il ne faut donc pas s’étonner que, dans ce cas « européen », quand les banques centrales précisent leur vision de cette « monnaie digitale souveraine » et en décrivent les contraintes et les fonctions, on croirait lire une description de ce qu’est un billet de banque, de la façon de l’utiliser et de ses mérites ! Ainsi, une monnaie digitale souveraine doit être d’une utilisation peu coûteuse, sécurisée, évitant toute prise de risque pour ses utilisateurs, facile à utiliser même pour les personnes handicapées ou invalides et assurant avec la plus grande célérité la compensation des dettes et des créances nées à l’occasion des opérations commerciales.
Mais avant que de débattre des CBDC (central bank digital currency) ou (MDBC) monnaie digitale de banque centrale) ou aussi « monnaie digitale souveraine », on fera un bref retour en arrière.
1) Tous les commentateurs le constatent : avant que le projet de la « libra », la monnaie cryptée conçue par Facebook fût lancée, les recherches sur les monnaies cryptées ou digitales souveraines n’étaient pas très actives.
Le lancement de la « libra » et, quasiment dans la foulée, les annonces faites par la Chine au sujet du lancement du yuan digital ont complètement renversé la situation.
Il y a trois ans, la « banque centrale des banques centrales », La Banque des Règlements Internationaux, (BRI) avait lancé une enquête pour mesurer l'avancée des travaux des banques centrales dans le domaine des monnaies digitales « souveraines ». Ses conclusions : Fin 2020, quelque 86% des banques centrales avaient lancé des travaux pour évaluer les avantages et inconvénients d'une monnaie numérique de banque centrale (CBDC), c'est à dire d'une version digitale de leur propre devise, contre 80% fin 2019 et 70% fin 2018.
A l’heure actuelle les projets les plus aboutis sont ceux du géant et du nain démographiques que sont la Chine (1400 millions habitants) et les Bahamas (300 000 habitants).
On reviendra plus loin sur le caractère exemplaire ou non de leurs initiatives, indiquons en exergue que l’un et l’autre sont confrontés à des défis géographiques hors du commun et font face au déclin du billet de banque, monnaie souveraine, par excellence dans les transactions commerciales courantes.
Il est significatif que la plupart des pays qui ont des projets de CBDC très avancés sont justement confrontés à ces deux contraintes. Les autres, l’Union Européenne par exemple, qui ont à peine lancé quelques projets, disposent depuis longtemps de systèmes de paiement et de compensation très performants et efficaces. La Banque centrale européenne n’hésite pas à user de l’aiguillon vis-à-vis des banques de son ressort, plaçant des dates-buttoirs rigoureuses, imposant des délais radicalement courts pour la compensation des créances et des dettes afin qu’ils améliorent des systèmes qu’on qualifiera ici de « classiques ».
2) La monnaie vient du fond des âges et n’est pas sujette à « révolutions »
Les débats dont on vient de montrer qu’ils sont récents conduisent-ils à ce que quelques commentateurs en panne de sensationnel, aimerait qualifier de « révolutionnaire ». Ce serait aller bien vite en affaire. Il parait déraisonnable de prétendre que la « révolution digitale » conduit nécessairement à une « révolution monétaire » ou bien, il faudrait poser qu’il faut s’attendre à une révolution monétaire tous les trois mille ans !
On rappellera que nous continuons à penser la monnaie en suivant la trilogie d’Aristote, conçue il y a près de 3000 ans, et pour qui la monnaie était à la fois, l’unité de compte de la valeur, son moyen de transmission et un moyen de conservation.
Un autre exemple de l’ancienneté de la pensée monétaire se retrouve dans l’emblématique billet de banque, instrument essentiel des systèmes économiques modernes. Les économistes occidentaux l’ont vu naître il n’y a pas 600 ans en Suède. Les historiens de la monnaie l’attribuent à la Chine qui l’aurait « inventé » il y a près de 1000 ans, et qui, par la même occasion, auraient inventé le cours légal, (il est accepté légitimement comme un moyen d’apurer les dettes et les créances) puis, un peu plus tard, le cours forcé (on ne peut pas refuser d’être payé au moyen de billets sous peine de sanctions plus ou moins lourde au nom de l’empereur.
Ceci est dit, non pas au nom d’une sorte d’immanence de la monnaie, mais au nom de l’extrême sensibilité sociale de cette dernière. Les mécanismes monétaires durent depuis si longtemps, non par faiblesse de l’esprit humain, mais au contraire par force. Ils ne reposent pas sur des postulats scientifiques ou mathématiques, ils sont le pur produit de comportements sociaux et reposent sur la confiance et la croyance, des groupes sociaux qui les mettent en œuvre.
Ainsi donc, l’exposé qu’on vous présentera aujourd’hui ne renverra jamais à des théories économiques, toutes nobélisées qu’elles aient pu être, ni à des subtilités cryptiques ou algorithmiques.
(Celui qui conduit une voiture se moque des lois de Carnot sur la thermodynamique. En revanche, il s’inquiétera de la façon de tracer une route et de la stabiliser) ! Entre brillant et robuste, on verra qu’il faut choisir.
Les références aux évènements et aux comportements reposant sur ces deux principes seront donc fréquentes.
L’Eurosystème dans son rapport sur le lancement d’un e-euro rappelait le danger d’une perte de réputation si sa mise en place était reportée, si la technologie était fragile, instable et peu résistante aux cyber-attaques etc…
Deuxième partie
La monnaie, responsabilité du souverain
On a souligné la demande des utilisateurs et on n’a pas conclu que la satisfaction de cette demande passe nécessairement par la création et la mise en place de « monnaies digitales souveraines ». On pourrait imaginer que plutôt que de se lancer dans une entreprise de ce type, les autorités d’un pays laissent faire les opérateurs « en ligne » et leur laissent la responsabilité des moyens de paiement liés à des transactions en ligne.
Or, c’est justement ce que les initiateurs des monnaies souveraines digitales ne veulent pas et c’est pour contrer ces ambitions que les projets se multiplient.
La création d’une monnaie digitale souveraine répond par conséquent à une idée parfaitement politique avant même d’être une option technologique.
a. Public ou privé ?
Il y a deux façons pour un pays de renoncer à sa souveraineté monétaire : l’un est de laisser les opérations monétaires (paiements courants et autres mouvements de fonds) entre les mains d’entreprises privées, l’autre est de laisser les utilisateurs compenser leurs dettes et leurs créances au moyen d’unités monétaires étrangères.
On ne s’étendra pas sur le second : la dollarisation de certaines économies en est l’exemple typique : la monnaie nationale n’y existe tout simplement pas. Le dollar, dans ce cas-là, est devenu la monnaie en usage dans les transactions courantes du pays comme elle l’est dans chacun des Etats des Etats-Unis !
États et aires utilisatrices du dollar américain comme monnaie officielle :
États-Unis (Pays émetteur),Équateur depuis 2000, États fédérés de Micronésie, Îles Vierges britanniques, Îles Marshall, Îles Turques-et-Caïques, Palaos, Panama, Pays-Bas caribéens, Salvador depuis 2001, Timor oriental depuis 2000. (source wikipédia)
Notons qu’ici on n’évoque pas les pays qui ont liés leurs monnaies à d’autres monnaies, le dollar par exemple, ou l’euro ou la livre sterling comme autrefois les monnaies liées à l’or.
En revanche, beaucoup plus insidieux et certainement de plus en plus présent, se trouve l’usage de paiements incités par les grandes enseignes de commerce en ligne.
Pour échapper à ce type de risque dans le contexte de la mise en place du yuan digital, le législateur chinois a affiché dans le projet de loi du 23 octobre 2020 sa volonté d’écarter tout concurrent : le projet de loi interdit à tout individu ou entité de créer ou d’émettre un billet symbolique ou un jeton numérique qui pourrait remplacer la circulation du yuan numérique sur le marché. Il y est précisément écrit que pour “quiconque enfreint une telle réglementation, la Banque Populaire de Chine mettra fin à ses activités, bannira tout produit de la fabrication et de la vente de jetons numériques adossés à des yuans, et émettra une amende pouvant atteindre cinq fois le produit concerné”. De lourdes conséquences, donc, pour ceux qui oseraient se mettre en travers des ambitions de la Chine.
Or les récentes avancées d’Amazon dans le domaine du cash montre que l’ambition des plateformes en ligne, vont bien au-delà du simple commerce.
La Banque Centrale chinoise n’essaie pas de réinventer la politique monétaire – pas encore en tout cas. Ses motivations sont plus immédiates : elle veut éviter que les grandes plateformes numériques acquièrent trop de pouvoir avec le boom des paiements mobiles. Elle entend pousser les consommateurs à payer leurs achats en yuans numériques. Sa monnaie numérique donnera également à la Chine un moyen de réaliser des transactions internationales.
Pour éviter justement que la monnaie ne tombe entre des mains privées (entendre par là, entre des mains qui n’ont de compte à rendre à personne si ce n’est à leurs actionnaires) : le souverain ne peut pas se tenir à l’écart ou s’abstenir. Il doit ou bien soumettre les acteurs monétaires privés ou bien les marginaliser et s’affirmer comme un émetteur et un régulateur incontournables.
Les pouvoirs publics prennent donc ce processus en main, le dirigent vers les buts qu’elles ont choisis et en assurent par la suite la maintenance.
C’est pourquoi aussi, l’Eurosystème recherche des solutions techniques destinées à garantir des formes de paiements “offline” et à offrir des solutions qui apporteraient des qualités « monnaie fiduciaire » pour protéger l’anonymat et fournir un usage commode aux groupes vulnérables. (Rapport sur un « digital Euro » de la BCE-octobre 2020)
L’augmentation constante du nombre de partenaires privés ou publics se joignant à la Banque Centrale chinoise dans le projet de yuan numérique ne se comprend que sous la forme d’un ralliement des grosses entreprises chinoises.
b. Créer une monnaie, créer une confiance nouvelle ?
La création d’une nouvelle monnaie ou toutes modifications de monnaies préexistantes reposent sur des Principes de base :
- La Convertibilité sera instaurée au pair (1 pour 1) afin qu’il soit clair que la nouvelle monnaie n’est pas une monnaie parallèle et qu’elle est la « même » c’est-à-dire tout autant fiduciaire que la monnaie fiduciaire « classique ».
- La monnaie digitale souveraine est une monnaie d’Etat, elle tient sa force de ce dernier, elle représente un engagement monétaire et financier de l’Etat, à l’égard des tiers. Elle est comme, la monnaie fiduciaire, une créance contre l’Etat (à l’inverse des monnaies cryptées de type bitcoin qui n’ont aucune contrepartie) C’est pourquoi l’émission des monnaies digitales souveraines ne peut être qu’une responsabilité de l’Etat.
C’est pourquoi un projet de monnaie digitale souveraine, avant toute formulation technologique, repose sur des fondements « non technologiques » de la monnaie : croyance et confiance.
« Notre rôle est d'assurer la confiance dans la monnaie, a déclaré la Présidente de la BCE, dans un rapport publié en octobre sur le sujet. Cela signifie être certain que l'euro sera adapté à l'ère du numérique. » (Christine Lagarde. In rapport sur un Euro-digital. Oct 2020.)
Le premier objectif de Pékin est encore plus basique : déterminer si la technologie qui sous-tend le yuan numérique fonctionne et si les gens ont vraiment envie de l’utiliser. « L’argent existe depuis quelque trois milliers d’années. Ce petit bond en avant prendra du temps ». (Simon Rabinovitch-23/01/2021)
C’est ainsi que, partant des utilisateurs, nous revenons aux utilisateurs, qui… n’utiliseront la nouvelle monnaie que si elle suscite leur confiance. Or, curieusement, la création d’une monnaie digitale souveraine sera perçue comme une création nouvelle alors que les paiements en ligne ne suscitent aucune interrogation de ce genre.
En Chine où des millions de personnes utilisent déjà leur smartphone en guise de carte de paiement, ce sera comme utiliser une nouvelle application de paiement… Si tel était le cas, ce serait un échec d’autant plus grave que la « nouvelle monnaie » comporte de nombreux risques pour les banques. L’un d’entre eux est souvent cité et vise la situation où les utilisateurs retireraient l’argent de leurs comptes d’épargne pour le mettre directement sur leur e-portefeuille ultrasécurisé.
La raison fondamentale de créer une monnaie numérique qui serait le pendant de la monnaie fiduciaire classique tient au fait que l’intermédiation des grandes plateformes privées et non régulées fait courir des risques de plus en plus importants à leurs utilisateurs. Risques de solvabilité, risques d’exécution, risques de pannes, risques de corruption des chaines de traitement informatiques, risques sur les données etc. tous risques qui sont de la mission du souverain.
C’est pourquoi, dans le cadre de l’Eurosystème, un euro digital est nécessairement émis et contrôlé en tant que monnaie banque centrale.
Rappelons quelques grandes caractéristiques : accessibilité à tous, partout, robuste, sécurisé, efficace and respectueux du domaine privé.
Tous ces éléments sont constitutifs de la confiance : sans elle pas de monnaie de quelque nature que ce soit. Sans elle, le mécanisme « la mauvaise monnaie chasse la bonne » fonctionne à plein. Une monnaie digitale sans confiance conduirait au stockage des moyens de paiement fiduciaire !!!
c. Acceptation/ Croyance
La monnaie est une invention humaine exceptionnelle : c’est le meilleur moyen de transporter de la valeur. Encore faut-il qu’on le croie et surtout qu’on l’accepte. C’est pourquoi, on associera les deux termes de croyance et d’acceptation.
Les pays qui pensent à une monnaie digitale souveraine ne sont pas dupes des miracles technologiques. Tant dans les rapports relatifs à la création d’un e-euro que dans les commentaires sur la création d’un yuan digital, il est prévu que ces nouvelles monnaies seront « simultanées » avec les monnaies fiduciaires en usage. Dans le même esprit, le change entre monnaie digitale et monnaie fiduciaire, ne peut qu’être fixe. Dans le cas des Bahamas comme dans le cas de la Chine, le change est de 1 pour 1.
Ce ne sont pas des précautions excessives. La croyance dans la valeur et la fonction de la monnaie tiendra à trois choses : d’une part, les utilisateurs, déjà habitués aux paiements en ligne, devront être convaincus qu’ils ne risqueront rien en utilisant la monnaie digitale (alors même qu’ils ne se posaient pas ce problème avec les « plateformes » de paiement en ligne), d’autre part, celle-ci vaudra au moins autant et dans les mêmes conditions que la monnaie fiduciaire classique, enfin, le souverain s’engagera à maintenir fermes et fixes les rapports entre les deux « monnaies sœurs-jumelles ».
Parmi les utilisateurs, il faut nécessairement compter les commerçants et entreprises qui seront conduits à recevoir des paiements en monnaie digitale. S’il faut en effet que les utilisateurs aient envie d’utiliser cette monnaie parce qu’ils ont confiance, il faut aussi que leurs contreparties soient convaincues qu’ils ont intérêt à le faire ou qu’il n’est pas moins intéressant de recourir à la nouvelle monnaie qu’à l’ancienne. C’est pour cette raison que 10 000 boutiques ont participé aux tests menés entre le 11 et le 17 décembre 2020 à Suzhou et ont accepté d’être payés avec la nouvelle monnaie. Un test grandeur nature du 11 au 27 décembre a impliqué environ 1 million de personnes.
Le nouveau pilote effectué à Suzhou, ville de 10 millions d'habitants, est d'une ampleur inédite : 20 millions de yuans (2,5 millions d'euros) ont été distribués aux résidents via une loterie organisée sur l'application mobile de la ville. Un test de ce genre avait été lancé quelques temps auparavant à Shenzen. (Certains des gagnants de ce premier airdrop n’avaient d'ailleurs pas trouvé d'intérêt particulier au yuan numérique par rapport aux autres moyens de paiement déjà existants, tout en le désignant comme moins pratique).
L’augmentation constante du nombre de partenaires se joignant à la Banque Centrale dans le projet de yuan numérique est un élément de poids dans l’acceptation progressive de la nouvelle monnaie. De grosses entreprises chinoises telles que Meituan Dianping (la plus grosse plateforme de vente de gros et de livraisons du pays) ou Didi Chuxing (l’équivalent de Uber en Chine) participent aux tests aujourd’hui. Les millions de clients et les milliards de dollars qu’elles voient passer chaque jour sont un moteur très puissant pour l’adoption de la DCEP à large échelle.
On relèvera une fois de plus que « l’acceptation », ce processus si essentiel pour une monnaie : n’a rien à voir avec la technologie. C’est un processus éminemment psychologique, même si la « psychologie » peut être stimulée : si les tests chinois insistent beaucoup sur la présence des grandes chaînes de distribution, il est indubitable que décréter le cours légal de la nouvelle monnaie sera un atout-clé dans la reconnaissance de cette dernière et son utilisation.
On ne développera pas ici les questions qui sont purement et simplement du ressort de la politique monétaire. Par exemple, un élément clé de l’acceptation de toute monnaie réside dans sa liquidité. Pour qu’une monnaie soit acceptée, il est essentiel qu’elle soit disponible à tout moment, ce qui implique que le souverain est capable d’agir rapidement pour répondre à la demande des utilisateurs. La liquidité implique aussi la présence aux côtés du souverain d’institutions publiques ou privées prêtes à intervenir sur les marchés pour les fournir en liquidité. La présence et « la puissance de feu » de ces institutions expriment ce qu’on nomme la « profondeur » du marché.
Conclusion de cette deuxième partie
La condition primaire de l’implantation de la monnaie digitale souveraine réside dans son acceptation généralisée. Aujourd’hui, les projets de ce genre sont bien souvent animés par le challenge que constituent les modes de paiements en ligne vis-à-vis des monnaies fiduciaires. Le déclin de ces dernières ne signifie pas simplement que les banques centrales perdent prises sur les marchés monétaires domestiques. Il induit qu’en parallèle, l’essor des plateformes de paiements privés fait insidieusement surgir des risques de plus en plus graves, sur un plan macro-économique et vis-à-vis des agents économiques pris individuellement. Or, c’est la fonction de base d’une banque centrale que de faire en sorte que les modes de paiement utilisés par les agents économiques ne soient ni corrompus, ni systémiquement mis en danger et ne mettent pas en risque leurs utilisateurs.
Conclusion générale
"Le Parti communiste chinois a montré aux magnats qui est le patron. Jack Ma est peut-être l'homme le plus riche du monde mais cela ne veut rien dire. Nous sommes passés de l'affaire du siècle au choc du siècle", a déclaré Francis Lun, chez GEO Securities.
Ce propos peut paraître violent, il dit crument une vérité : depuis que la monnaie existe, elle est un engagement pris par le souverain à l’égard de la société dont il émane. N’oublions pas que la monnaie, sous forme de pièces standardisées, inventée par les Lydiens en Grèce au VIème siècle avant notre ère est nommée « monnaie signée » par ses commentateurs.
La mise en place d’une monnaie digitale souveraine est donc par principe un choix formulé par le souverain
1) afin de faciliter les échanges entre agents économiques qui relèvent de son autorité, où qu’ils soient et quel que soient leur niveau de culture ou de santé.
2) pour permettre l’adéquation des modes de paiement aux technologies de communication et d’information qui se déploient
3) et sécuriser, garantir, stabiliser le fonctionnement des paiements qu’ils soient de son ressort ou qu’ils passent par des plateformes alternatives.
Ce choix doit porter sur des technologies sous contrôle et respectant l’autonomie du souverain.
Première partie
L’utilisateur d’abord
La création d’une monnaie digitale souveraine soulève plusieurs questions : qui en a besoin, quels seront les utilisateurs, où pourront-ils l’utiliser, sous quelles contraintes ? Il faudra aussi s’inquiéter de son émetteur : lui préférera-t-on des monnaies cryptées privées entre les mains de prestataires de services monétaires ? ou imposera-t-on des monnaies souveraines selon diverses modalités. Cette monnaie « nouvelle » pourra-t-elle être utilisée pour tous types de transactions ou dans le cadre de transactions triées sur le volet. ?
La confiance est à la fois la base et la raison d’être d’un système de paiement pour les utilisateurs : ils doivent, dans le cas de la mise en place d’une nouvelle monnaie, pouvoir se reposer sur cette confiance depuis le lancement des études relatives à ce projet jusqu’à sa fin et au-delà, pour faire face aux contraintes de gestion.
a. Pourquoi une monnaie digitale souveraine ?
On a indiqué en introduction que le déclin de l’usage du cash et, en substitution, l’explosion des paiements en ligne, ont joué un rôle décisif pour le lancement des études sur la question des monnaies digitales souveraines.
L’usage croissant des paiements en ligne est à l’origine des recherches qui ont largement avancé en Suède avec l’e-krona. Ici, ce sont les utilisateurs eux-mêmes qui, par leur attitude et les usages auxquels ils adhérent en plébiscitant les paiements en ligne, poussent les billets de banque vers la sortie.
Pourquoi, les gouvernements s’inquiètent-ils de cette tendance ? Essentiellement parce qu’elle fait passer l’utilisation de la monnaie de règlement entre les mains d’organismes privés avec tous les risques que cela comporte. Risque de solvabilité, risques d’intrusion dans les vies privées, risque de détournements des données privées, risques sur la liquidité du système bancaire. On pourrait y ajouter, quand bien même l’argument n’est pas aussi convaincant que le billet de banque est la dernière des manifestations visibles de la prééminence du souverain dans le domaine monétaire. Ce serait pour beaucoup la preuve matérielle de son rôle en tant que garant du mode de fixation de la monnaie de compte, de la régularité des transactions et de la protection de l’épargne. La disparition du billet de banque serait, au moins symboliquement un coup supplémentaire donné à cette prééminence du souverain.
Or, les paiements en ligne passent de plus en plus souvent par des solutions privées. En Chine, les « applis » WeChat et Alipay sont devenues très puissantes. C’est bien pour limiter la puissance « sociétale » de ces plateformes que le gouvernement chinois a lancé les expérimentations sur le yuan digital : si le souverain est responsable politiquement et socialement de la monnaie, il ne peut pas se poser en spectateur de la désaffection pour la monnaie fiduciaire et laisser le champ libre aux seuls acteurs privés.
b. La demande nouvelle des moyens de paiement
Or, la difficulté d’un projet de monnaie digitale souveraine tient justement au fait que les utilisateurs ne sont pas « a priori » demandeurs de nouveaux moyens de paiement « banque centrale ». Ils n’ont pas à priori conscience que leur passage des paiements en monnaie banque centrale aux paiements en ligne relève d’un véritable changement de nature. Sans s’en rendre compte, ils prennent des risques non calculés.
En revanche, ils sont demandeurs de système de paiements en harmonie avec les nouveaux supports de transactions commerciales : c’est-à-dire « en ligne » et rapides. Ils sont demandeurs de sécurité et d’une certaine universalité (il faut entendre par là qu’ils veulent pouvoir user des moyens de paiement quels qu’ils soient dans le cadre de leurs besoins les plus courants, de toute nature sans contrainte de frontières).
Pour dimensionner la réalité du « marché » de la monnaie et la pression de l’offre et de la demande de monnaies, la Banque de Chine, dans ses études sur l’usage d’une monnaie banque centrale digitale, a identifié plus de 3500 types d’opérations commerciales ou publiques qui pourraient en justifier.
Plus généralement, les utilisateurs requièrent des moyens de paiement qui leur permettent de participer à la vie économique et à ses avantages où qu’ils soient, et quel que soit leur milieu social et culturel.
Les expériences chinoises, suédoises et bahamiennes insistent sur deux aspects importants : dépasser les contraintes géographiques et faire accéder toutes les catégories sociales aux nouvelles monnaies. Les Bahamas comptent 700 iles dont 20 habitées. La Suède, montre une faible densité démographique et des espacements territoriaux très importants. La Chine, en dehors de zones urbaines à très forte densité, présente des territoires immenses dont l’accès reste difficile dès qu’on quitte les grandes conurbations. Elle rassemble aussi une très grande diversité de population. Dans tous les cas : mettre la monnaie fiduciaire à disposition de tous, sans réserve ou limitation de montants, expose le système bancaire à des coûts très importants qu’il s’agisse de réseaux d’agences bancaires ou d’ATM. Ces inégalités d’ordre géographique se trouvent amplifiées par les très grandes inégalités sociales dans la maîtrise des technologies dites nouvelles.
c. Des compétences « utilisateurs » croissantes
Dans tous les cas, la mise en place d’une monnaie digitale souveraine repose sur un fait humain et culturel : la maitrise croissante par le public, c’est-à-dire les consommateurs et utilisateurs courants, des processus de transmission de l’information dite « en ligne ».
Les outils, du smartphone aux tablettes sont dans le domaine public complétant voire remplaçant les ordinateurs personnels tout aussi bien pour la transmission d’ordre via les réseaux de communication ou sous la forme d’appariements de smartphones entre eux.
Pour prendre l’exemple des Bahamas, les contraintes géographiques mentionnées ci-dessus ont, à elles-seules, conduit la très grande majorité des utilisateurs à maîtriser achats et paiements en ligne. Un rapport sur l’implantation du Sand-dollar, monnaie digitale souveraine des Bahamas, indiquait que celui-ci serait facilité par le niveau élevé de connaissance et de maîtrise des actions et communications en ligne. Même observation pour la Chine au point qu’un commentateur relevait que, si monnaie digitale souveraine il y avait, les agents économiques n’en serait pas autrement perturbés !
« En ce sens, elle ne semble pas apporter grand-chose au paysage monétaire chinois. Plus de 85 % des transactions sont déjà dématérialisées en Chine, rappelle le Center for Strategic and International Studies, un institut de recherche américain qui a publié une étude sur la DCEP (abréviation de « monnaie numérique, paiement électronique») en avril. "La Chine devient de plus en plus un pays sans argent liquide", confirme Marie-Françoise Renard, directrice de l’Institut de recherche sur l’économie chinoise (Idrec) ».
Mais ces moyens de paiement numériques sont contrôlés par des acteurs privés, que ce soit Alibaba et son Alipay ou Tencent et WeChat Pay. En d’autres termes, ce n’est pas Pékin qui contrôle directement ces flux financiers et le DCEP constituerait le moyen pour le régime de "récupérer le pouvoir sur ces transactions", note Marie-Françoise Renard.
En Suède, les études insistent sur le très haut niveau de compétence et de maitrise des réseaux par l’ensemble de la population.
L’Eurosystème de son côté, tout en rappelant qu’il serait bon de maintenir en service les « euro-bank-notes » et les pièces de monnaie, pour éviter toute exclusion financière et monétaire, la formation et le niveau de connaissance des besoins des agents économiques simplifierait beaucoup la mise en place d’un e-euro.
Le seul sujet de préoccupation des autorités monétaires locales réside dans la frange de population la plus fragile ou la plus âgée pour lesquelles des mesures d’accompagnement spécifiques ont été prévues dans le cas du Sand-dollar comme dans le cas de la Chine où le billet de banque demeure fortement implanté parmi des populations moins bien formées ou à la fois très âgées et éloignées.
Conclusion de cette première partie :
La demande de nouveaux modes de paiement ne se positionne pas sur l’exigence d’une nouvelle monnaie « fiduciaire » qui viendrait se substituer au « cash » c’est-à-dire à la monnaie fiduciaire classique (« le billet de banque ») et son extension « privée » « la monnaie de compte » (dite aussi monnaie de banque ou monnaie scripturale. Elle est, pour le moment, satisfaite, sur le plan le plus immédiatement pratique par les initiatives privées et leurs plateformes de paiement. Mais, s’il est juste d’avancer que les utilisateurs ne voient pas bien pour quelles raisons il est indispensable de lancer des projets de monnaie digitale souveraine, il est tout aussi juste de souligner qu’ils n’ont pas le souci de la monnaie en tant qu’expression de politiques monétaires au service de politiques économiques. C’est le rôle du souverain. Pour aller jusqu’au bout de ce raisonnement, les utilisateurs posent que toute initiative dans ce domaine doit respecter leurs habitudes .
Troisième partie
La technologie au service de la monnaie
On montrera ici, que la question de la mise en plus d’une monnaie souveraines digitales renvoie à un impératif : « Soumettre la technologie au lieu de s’y conformer ».
On a volontairement insisté sur des aspects non technologiques pour concentrer la réflexion sur les éléments « non techniques de la monnaie » qui en constituent les fondements au travers des millénaires. En revanche, il est clair que l’art, ou la technique, et aujourd’hui la technologie ont toujours eu une importance cruciale.
Pour illustrer le caractère incontournable de la maîtrise technique dans le domaine de la monnaie : on citera le Thaler, monnaie autrichienne, dont la longévité monétaire et une aire d’utilisation incroyablement large ont reposé sur deux éléments techniques : sa teneur en métal d’une part, la gravure exceptionnellement précise et fine d’autre part.
On rappellera aussi que les techniques de production des billets de banques n’ont pas cessé d’évoluer rendant le faux-monnayage plus difficile et coûteux.
a. Robuste/sophistiqué
Pour des monnaies digitales ou numériques, il faut mobiliser les hommes, les brevets, les sources d’énergie.
Il faut commencer par l’évidence : une monnaie digitale doit être capable d’offrir la plus grande résistance aux attaques et à la fois fonctionner et fournir des moyens de fonctionner dans un environnement totalement sécurisé. Entre attaques et intrusions, le système gérant la monnaie digitale doit être capable de réagir très vite et de mobiliser les compétences les meilleures à ces fins.
Le choix entre système robuste et système sophistiqué entraine une réflexion qui doit être très approfondie sur le niveau de compétences disponibles : pour exemple, la Chine a déclaré disposer d’une centaine de brevets dans le domaine des monnaies digitales se montrant par-là très en avance, y compris sur les Etats-Unis. (Ne pas oublier le conflit entre Samsung et Apple sur des brevets portant sur des parties apparemment mineures de leurs iphones).
Ajoutons aussi que la sophistication se paye en coûts d’électricité et en coûts de stockage de données. On notera que le Japon s’interroge sur la mise en place d’une monnaie digitale souveraine aussi bien que sur la place des monnaies digitales privées en tenant compte des conséquences catastrophiques d’une panne d’électricité générale, évènement que ce pays a eu l’occasion d’expérimenter, pour des raisons de réseaux comme pour des raisons de type tellurique ou catastrophique. Plus généralement, les risques liés au terrorisme sont très concrets et imposent de concevoir des réseaux robustes et disséminés.
Caricaturons : les banques centrales disposent de réserves de billets destinées à faire face à des situations catastrophiques. Face à ces situations, la seule contrainte est de transporter les billets de banque vers les lieux de distribution les plus pertinents. Une monnaie digitale dépend de l’électricité, sans réseau ou en cas de dommages infligés aux réseaux, les dommages sont considérables.
La robustesse des techniques utilisées dans le contexte particulier du lancement d’une monnaie digitale ne devraient-ils pas être un élément essentiel ? On va voir qu’il y a là des choix assez lourds en implication sur le choix des technologies.
Les spécialistes en monnaies cryptées, c’est-à-dire essentiellement les monnaies qui font l’économie d’un tiers de confiance quelle qu’en soit la nature (banque centrale, banque commerciale, institutions financières), estiment que la palme de la sécurité revient au Bitcoin et à sa blockchain appuyée sur la « POW »( proof of work).
Il n’y a pas d’exemples d’attaque réussi de hackers contre le minage des bitcoins soit par une intrusion dans le processus d’émission, c’est-à-dire le minage stricto sensu, soit par le détournement de la POW dans le cadre de transactions – double dépense- fausses inscriptions dans la chaîne des blocs etc.
Cette résistance est le fruit de la sécurité que son inventeur a voulu assurer à cette monnaie : pour qu’une transaction avec un bitcoin se déboucle, les calculs destinés à la reconnaître et à l’approuver sont complexes et ce d’autant plus que chaque jeton porte en lui l’histoire de l’ensemble des transactions dans lesquelles il est intervenu. Malgré l’extension des capacités de calculs, les performances du bitcoin, sont très largement inférieures aux systèmes que mettent en œuvre les compensateurs publics traditionnels et ainsi que les plateformes privées que sont les cartes de paiement, paypal et autres.
La robustesse est donc une option à effets collatéraux très lourds : on a indiqué dans les parties qui précèdent que l’acceptation d’une monnaie dépend du jugement de l’utilisateur : si celui-ci subit des lenteurs (et aujourd’hui lenteur signifie « un peu plus tard » quand les utilisateurs pensent « tout de suite ») tant dans la reconnaissance du paiement que dans son inscription au crédit du vendeur et de sa disponibilité (liquidité) en tant que son actif, la monnaie court le risque d’être rejetée et de se voir préférer un moyen, peut-être moins sûr, mais en tout cas plus rapide.
(Notons que dans les projets « classiques » menés par la BCE, la rapidité est au centre des préoccupations au sens de l’efficacité économique, mais aussi au sens des processus de sécurité et de protection des utilisateurs : un observateur commentait, « tout le monde exige la plus grande disponibilité/rapidité, mais, il faut savoir que plus vite on donnera un ordre erroné et moins il sera possible de le rectifier… ».)
Dans le projet chinois, le choix technologique sous-jacent n'est pas encore clair : la Banque centrale chinoise est réservée sur l'utilisation des technologies blockchain, aujourd'hui trop lentes pour supporter un grand nombre de transactions simultanées. Les autorités ont fixé un impératif : le système doit pouvoir traiter jusqu'à 300.000 transactions par seconde ! (Équivalent à paypal dans le monde).
Entre sophistication et robustesse, un autre choix doit être fait : la monnaie digitale sera-t-elle à usage général, c’est-à-dire concernant l’ensemble des transactions initiées par l’ensemble des agents de l’économie, ou bien sera-t-elle, pendant un premier temps, limitée aux paiements de détails.
« Quel que soit le mode d’interaction : reconnaissance faciale, scan de barcode, taper sur un écran ou un clavier, l’utilisation du yuan digital devrait couvrir, selon les études menées, environ 6700 types d’utilisations depuis le commerce de détail, les transports, paiements de services etc ».
Dans cette dernière hypothèse, qui est pour le moment, celle retenue par les pays les plus avancés dans la mise en place d’une monnaie digitale, la question de la rapidité est importante, mais elle l’est beaucoup moins si elle devait être employée dans les mouvements du « trading haute fréquence » où rapidité extrême et montants colossaux font bon ménage ! Il en est de même pour ce qui concerne la sécurité, perdre le contrôle d’un paiement de 10 euros n’a pas le même sens que de perdre le contrôle d’un million d’euros !!!
Plus la volonté qui présidera à la mise en place d’une monnaie digitale sera orientée vers les opérations B to c, plus resteront ouvertes les options : robustesse contre sophistication, spécialisation contre généralisation, rapidité mesurée contre vitesse de la lumière, sécurité économiquement calculée contre zéro défaut.
b. Centralisation/décentralisation
Le thème de la décentralisation est, avec celui des “nœuds” une des obsessions des défenseurs des monnaies cryptées. C’est en quelque sorte la garantie que cette monnaie sera à l’écart des tiers institutionnels en tous genres, à commencer par les banques centrales.
Il est évident qu’une monnaie digitale souveraine n’a aucune considération pour cette idée de la décentralisation : elle est émise, diffusée et gérée par la banque centrale et ceux qu’elle a choisi pour l’aider (si elle en choisit). Ce n’est que dans ces limites que la question des infrastructures décentralisées se posent.
Entre monnaie cryptée au sens « traditionnel » du terme (le bitcoin, par exemple) et « monnaie digitale souveraine », il est une différence de « philosophie » : les premières ont été conçues ( le cas du bitcoin est le plus caricatural) dans un esprit libertarien, c’est-à-dire d’hostilité à l’égard de toute intrusion de toutes institutions dans la vie des citoyens. Les tiers de confiance en sont exclus, c’est-à-dire pour ce qui concerne la monnaie, les banques, qu’elles soient banques centrales ou banques commerciales etc.
En revanche, la décentralisation qui peut être instillée dans le fonctionnement de la monnaie peut être technique : une opération se déroule sans qu’un tiers de confiance soit nécessaire. On est ici dans un approche « cash like » : un paiement en billet de banque n’implique pas d’autres personnes que le débiteur et son créancier. Il y a deux façons de procéder pour “décentraliser les transactions » : l’une consiste à mettre en œuvre une technologie DLT via des stockages de monnaies individualisés : cartes prépayées, échanges entre smartphones etc ; Dans les études sur les monnaies digitales on les qualifie de paiements « offline ». Les intermédiaires ne se manifestent pas pendant la transaction mais avant (pour recharger la réserve monétaire d’une wallet) ou après (pour procéder à l’encaissement des fonds versés).
On a indiqué plus haut que le principe même d’une e-monnaie souveraine est qu’elle est lancée, promue et gérée par le souverain : donc les mécanismes proposés par les défenseurs des crypto monnaies pour protéger l’utilisateur contre le pouvoir étatique ne sont plus nécessaires. C’est en ce sens que la plupart des études portant sur l’introduction d’e-monnaies doutent de l’utilité de l’usage d’une blockchain. Lorsque ce doute reste latent, ce n’est pas dans le cadre de l’émission, gestion, sécurisation de la monnaie mais dans le cadre d’opérations financières ou commerciales.
Dans un journal chinois, une des personnalités expertes en charge du Yuan digital, Mu Changchun concluait: «La blockchain au détriment du stockage synchrone et du co-calcul d'une grande quantité de données redondantes, sacrifie l'efficacité du traitement du système et une partie de la confidentialité du client, et n'est pas encore adaptée aux scénarios à forte concurrence tels que les paiements de détail traditionnels . "
Le Blockchain Research Group du Digital Currency Research Institute a publié un article examinant l'état actuel de la blockchain. Le groupe est responsable de la monnaie numérique de la banque centrale (CBDC) de la Banque populaire de Chine (PBoC). L'article passe en revue les avantages et les inconvénients de la blockchain et conclut que la blockchain n'est pas prête à être utilisée dans les systèmes de paiement à volume élevé.
La banque centrale de Suède, Riksbank, a annoncé qu'elle testait une CBDC à l'aide de la blockchain Corda. Cependant, commente-t-on, Corda n'est strictement pas une blockchain mais une technologie de registre distribué (DLT) et ne reproduit pas toutes les transactions sur chaque nœud.
Moyens de paiement “digitaux” online ou offline ? Cette question est souvent posée à l’occasion de la fameuse exigence de confidentialité et d’anonymat des transactions réglées par le moyen des monnaies digitales. Si ces opérations ne pouvaient passer que par des modes onlines, qu’il s’agisse de ligne informatiques ou téléphoniques, il est certain que la protection des données serait le résultat d’une option « souveraine » avec les inconvénients que cela pourrait comporter. En revanche, l’utilisation d’instruments tels que des smart-cards ouvre cette possibilité, sachant que le premier mode d’interaction ouvre largement la possibilité de nouveaux services à l’inverse du second. Ce dernier supposerait aussi des recharges auprès d’intermédiaires spécialisés et des appareils “certifiés” dans des conditions définies par la banque centrale.
Le rapport émis par la BCE sur l’e-euro, dit très clairement que l’usage off-line, serait très facilement accepté par les utilisateurs en ce sens qu’ils le verraient comme la continuation de son rôle d’émetteur de monnaie. Au surplus, la consommation d’énergie serait minimisée.
Pour compléter nos remarques sur la question de la décentralisation, on se reportera vers l’exemple du projet chinois : ses commentateurs indiquent qu’il sera hypercentralisé c’est à dire contrôlé par la Banque de Chine.
c. Délégué/non délégué
En revanche, nouveauté radicale, l’informatisation a redonné un certain lustre à l’idée d’une banque centrale « globalisante » avec les supercalculateurs, la gestion massive de données individuelles et collectives (le Big Data), le traitement en ligne et la possibilité d’offrir aux clients des formules 24/24 12/12 365/365, sans accroître les contraintes de personnel.
Le projet Chinois donne une idée claire d’un mode de délégation. La banque de Chine, émettrait le yuan digital vis à vis de banques de second rang (détenues par l’Etat) et des entreprises de paiement (Alipay et WeChat par exemple). La monnaie serait ensuite transmise aux agents économiques via les modes offline ou online décrits plus haut. La gestion de l’ensemble (identification des débits et des crédits) serait tenue en temps réel de façon centralisée. « Cette monnaie traçable sera aussi un outil de lutte contre la corruption, le blanchiment d'argent et la finance de l'ombre et va permettre à la Chine d'étendre à son gré la zone d'influence de sa devise à l'international sans crainte de perte de souveraineté.
Pour les observateurs, ce système permettrait d’assurer la stabilité, l’acceptabilité et la légitimité de la nouvelle monnaie (on retrouve nos commentaires sur Croyance et confiance).
En revanche, un élément-clé de l’acceptabilité de la nouvelle monnaie réside dans le cours légal qui ne peut lui être concédé que par le « souverain ».
La banque centrale chinoise met en avant que le Yuan digital aura un cours légal et ne pourra être refusé, contrairement aux autres cryptomonnaies que la Chine a toujours considérées comme des produits de spéculation ou un moyen illégal de sortir des capitaux de Chine.
Enfin, il faut rappeler que la centralisation de la gestion monétaire a non seulement permis de protéger la liquidité des marchés (voir les lignes qui précèdent) mais aussi d’organiser les marchés bancaires pour que le financement de l’économie soit le moins coûteux possible : or le risque existe que les banques de second rang se voient privées de dépôts via la mise en place de monnaies digitales. Le cas du bitcoin est emblématique : les achats de cette monnaie se traduisent par des dépôts dans des « wallets » qui sont déconnectées par construction et par intention des circuits de refinancement des banques. Ce sont, pour reprendre les formulations keynésiennes, des « trappes à monnaie ». La présence de monnaies digitales crée une perte en ligne de monnaie banque centrale et empêche l’équilibrage ex-post de l’investissement par l’épargne qu’il crée. Les dépenses d’investissements n’étant plus « refinancée » par cette épargne le risque apparaît d’une réduction de l’offre de crédits bancaires.
Dans le cas des monnaies digitales banque centrales, plusieurs études montrent que ce risque prends des aspects « anti-pyramidaux » importants ! Le premier risque est de faciliter les « runs ». En cas de crise, on assisterait à des achats massifs de monnaie digitale banque centrale au détriment des dépôts détenus par les banques, les détenteurs de liquidité préférant avoir l’Etat comme débiteur plutôt qu’une banque. Cette éventualité existait avec les billets de banque, mais, techniquement plus lourde, elle pouvait plus facilement être contre-carrée ! Avec les monnaies banque centrale digitales, la rapidité d’exécution donnera à ce risque une dimension nouvelle !
En parallèle, évoquons la possibilité pour les banques centrales de se lancer dans des opérations de crédit en faveur des agents finaux des économies, en compétition avec les banques de second rang. Cette hypothèse est mise en avant de temps à autre mais laisse sceptique pour différentes raisons : l’octroi de prêts est une activité qui reste lourde en main d’œuvre même si son automatisation est continument entreprise et améliorée ; la banque centrale émettant des crédits en monnaie digitale souveraine, il faudra impérativement qu’il n’y ait pas de doutes sur l’acceptabilité de cette monnaie et sur le fonctionnement des systèmes interbancaires autorisant encaissement, paiement, apurement des prêts. Pareilles mesures, on le voit clairement, imposeraient de longues négociations avec les partenaires économiques.
Conclusion de cette troisième partie
L’organisation d’un système monétaire intégrant une nouvelle monnaie ne peut pas être le sous-produit des technologies utilisées. C’est une décision du souverain. Cette décision est nécessairement politique lorsque la banque centrale est le représentant d’une union politique d’états souverains. En tout état de cause quel que soit le parti pris « technologique », la prééminence de la banque centrale s’impose pour une gestion solide et intégrée de la monnaie et des risques macro-économiques qui lui sont attachés.
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