Le projet de la Libra promu par Marc Zuckerberg s'est fracassé contre le principe de la souveraineté monétaire. Il revient sous une forme moins claironnante et moins ambitieuse. (ParPascal Ordonneau, ancien PDG de HSBC invoice finance)
François Mauriac, célèbre écrivain et polémiste du siècle dernier, déclarait à qui voulait l’entendre au sujet de la division de l’Allemagne entre Est et Ouest : "J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux". Marc Zuckerberg y a-t-il pensé voyant que sa Libra unique et universelle était unanimement rejetée, y compris dans sa patrie d’origine ?
Pourtant, il avait essayé de mettre toutes les fées et leurs baguettes de son côté. La Libra ne serait pas un machin sorti de nulle part genre bitcoin. Pas de débauche de mineurs, de nœuds et de fichiers distribués. On parlerait de "communauté" bien sûr, "nouvelle économie" oblige, mais celle-ci serait limitée à quelques amis et contributeurs notoires. En d’autres termes, pour rassurer tout le monde la Libra devait fonctionner sur un mode "permissionned" et non sur le mode "permissionless", idéal chéri par les libertariens que quelques esprits humoristiques résument en une formule hugolienne : "Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier". Même les preuves devaient être plus faciles et surtout plus rapides à calculer que les célèbres POW (proof of work) bien connues de bitcoinolâtres.
Marc Zuckerberg était allé très loin pour faire accepter sa Libra. Il voulait vivre en bonne entente avec les émetteurs des vieilles monnaies souveraines. D’ailleurs, annonçait-il, la Libra ne serait pas un de ces tokens qui reposent sur le seul vent de la renommée entre Geeks. Elle serait "backée" par une réserve constituée de monnaies souveraines sous toutes formes, dépôts bancaires, actifs financiers, produits structurés. Et même, certains l’auraient susurré, l’or !
Donc, la Libra était d’emblée un "stable coin" doté d’une blockchain plus souple et permissive que celles des vraies monnaies cryptées.
Puisque, même sous cette forme, la potion avait du mal à passer, la voix de David Markus gronda de sombres prévisions monétaires : les Chinois étaient en passe de lancer une monnaie cryptée souveraine, le crypto-yuan. Devant une commission du Sénat, un long discours fut tenu sur les risques pesant sur la liberté du monde occidental et sur le salut qui viendrait de la Libra.
L’avenir dira qui sera le premier pays à lancer une monnaie souveraine, mais le présent nous a informés que la Libra, en tant que rempart des démocraties libérales, ne recueillait pas l’assentiment général, bien loin de là.
Alors, en bon stratège, Marc Zuckerberg a préféré adapter son plan. Plutôt que de lancer ses troupes, massivement contre le pack des banques centrales les plus puissantes, il a décidé de les prendre les unes après les autres.
Comment s’y prend-il ? La Libra, version finale, avant que tous les supports du projet y renoncent et pour gage de sa sagesse en tant que monnaie venant de nulle part, s'était transformée en stable coin appuyé sur une réserve de monnaies souveraines. La gestion de ladite réserve serait menée en lien avec des tiers de confiance, banques commerciales et banques centrales.
Pour faire en sorte que tout le monde soit content, la réserve aurait été constituée d’un panier de devises. Évidemment, les devises des pays les plus puissants auraient été un peu plus présentes que les autres… rien que de très normal. Et pourtant, cette idée qui était censée être une amélioration du projet initial (avec réserve, mais sans supervision de tiers de confiance) se fracassa contre les critiques des représentants des monnaies souveraines. De fait, la vérification du solde de la réserve face aux Libra émises tout en étant naturelle sur le papier ne l’était pas réellement en pratique, sans parler des manipulations entre monnaies souveraines constituant cette fameuse réserve. Sans parler du fait incontournable que la monnaie soit l’affaire des souverains.
Retenons seulement que le fondateur de la Libra avait pourtant accepté d’avaler quelques couleuvres et de trahir les idéaux des inventeurs des monnaies cryptées. La réserve, constituée de monnaies souveraines pour crédibiliser la Libra, pour lui ouvrir le sésame de l’acceptabilité en tant que moyen de paiement, n’était-elle pas totalement contradictoire avec les canons des monnaies cryptées ? Lesquelles, par principe libertarien, ne reposent que sur la confiance des "communautés". L’acceptation d’une collaboration avec les banques centrales ne conduisait-elle pas à pactiser avec les tiers de confiance dont les monnaies cryptées entendaient se débarrasser : inutiles, inefficaces et, pire, s’appropriant des droits de seigneuriage indus au détriment du petit peuple des épargnants et des travailleurs.
Quelqu’un a dit : appuyez-vous sur les principes, ils finissent toujours par céder. La Libra s’était affranchie des principes gouvernant les monnaies cryptées. En revanche, mais ceux qui imposent la présence des banques centrales avaient résisté.
D’où une tentative tout à fait intéressante : au lieu de vanter les mérites de l’universalisme monétaire en ce moment où un virus provoque fermeture des frontières et méfiance à l’égard de ce que mondialisation implique, n’est-il pas opportun de lancer des combats plus modestes et de porter l’idée de la Libra pays par pays, quels que soient leur taille ou leur rôle dans le grand jeu des monnaies internationales.
Et, pays par pays, lancer des Libras "siglées". Après tout, le mot franc n’a-t-il pas été associé à des monnaies de pays qui n’avaient rien à voir avec la France ? Une libra-euro, une libra-dollar, une libra-livre renverraient à ces monnaies qui enchantaient les salles de marché : franc suisse, franc belge, franc français, franc-CFA, franc pacifique.
L’idée capitaliserait sur la "réserve" dans sa dernière mouture : la réserve qui donne son sérieux à ce stable-coin et qui, composée d’un panier de monnaies, était censé faire tomber les préventions des banques centrales, ces tiers de confiance dont la Libra voulait se faire des alliés.
La nouvelle version verrait les responsables de la Libra passer des accords avec les autorités monétaires et bancaires des pays "élus". La réserve ne serait plus constituée d’un "panier", mais tout simplement d’une monnaie et une seule, celle du pays concerné par l’accord. Donc à l’appui de la Libra-dollar, il y aurait des actifs en dollars, à l’appui de la Libra-sterling des actifs en sterling…
Reconnaissons que c’est assez malin. Ne nous laissons pas aller à rêver d’une Libra-euro, la BCE a été très claire vis-à-vis des tentatives "Libresques", ne pensons pas non plus à une Libra-dollar, les États-Unis ont le regard tourné vers une monnaie souveraine américaine qui viendrait contrebalancer les ambitions chinoises. En revanche, qui dit qu’un pays africain ou sud-américain ne pourrait pas se laisser séduire ? Le Venezuela, y verrait sûrement une façon de sortir du bourbier de sa pétro-crypto-monnaie !
Mais, au fait, pourquoi tant d’énergie déployée ? Un stable-coin appuyé sur une monnaie forte tire parti de la force de cette monnaie tant en termes de liquidité qu’en termes d’acceptabilité, nationale ou internationale. Un stable-coin appuyé sur des actifs financiers vaseux ne peut pas que répondre à la célèbre formule : "garbage in – garbage out".
Et puis, à quoi cela servirait-il ? Si une monnaie cryptée est positionnée pour n’être que la réplique d’une monnaie souveraine, où est l’avantage du cryptage ? Faisons un peu de "monnaie-fiction" : la Libra, sous cette dernière mouture ne serait qu’une monnaie souveraine cryptée. Il y en aurait autant que de souverains, confirmant, si cela était encore nécessaire qu’il n’y a pas de monnaie sans souverain et que ce dernier est le tiers de confiance initial et ultime. Dans ces conditions, les protagonistes de la Libra seraient en passe de se convertir en société de services, spécialisée en conception et gestion de monnaies souveraines. Ils pourraient se rémunérer sur une partie des gains de seigneuriage…
L’histoire ne nous a-t-elle pas montré la puissance de quelques grands argentiers, Fouquet, Jacques Cœur, délégués par le souverain dans l’accomplissement de tâches souveraines… Jusqu’au moment où cela ne sied plus au souverain.
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