On a beaucoup glosé sur l’incapacité, courant 2007, à prévoir l’évolution à venir de l’économie mondiale. Les discussions relatives à la cécité des observateurs relèvent de ce qu’on qualifie « d’ex-post ». Etrangement, personne n’en déduit autre chose qu’une incroyable myopie des prévisionnistes qu’ils agissent sous la forme d’instituts ou d’experts, ou les deux en même temps. Mais non moins étrangement personne n’évoque l’idée qu’après tout, si personne n’a prévu ce qui allait arriver c’est peut-être en raison d’une totale incertitude quant à la façon dont l’avenir allait se profiler.
L’incertitude serait donc le fait pour l’homme, le sachant, l’expert d’être dans la totale incapacité de prévoir ? Et pourtant, une situation d’incertitude est capable de produire des certitudes : c’est ainsi qu’une grande banque internationale commentait à la fin du mois de juin 2011 : « l’incertitude actuelle sur les marchés et l’économie sont favorables pour une poursuite du mouvement haussier sur l’or ». Cette banque décrivait d’un coté que rien de clair ne se dessinait à l’horizon économique sauf qu’il se dessinait très assurément que tout le monde, en raison et à cause de cette absence de clarté, se précipitait vers l’or.
Les agences de notation sont accusées de créer de l’incertitude : Moody’s s’interrogeant à haute voix sur la notation de la dette américaine contribue à augmenter l’incertitude, ce qui ne peut que peser sur le cours du dollar. Donc, non seulement, l’incertitude, qui rend incapable de décider peut créer des certitudes (hausse de l’or) mais aussi l’incertitude peut être le résultat d’une décision humaine. Dans les deux cas, elle se distinguerait du hasard, même si celui-ci est susceptible d’avoir des lois.
Le jour où des mathématiciens ont pu dire du hasard qu’ils le soumettraient à leur science, ils ont en quelque façon, domestiqué la bête sauvage qui avait depuis des temps immémoriaux ou bien ravagé les esprits ou bien conduit à l’invention des dieux. L’incertitude, ne semble pas avoir bénéficié d’un régime aussi favorable. Il y a même parfois une sorte de déni pour ce qui la concerne. Sont statut est si peu clair qu’elle est purement et simplement expédiée par une phrase brève mais efficace : « La notion de risque en finance est très proche de celle d'incertitude ». Qu’est-ce qu’une notion proche d’une autre ? à partir de combien de millimètres dit-on qu’on est proche ou éloigné ? C’est à peu prés du même calibre que de poser la question « à partir de combien de grains de sable, y-a-t-il un tas ? Ou bien, à l’encontre même de cette tranquille sécurité que confère la proximité de l’incertitude avec le risque on trouve des auteurs pour penser que « les agents se trouvent en situation d'incertitude lorsqu'ils ignorent ce que sera leur environnement dans un avenir proche ou lointain ». Si on prend cette approche de l’incertitude au pied de la lettre, on voit qu’on est aux antipodes de la notion de risque, lequel n’est pas un domaine où l’ignorance règne en maitresse, des tonnes de livres ayant été écrits sur ce qu’il est, la façon de le traiter ou d’éviter de le rencontrer (et donc de le traiter !).
L’incertitude est souvent décrite comme une histoire de gens, d’évènements ou de mécanismes qui se mettent à ne plus tourner très rond à ce point qu’on ne peut même plus faire de prévisions. C’est pourquoi un ton de reproche résonne toujours fortement ou en sourdine quand on lit que l’incertitude pesant sur le politique empêche tout exercice de prévision sur l’économique.
En fait, de proche en proche, on en vient à cette idée que professait Keynes et qui pose que l’incertitude n’est pas probabilisable. Les pessimistes diront que c’est un retour en arrière et qu’on introduit un grain de sable dans une économie pensée comme un mécanisme d’horlogerie. Les optimistes diront que l’économie revient alors dans le domaine de la décision humaine et auront ainsi plaisir à réfuter cette vision mécanique de l’économie.
L’incertitude se place donc bien avant toute pensée sur l’avenir. Le hasard, a pu être soumis aux mathématiciens parce que les conditions dans lesquelles un processus, une action, un évènement se déroulent sont enfermés dans des certitudes liminaires. Le jeté de dé suppose qu’on soit sûr que le dé sera jeté et qu’il le sera dans un univers où la force de gravitation est figée. Si cela n’était pas, si des questions telles que celles qui suivent étaient posées : le dé va-t-il, ne va-t-il pas être jeté ? Pourquoi le serait-il ? Quelqu’un qui n’est peut être pas là, n’aura peut-être pas envie de le jeter ? …l’incertitude serait totale et la chute des dés un évènement prodigieux.
L’incertitude gênerait-elle ? Certainement, car elle génère de l’indécision ou des décisions extrémistes ou encore confusionnelles. Se précipiter vers l’or en raison d’incertitudes revient au même réflexe que de souffler dans la voile d’un bateau pour lutter contre les effets d’un calme plat imprévu et imprévisible. L’affirmation selon laquelle il n’y a pas d’incertitudes mais des difficultés de prendre en compte tous les éléments qui entourent une décision dans un univers instable comme celle du papillon qui bat des ailes au-dessus de l’Angleterre et déclenche des tempêtes effroyables en Asie, ressemble beaucoup à une tentative pour se rassurer.
Il est courant d’émettre des prévisions. Les devins faisaient des prédictions. Les modernes s’efforcent d’anticiper. Tout ceci conduit à une programmation, à une projection, à un plan… On a dit que le hasard domestiqué, ce sont les dieux, leur pusillanimité, leurs inconséquences et leur démesure qui sont boutés hors de la sphère humaine. Le hasard, maintenant fait des victimes comme n’importe quel accident. L’incertitude ne fait pas de victimes car elle n’est pas extérieure aux hommes. Ils sont plongés dedans. (« Plongés dans des océans d’incertitudes »). Et le seul moyen d’en sortir, c’est de prendre une décision. Au hasard ?
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