Economies Externes, (déséconomies)

Cette chronique est parue dans les Echos.

On lira utilement, un complément à cette notion : le passager clandestin. Il faut aller à la lettre "P".

 

Quand les profits sont involontaires…

 

Il y a quelques temps, débattant des effets induits par les grands travaux du grand Paris, les « Economies Externes » ont surgi et animé une conversation très intéressante sur ce concept, son sens et sa « réalité ».

 

Le concept « d’économie externe » est souvent illustré par le cas classique de la boutique qui voit son chiffre d’affaires propulser en avant du fait de l’implantation d’un parking public à sa proximité. Il admet un inverse, les « deséconomies externes » : dans ce cas, la boutique voit son chiffre d’affaires s’effondrer car le parking où ses clients garaient leurs véhicules est supprimé. En d’autres termes, certaines décisions, à caractère économique ou non, peuvent avoir des effets indirects et indépendants de la volonté des décisionnaires.

 

Un faux concept ?

 

Le débat a porté sur deux remarques : la première proposant que la notion d’économie externe soit consubstantielle à toute action publique. Ce serait un truisme économique, le constat d’une « évidence » ; l’autre, proposant que les économies externes mesurent un gain ou une perte involontaire d’un agent économique en raison de décisions auxquelles il est parfaitement étranger à la condition de cantonner le champ de l’observation à cet agent et à lui seul. De fait, l’observation à ce niveau-là occulte la possibilité qu’au gain involontaire enregistré par cet agent corresponde presque exactement une perte chez un autre agent et inversement en cas de déséconomie.

 

Dans cette hypothèse, les profits du boutiquier en raison de l’installation du parking correspondent aux pertes d’un autre boutiquier qui s’en trouve éloigné et que ses clients délaissent. En changeant l’échelle de l’observation, on change donc les conditions de l’observation. Et, quand on dit que la notion d’économie d’échelle est consubstantielle à toute « action publique » on ne dit pas autre chose que chaque décision prise par la collectivité a un effet « externe », les Agents économiques recevant des profits ou subissant des pertes indépendamment de tout choix de leur part.   

 

Si ce débat ne portait que sur des questions de niveau d’observation et de leur impact sur les résultats et les conclusions qu’on peut en tirer, on pourrait s’arrêter là. Ce serait un parfait jeu à somme nulle au niveau collectif quand on avait eu l’impression qu’il s’agissait d’un jeu à somme positive au niveau des agents.

 

Mais le concept est plus riche que ce qu’on vient de proposer. Il porte sur la notion d’externalité.

 

La notion d’externalité

 

Si notre boutiquier bénéficiaire n’a pas envie d’entendre parler de ses gains nouveaux et inattendus (il ne l’a pas fait exprès, on ne saurait donc venir le lui reprocher) en revanche son collègue qui a subi des pertes nouvelles et inattendues a des raisons de réagir. Est-il une victime ? Sont-ce ses revenus, à lui, directement qui sont passés dans la poche de l’heureux bénéficiaire ? Lequel ne devrait pas dans ses conditions se déclarer serein et irréprochable : ne devrait-il pas indemniser le perdant puisque les gains encaissés ne sont pas le produit de son génie, de son habileté ou d’un avantage compétitif durement construit ?

 

On voit donc qu’ici l’externalité prend une dimension effective tout à fait particulière. Elle pose question. Elle ne peut plus être réduite à un simple constat où viendrait s’observer un cas de concurrence imparfaite. Elle débouche sur les questions de choix social à tous les niveaux de la société et justement sur les éléments constitutifs de la concurrence imparfaite.

 

Revenons à la « victime » : doit-on la laisser en plan en lui disant « pas de chance !» et en lui donnant une grande tape amicale dans le dos ou doit-on considérer qu’une décision qui lui est extérieure lui est dommageable ? Dans le premier cas n’ouvre-t-on pas la carrière à une foire d’empoigne, la victime allant régler son différent directement, en mobilisant ses salariés, eux-mêmes victimes périphériques. Dans le second, la question devient : le bénéficiaire doit-il porter la charge du dédommagement indépendamment du fait qu’il n’y peut rien ? La cause de son obligation se trouvant dans son bénéfice accru et dans ce seul fait sans avoir à mener la discussion plus loin. Ou bien, on juge que le responsable de la perte n’est autre que le décisionnaire du parking et que c’est à lui d’assumer et de payer si réparation il y a. Auquel cas, ce décisionnaire doit-il être astreint pour la raison seule et unique qu’il a décidé de créer un parking, ou bien doit-on considérer qu’ayant créé de la richesse pour l’un, il est normal que cela lui soit reconnu (il en reçoit une part) de telle sorte qu’il accepte de porter la responsabilité des pertes de l’autre.

 

Décidément, le concept d’externalité est riche. On a vu qu’ici il peut aider à concevoir les moyens de redresser des situations économiques dont l’origine est cependant indépendante de la volonté des agents concernés.

 

Guérir donc, mais pourquoi pas prévenir ?

 

Il y a peu, le Président du directoire de la Société du Grand Paris, Philippe Yvin indiquait dans une interview qu'il ne voyait "pas de raison de voir apparaître de phénomène spéculatif" autour des 68 gares du futur super métro francilien, où des dizaines de milliers de logements vont être bâtis dans les vingt ans à venir.

 

Son raisonnement reposait sur le fait que ces gares vont déclencher des vagues de construction considérables et que, l’offre étant abondante, les prix ne seront pas poussés à la hausse. Il ajoutait : "Plus l'offre de logements sera abondante, moins les prix monteront. Or cette offre sera abondante ». C’est une opinion.

 

On pourrait, au nom des effets d’externalité adopter un autre point de vue. On a vu plus haut qu’on pouvait considérer que toute décision publique repose sur l’idée que de « non-participants » à cette décision peuvent en tirer avantage. Le principe même de l’action publique étant de créer de la valeur pour la collectivité, sa contrepartie s’exprimant au travers de l’impôt.

 

On pourrait, toujours au nom des externalités, juger que les agents économiques « involontaires », ne sont en la circonstance pas si involontaires que cela et que leur attitude de propriétaires lucides ou d’entrepreneurs prévoyants pourrait faire des « économies externes » non pas des phénomènes involontaires bénéficiant à un non-acteur, mais de véritables moteurs de la décision d’investissement. La question deviendrait alors : le décisionnaire qui suscite le mouvement d’économies externes a-t-il voulu ce résultat pour que se déclenchent les décisions d’investissements. Il serait « rémunéré » par le seul fait que ces décisions soient prises. Ou bien, doit-il exiger des bénéficiaires de restituer une partie de leurs espérances de gain, sa décision ne pouvant pas se traduire par un transfert de valeur d’un niveau macro-économique vers un autre, les gains « externes » attendus revenant à une politique entrepreneuriale d’aubaine et non à la recherche d’une vraie création de valeur.

 

Plus généralement encore, la notion d’externalité entraîne un questionnement sur le statut de l’agent économique. De maître chez lui et indépendant des autres tel que l’a modélisé la théorie classique, ne communiquant qu’au travers de son rôle dans la formation des prix, il devient acteur de la vie des autres, involontairement, et conduit à reconsidérer l’espace économique dans lequel les décisionnaires se meuvent en un espace d’échanges imparfaits.

 

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