Cet article est paru dans le Huffington post.
« Il est passé par ici, il est passé par là » cette comptine enfantine pourrait être appliquée au bitcoin et à ses cours valseurs.
On laissera de côté la sombre question de la formation des prix sur le marché des cryptomonnaies dont tout le monde convient qu’elle est une étonnante démonstration de manipulation. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les cours tels qu’ils se forment de minutes en minutes et on aura compris.
Ce qu’on veut montrer ici porte sur un des aspects essentiels de la doctrine "cryptomonnaies" en général et "bitcoin" en particulier : la liberté et ses corollaires, l’indépendance et l’ouverture. On va montrer dans les lignes qui suivent que, de proche en proche, en dehors de quelques excités de l’idéologie libertarienne, le bitcoin, et finalement toutes les monnaies cryptées, abandonnent leurs postures « nous ne devons rien à personne d’autre que nos fans ; personne ne pourra se mettre en travers de notre chemin ».
L’indépendance du bitcoin est une plaisanterie économique
Comment peut-on sérieusement soutenir l’idée du bitcoin né contre les banques et créé pour rendre la monnaie au citoyen spolié quand tout montre que l’économie du bitcoin est complètement dépendante. Si on voulait une comparaison : le bitcoin serait une sorte de grand-duché du Luxembourg. Ce dernier est évidemment indépendant. Tout dans les traités européens l’affirme. Il n’en demeure pas moins que le grand-duché est une puissance économique qui dépend de ses voisins pour l’essentiel : approvisionnement énergétique, alimentaire, fourniture de services technologiques etc .
Le Bitcoin dépend …. De ses mineurs. Et il se trouve que les mineurs sont de plus en plus concentrés dans des zones sensibles ! Les 2/3, si ce n’est davantage de la capacité du minage dans le monde est localisé en Chine. Imaginez un instant que les Chinois décident non pas seulement de restreindre le développement du minage dans leur beau pays, mais l’interdisent et décident autoritairement de fermer tous les centres « miniers » de crypto-monnaies. Il n’y aurait quasiment plus de bitcoin (et pas seulement eux). Un peu comme si les pays de l’OPEP, lançaient un embargo total sur leur production de pétrole et de gaz. Comparaison, reconnaissons-le, n’est pas raison : le pétrole et le gaz servent à quelque chose, le bitcoin ne sert à rien, comme l’a récemment posé une étude de l’UBS.
Bien sûr on me rétorquera que cette interdiction de miner en Chine serait un bien : l’énergie nécessaire à ces activités de minage provient de la mise en service de mines de charbon, et pas du meilleur, avec tout l’impact « gaz à effet de serre » que cela représente. C’est une version euphorisante, si ce n’est que la « liberté » des bitcoiners, supposent qu’ils soient approvisionnés en matières premières : ordinateurs, réseaux et surtout, surtout électricité. Jusque-là, les bitcoiners se comportaient « librement » comme des « tapeurs », comme les gens qui s’avisent que le beau cours d’eau qui passe à côté d’eux pourrait faire un beau barrage et qui passent de l’idée à l’acte, sans se demander si les utilisateurs en aval en souffriront. Quand on est libre, ouvert et partagé, on ne se pose pas des questions aussi triviales.
Les conséquences se sont vite fait sentir dans la plupart des pays producteurs d’énergie qui, à force de constater ce comportement de prédateur égotique, posent des règles d’emploi de plus en plus strictes d’autant plus qu’une « ferme de minage » c’est beaucoup d’électricité consommée avec zéro emploi créé.
Le rêve de Thoreau est bien loin, son installation à Walden devenant de plus en plus coûteuse, il en serait vite revenu.
Mais le pire n’est pas là et les mânes de Thoreau qui, déjà souffrent de cette dérive économique, souffrent bien plus de la dérive des principes.
Les Etats au secours du Bitcoin
Si on voulait démontrer que le Bitcoin et ses principes sont une vaste pantalonnade, les récentes appels au secours du Bitcoin, en serait la parfaite illustration.
L’histoire des ETF et de l’entreprise des jumeaux Winkelvoos est emblématique : pour que leur portefeuille en bitcoin, « billionnaire », pour reprendre le grand mot à la mode des Etats-Unis, puisse se propulser vers les sommets que leurs amis et affiliés attendent : 25 000 dollars fin 2018, 50 000 un peu plus tard et 500 000, parce qu’il faut bien se donner des objectifs ambitieux, il faut, que la technique des ETF, à laquelle les bourses américaines sont habituées, soit autorisée par la SEC.
Cela devait être une promenade de santé à la fin de l’année 2017. Tout était dans la poche. La mise en place des ETF sur Bitcoin devait être précédée de la constitution d’un stock de bitcoin entre les mains des intervenants. (Des investisseurs "billionnaires", pas les ploucs, « libertaires et indépendants » à petits moyens). Aussitôt dit, aussitôt fait, les jumeaux s’employaient, ainsi que quelques hedge funds à bâtir cette réserve… et par la même occasion faisaient exploser les prix. Hélas, la SEC ne prit pas position, et les cours s’effondrèrent. Quelle conclusion en tirer ? Pas de hausse des cours du bitcoin et des autres crypto-monnaies sans intervention favorable d’un organisme régulateur dépendant, comme tous les organismes régulateurs, du Souverain (lequel n’a pas envie de déléguer sa mission à un algorithme : tiers de confiance il est, tiers de confiance il demeure).
Étonnante confusion : voilà une monnaie, qui ne repose sur rien, dont les performances techniques sont, au mieux, lamentables, dont la valeur fluctue sans cesse de 100 à 20 puis à 40 pour retourner à 15, qui se déclare monnaie révolutionnaire, annonçant la mort des banques et de toutes les institutions qui se croient « gestionnaires » de l’économie, la finance et de la monnaie). Et voilà que cette monnaie aurait besoin d’un coup de main de ces dernières pour atteindre ses objectifs. Cette façon de se prosterner devant le souverain et ses sbires est surprenante !!!
Pire est la plainte qui monte dans les milieux « bitcoin ». Songez un peu à cette déclaration d’un des gourous français, fustigeant le rapport Landau commandé par la Banque de France sur la question des monnaies cryptées et appelant ladite Banque de France à ne plus faire obstacle à l’expansion inévitable, nécessaire et séculaire des monnaies cryptées. Voilà que les choses deviennent claires : le bitcoin, comme toutes les monnaies cryptées, a besoin des Souverains. Libre le bitcoin ? Libertarienne sa doctrine ? A condition que les pouvoirs établis s’en mêlent et donnent les autorisations nécessaires et définissent les règles d’usage, les conditions selon lesquelles la promotion du bitcoin peut être faite etc.
L’apothéose vient lorsqu’un des gourous se lancent dans cette merveilleuse profession de foi : Pas d’indépendance de la Catalogne sans Bitcoin. En somme, l’Etat Catalan, mettrait en place, pour monnaie de l’indépendance, une monnaie bitcoin. Jusqu’au jour où la trouvant peu efficace et trop fluctuante, il poserait des règles de fonctionnement strictes, envoyant promener les grands principes libertariens auquel il n'a jamais adhéré.
Que conclure des errements de la Liberté, de l’indépendance et de la distribution ? Chacun saura faire sa religion mais certains critiques se demandent si le « bitcoin révolutionnaire » n’est pas devenu « bitcoin collabo ».
Le bitcoin monte et attire de braves gens. Les appels à la prudence ne manquent pas : Le gouverneur de la Banque de France, déclarait à Pékin "Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté : le bitcoin n'est en rien une monnaie, ou même une crypto-monnaie. C'est un actif spéculatif. Sa valeur et sa forte volatilité ne correspondent à aucun sous-jacent économique et ne sont la responsabilité de personne."
Le retour des institutions : entre disparition de l’anonymat et régulation des opérations
Les prix Nobel et tous les économistes de renom tirent à vue : pour Jean Tirole dans le « Financial Times », le bitcoin qui a vu « sa valeur (être) multipliée par 30.000 depuis 2011 » est une bulle financière. Un « actif sans valeur intrinsèque ». Joseph Stiglitz partage cette opinion : « (une)crypto-monnaie socialement inutile et nuisible » et les banquiers s’y sont mis : de JP.Morgan à Deutsche Bank: “Bitcoin Isn’t Going Anywhere”.
Si la patronne de la FED, Yanet jellen n’est pas inquiète « Le Bitcoin ne constitue pas une menace pour le moment dans la mesure où cette monnaie virtuelle ne joue pas pour l’heure de rôle majeur ». Mais « ce n’est pas non plus une… valeur refuge stable, et pas davantage une devise officielle » (le bitcoin représente 5 pour 1000 de la capitalisation boursière américaine).
Le bitcoin est l’objet de l’attention croissante des Etats pour trois raisons. La première tient à la fiscalité. L’anonymat des transactions conduit à des risques de pertes fiscales tant en ce qui concerne les taxes sur les transactions qu’en ce qui concerne la fiscalité des bénéfices et des plus-values. De nombreux Etats ont précisé leur doctrine et commencent à mettre en place les éléments de supervision. L’anonymat du Bitcoin va en subir les conséquences sur à peu près toutes les places du monde. La grande Révolution monétaire qui, supprimant les tiers de confiance mettait les détenteurs et opérateurs de bitcoin à l’écart, c’est-à-dire à l’abri de la curiosité des Etats et des banques est en passe de devenir un bon vieux souvenir.
Supprimer l’anonymat est la condition première pour une bonne régulation, laquelle devient une préoccupation de la part des institutions dont la mission est de s’assurer que les marchés fonctionnent équitablement dans l’esprit d’un égal accès des opérateurs. Il faut réguler les marchés des crypto-currencies. Tout d’abord parce qu’elles ont de moins en moins des « currencies » et de plus en plus des actifs, c’est-à-dire des produits qui s’échangent sur de soi-disant marchés. Ensuite, parce que les épargnants sont cesse démarchés par des gens qui estiment n’avoir pas à se plier aux règles qui s’imposent dans ce domaine.
Or, pour la plupart des régulateurs, le Bitcoin n’est pas une monnaie, c’est un actif financier : les conditions de fonctionnement des marchés doivent donc répondre à celles qui sont imposées à toutes les valeurs financières. Après la disparition de l’anonymat, disparition de la non-régulation, nous voici engagés sur une recentralisation de cette monnaie qui proposait de remplacer les Tiers de confiance par des calculs mathématiques.
Déséquilibres dans l’azur : le marché sombrerait
La principale obsession des régulateurs dans les marchés financiers : les marchés ne doivent pas être dominés par quelques-uns, les transactions doivent se dérouler de façon transparente. En d’autres termes, les acteurs sur les marchés doivent respecter des règles très contraignantes pour que les marchés ressemblent le plus possible à ce que la théorie libérale attend d’eux : une juste formation des prix et la meilleure allocation des ressources.
Les atteintes à ces règles se nomment «actions de concert», «menées oligopolistiques», «dissimulation d’informations», etc… Dans l’esprit des membres de la communauté «bitcoin» cela n’est tout simplement pas concevable.
Pourtant, la démocratie rêvée des bitcoiners des origines est mise à mal par cette simple donnée relative à la répartition en valeur entre les différents portefeuilles : les gros détenteurs pèsent entre 40 et 70% des coins en circulation. On sait que trois firmes chinoises dominent le marché de la production et du minage. Evidemment, les gros détenteurs se connaissent et se parlent. Et les opérations « pump and dump » qui relèvent de la manipulation de cours purement et simplement sont dans tous les esprits. Comment la démocratie bitcoin peut-elle fonctionner dans de pareilles conditions ?
Viennent s’ajouter des questions techniques : le bitcoin et l’ensemble des monnaies cryptées dépendent de conditions économiques et techniques de plus en plus chahutées.
En tant que monnaie le défaut du Bitcoin est d’être lent, c’est une monnaie qui prend son temps. Elle n’a pas les capacités de traitement des systèmes de paiements traditionnels. C’est pourquoi ses défenseurs ne parlent plus de monnaie mais d’actif. Parce qu’elle est très en deçà des standards des monnaies « traditionnelles » les petites transactions, celles qui ont fait vibrer les idéalistes, sont assommées par des frais, inversement, les grosses transactions sont privilégiées or ce sont des opérations financières.
Malgré une efficacité douteuse la consommation d’électricité devient de plus en plus considérable. Le bitcoin, consommerait autant d’électricité que l’Irlande tout entière… aujourd’hui. On s’attend à bien pire si son activité devait progresser. Plus le temps passe et plus les calculs « POW » sont complexes et longs, plus la consommation d’électricité progresse. Les monnaies cryptées, le bitcoin au premier chef, coûtent donc de plus en plus cher à produire, certifier, authentifier, miner, sécuriser etc….
Mais, plus grave encore : elles vivaient en profitant d’un contexte très particulier, l’égal accès et gratuit à internet. Compte tenu des nouvelles dispositions prises par le Congrès des Etats-Unis, c’est bientôt fini. Les fournisseurs d’accès vont avoir la possibilité de réserver leurs services soit aux utilisations les moins lourdes soit aux utilisations acceptant de payer des frais plus élevés. Face à la demande des acteurs du bitcoin, ils pourraient privilégier certaines plateformes plutôt que d’autres.
Selon Emin Gün Sirer, professeur en informatique au sein de l’université Cornell “Les applications de pair à pair pourraient être grandement affectées, dans la mesure où elles ne font pas partie des 100 destinations les plus populaires du web. Les fournisseurs d’accès pourraient expliquer que, comme l’accès à ces services plus confidentiels leur coûte plus cher, les utilisateurs devront supporter des coûts supplémentaires.”
Dans ces conditions conclue-t-il “ ceci peut affecter la possibilité de monter un nœud Bitcoin.”
Pour résumer : le bitcoin ne sera plus anonyme, il ne sera plus décentralisé, trop lent, son usage en fera un actif et non pas une monnaie. De toute façon, en tant que monnaie, il sera de plus en plus cher à produire et, dans les prochaines années, ne pourra plus avoir accès aux réseaux internet aussi librement qu’auparavant.
Décidément, sale temps pour le bitcoin
Il vous suffira de tendre la main, vers les librairies du net,
Babelio, Amazon, Fnac, books.google, BOD librairie et l'éditeur: Arnaud Franel Editions
Panthéon au Carré est disponible aux éditions de la Route de la Soie.
Promotion est disponible chez Numeriklivre et dans toutes les librairies "digitales"
Au Pays de l'Eau et des Dieux est disponible chez Jacques Flament Editeur ainsi que
La Désillusion, le retour de l'Empire allemand, le Bunker et "Survivre dans un monde de Cons".
"La bataille mondiale des matières premières", "le crédit à moyen et long terme" et "Les multinationales contre les Etats" sont épuisés.
S'inscrire
chaque semaine "La" newsletter (tous les lundis)
et "Humeur" (tous les jeudis)
Il vous suffit de transmettre vos coordonnées "Mel" à l'adresse suivante
pordonneau@gmail.com