Bitcoin et sous-jacence monétaire

   Le Bitcoin, son sous-jacent, sa valeur  

 

Lorsque je dis que la notion de sous-jacent de la monnaie est une erreur épistémologique, j’ai bien conscience que je balance une pierre dans l’eau lisse et sereine de la science économique. Qu’on se rassure, je ne pense pas un instant que les économistes sont incultes… encore que si je suivais Keynes dans ses pensées il est probable que je ne serais pas aussi définitif. Et puis, qu’on se souvienne de cette célèbre formule « la guerre est une chose trop sérieuse pour qu’on la confie à des militaires ». Imaginons qu’on la paraphrase.

 

Vincent qui n’est pas avare de créativité a proposé un raisonnement que je trouve assez passionnant, rapprochant la valeur du bitcoin, telle qu’elle apparait ces derniers temps, à son coup de minage, c’est-à-dire essentiellement sa consommation d’électricité. La valeur du bitcoin propose-t-il, serait-elle alors, le reflet de son coût de production.

 

Valeur de la monnaie, valeur du sous-jacent ?

 

En d’autres termes, la valeur du « sous-jacent » dirait la valeur de la monnaie. Ou pour pousser l’expérience de pensée jusqu’au bout : sans sous-jacent (ou pire, avec un sous-jacent sans valeur) pas de monnaie qui ait de la valeur c’est-à-dire pas de monnaie du tout, car qui, au regard de n’importe laquelle des fonctions aristotéliciennes de la monnaie, ferait confiance à une monnaie sans valeur ? Si le sous-jacent nous parlait vraiment de la valeur d’une monnaie, si la monnaie ne vaut pas rien et surtout, ne vaut pas « moins que rien », alors le sous-jacent ne pourrait pas être ni une chose, ni un service, ni un évènement négatifs. Pour caricaturer, il ne serait pas concevable qu’une monnaie ait pour sous-jacent de l’anti-matière. De l’or, oui, du platine, oui sûrement, du blé pourquoi pas, du tabac, cela a existé, mais de l’anti-matière surement pas ! On pourra dire qu’ici on pousse l’expérience de pensée trop loin et qu’on convoque des notions qui n’ont strictement aucun rapport avec les phénomènes économiques.

 

Convenons-en pourtant, recourir à une valeur négative pour essayer de conceptualiser une forme audacieuse de sous-jacent, n’est pas un procédé de pensée inintéressant. Elle nous dit que le sous-jacent d’une monnaie ne peut pas être affecté d’un signe moins….

 

Si sous-jacent il y a, il ne peut jamais être une valeur négative

 

Or, la démonstration de Vincent tombe justement dans ce travers. Il nous propose « La production d’électricité pour le minage peut-elle être assimilée à un (petit) sous-jacent économique du Bitcoin ? Comment cela se compare-t-il avec le coût d’extraction de l’or ? ». Evidemment quand on pense production d’électricité, on pense à quelque chose de positif. On n’aurait pas de difficulté à penser que le pétrole, le charbon, le lignite pourrait faire de bons sous-jacents pour la monnaie, si la monnaie avait besoin d’un sous-jacent. Alors, l’électricité ? C’est à nouveau sur un plan épistémologique qu’on est contraint de se placer. Par un glissement de pensée assez naturel, Vincent ne dit pas, comme il aurait pu dire que le pétrole pourrait être un sous-jacent plausible, l’électricité etc…. il dit, « la production d’électricité pourrait bien être un sous-jacent (il dit « petit sous-jacent », mais là, j’ai un peu de mal à le suivre : je ne sais pas ce que peut être un « petit sous-jacent », ni même, pour être complet, ne saurais-je identifier un « gros sous-jacent » - une histoire d’iceberg, peut-être). Aurait-on pu dire que la production de pétrole est un sous-jacent plausible pour la monnaie ? Non au sens « réaliste » que les propositions sur l’électricité induisent ! Non, au sens du sous-jacent que propose Vincent ! Oui, si, on propose que la monnaie vaut à raison de la capacité de production, et de la production elle-même, de pétrole d’un pays ou d’un groupe de pays, ce qui revient à dire que le sous-jacent de la monnaie n’est ni plus ni moins que la PIB d’une nation, partiellement (rien que le pétrole), subtilement (rien que le pétrole, le charbon et le blé), ou totalement (le PIB.. mais pas plus !). Et voilà pourquoi, on a parlé à d’erreur épistémologique : Si un sous-jacent monétaire peut se penser, on ne peut pas penser qu’il sera négatif, il doit être positif (du pétrole, du charbon, du blé) ou partiellement ou totalement contributif (du PNB, augmenté ou sélectionné). Il ne sera jamais négatif.

Dans ces conditions, on ne peut affirmer que le sous-jacent d’une monnaie est une destruction ! ni soutenir que la force du sous-jacent réside dans son aptitude à disparaître. Or, c’est exactement ce à quoi revient de poser que le sous-jacent d’une monnaie réside dans la consommation de quelque chose : d’électricité par exemple.

 

La sous-jacence d’une monnaie est un concept biaisé

 

Pour aller un peu plus loin dans cette démonstration : les monnaies dont on dit qu’elles ont l’or pour sous-jacent n’on jamais valorisé ce sous-jacent en fonction de la consommation d’outils ou de main-d’œuvre. Pas davantage, ces monnaies n’ont-elles prétendu que l’or sous-jacent, correspondait à la consommation d’or dans le pays concerné ou les autres pays dans le monde. Il ne serait jamais venu à l’idée d’un indien d’intégrer l’or posé en petites feuilles sur les toits de temples, en tant qu’élément sous-jacent de la monnaie. L’or « consommé » est « détruit » en tant qu’or c’est-à-dire en tant que candidat à la « sous-jacence monétaire » (si je puis m’exprimer ainsi). Il faut que des Espagnols « ivres d’un rêve héroïque et brutal » fondent toutes les œuvres d’art incas, religieuses ou non, en barres ou lingots d’or pour que le fameux sous-jacent réémerge du néant de l’art et assume sa candidature à la « sous-jacence » monétaire.

 

Peut-être, pour éviter, le risque épistémologique, aurait-on pu dire qu’en mentionnant la consommation d’électricité, on voulait dire « stocks d’électricité » ? En vérité, ce faisant, on aurait montré que ce risque (épistémologique) est vraiment très grand (entretenant la confusion, classique, entre flux et stocks) et que, finalement, on ne peut échapper à ce constat : le sous-jacent est une construction intellectuelle biaisée. Pour rester sur le plan de l’expérience de pensée, tout en se rapprochant de l’expérience de marché, on montrera aisément que l’idée qu’un sous-jacent monétaire puisse avoir un rapport avec la consommation n’est absolument pas satisfaisante : il suffit d’imaginer un pays dont la consommation est totalement importée et dont la population ne cesse d’accroitre ce qu’elle dépense. Le sous-jacent progresserait. On peut fortement douter que cela donnerait des couleurs à la valeur de sa monnaie.

 

Pour conclure sur cette passionnante question :

-      La valeur d’une monnaie, n’a rien à voir avec un quelconque sous-jacent

-      Le concept de sous-jacent « fondement » de la monnaie est un non-sens : une erreur épistémologique -      Si, cependant, pour des raisons de pédagogie, on insistait sur cette « valeur illusoire », le sous-jacent utilisé ne pourra jamais être une valeur négative, ou pire encore, une non-valeur.

-      En revanche, le concept très fragile de sous-jacent monétaire peut être durci et vivifié, en le renvoyant à des actes constructifs et non à des stocks passifs, ou à des comportements destructifs.

-      Plus généralement, pour déterminer la valeur d’une monnaie, il vaut mieux éviter des comparaisons avec l’or par exemple : leurs fondements sont fragiles.      

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