paru dans le cercle les échos.
Les cryptomonnaies, ces prétendues valeurs refuges "mieux que l’or", dévissent à la première crise grave, observe Pascal Ordonneau. Il faut regarder leur nature en face, dit-il. La cryptomonnaie n'est pas une monnaie.
(ancien PDG de HSBC invoice finance)
Publié le 16 mars 2020 à 15h23Mis à jour le 16 mars 2020 à 15h28
C’est devenu une routine : commenter les cours du bitcoin pour en tirer la conclusion que c’est tout sauf une monnaie. Pire, c’est même tout sauf un actif financier. Et quand on dit « bitcoin », on dit évidemment toute sorte de monnaies cryptées.
Reprenons quelques idées qui ont eu cours pendant quelques années sur le bitcoin, monnaie du futur et or numérique. Le bitcoin s’était pendant tout un temps paré des plumes libertariennes. Il était devenu le champion du "soft-anarchisme" américain et avait enfin permis aux penseurs transcendantalistes américains, Thoreau et Emerson de quitter les forêts et le lac de Walden pour faire des vastes villes modernes leurs territoires de pensée et d’action.
Les tiers de confiance étaient volatilisés : ils avaient "volé" la monnaie ! Le bitcoin et les autres cryptomonnaies allaient rendre au peuple un bien commun dont ils avaient été dépossédés. L’anonymat serait total, ainsi les molochs de la donnée seraient dans l’incapacité de la siphonner. Les Etats, démocratiques ou non, ne pourraient plus se saisir d’informations confidentielles. La valeur serait enfin protégée des supposées tentatives de spoliation des souverains et autres puissances malfaisantes.
Le bitcoin serait plus léger que les billets et certainement moins compliqué à transporter que l’or. Sorti de la soupe primordiale des 0 et des 1, il aurait la pureté de l’or et son imputrescibilité. Il en aurait aussi la rareté puisque sa production devait être limitée. Il en aurait le charme technique : produire de l’or pur est une prouesse technique qui n’aurait d’équivalent que le minage des blocs de chaînes et de "proofs" de toutes natures.
Et le coronavirus arrive
La vie réelle apporte désillusions. Le bitcoin avait à peine frôlé les 20.000 dollars qu’il plongeait vers les 3.000. Puis, on l’avait pensé rétabli récupérant un cours touchant les 10.000. Ce devait être une base de départ pour les envolées du trading. Les 50.000 étaient décidément à portée de bourse, préfigurant les conquêtes futures qui verraient les monnaies cryptées faire boire la ciguë jusqu’à la lie aux grandes "fiat" monnaies et à leurs émetteurs.
La crise s’annonçait grave et le monde allait connaître sûrement un de ces retournements qui mettrait à plat les banques centrales et verrait le bitcoin en arbitre du monde monétaire et financier. Le nouvel or protecteur serait partout recherché. Sa valeur progresserait à vive allure, comme il en est de tous les actifs financiers qui rassurent. Sa fonction monétaire se réincarnerait après. Une fois les vanités monétaires souveraines essorées, la nouvelle monnaie l’emporterait d’évidence.
Et puis la crise est venue. Pas une crise économique comme tout le monde s’y attendait, mais une crise à conséquences économiques et financières lourdes. Avec des morts. Pas des banques qui s’effondrent mais des hommes et des femmes victimes de la pandémie de Covid-19. Une crise qui n’a rien à voir avec la chute des cours de Bourse. Une crise qui fait fuir des populations et pas seulement des traders.
Ils avaient cru aux promesses du bitcoin à 10.000 ? Les voilà avec un bitcoin revenu tutoyer les 4.000. Pendant ce temps, l’or, relique qu'on croyait devenue sénile après avoir été barbare, faisait une course à la valeur, pulvérisant tous ses records antérieurs. La valeur refuge des temps anciens allait-elle devenir celle des temps futurs ?
On pourrait objecter que tout ceci est très événementiel. Après tout, pourquoi ne pas croire dans le bitcoin quand on voit à quel point les banques centrales, qui détenaient le monopole de l’émission de monnaie, ont perdu en crédibilité et, surtout, en efficacité. N’entend-on pas ici et là des commentateurs critiquer les bilans obèses de ces dernières et les juger si lourdes qu’elles sont devenues incapables de se mouvoir. Il faudrait, entend-on, laisser tomber ces pachydermes antiques et se passer d’eux plutôt que de leur enjoindre des interventions dont ils sont de plus en plus incapables. Il faudrait agir fort et vite : envoyer des chèques aux agents économiques, les arroser d’argent pour qu’à la fin, pressentant qu’à les accumuler leur valeur finirait par se dissiper, ils soient consommés massivement.
Mais, au fait, qu'est-ce vraiment que la monnaie?
Justement, quelle place pour les monnaies cryptées dans ce jeu surnommé «helicopter Ben», du nom de Ben Bernanke et de ses recommandations aux Japonais qui voulaient relancer leur économie en panne ? Aucune, car, pour pouvoir dépenser une monnaie cryptée, toute parée de ses vertus d’anonymat, de discrétion et de mondialisme, il faut encore qu’elle soit acceptée.
Dilemme que doivent tous affronter ceux qui croient dans les nouveaux systèmes de paiement. Les monnaies qui n’ont pas le souverain derrière elles, mais des algorithmes obscurs ne sont pas crédibles, n’étant pas acceptées sans limitations et sans délais. Ce n’est pas une monnaie de transaction.
Le bitcoin vient d'ailleurs de se faire doubler par les choses les plus solides dans le monde économique : l’or et... l’immobilier ! Les "soft-money" se fracassent contre les valeurs les plus lourdes ! Le bitcoin n’est donc pas une monnaie de conservation de valeur.
Pour payer notre tribut à Aristote, devrions-nous proclamer le bitcoin et les autres: «étalon des valeurs d’échange des biens et des services entre eux». Aristote avait posé que ces trois fonctions, transaction, conservation, étalon de valeur, caractérisaient la monnaie. Il n’avait pas mis l’une des fonctions au-dessus des deux autres. Pourtant, ce rôle d’étalon est au premier plan. C’est la vraie fonction de la monnaie. C’est pourquoi elle vient du souverain (que ce dernier soit le peuple ou l’autocrate).
La monnaie est une norme qui ressortit d’un acte de souveraineté. Comme le sont la loi, la justice, la paix intérieure et extérieure. La monnaie en tant qu’étalon est un élément incontournable de la cohésion sociale. Elle est un étalon comme il est des étalons de poids, de longueur, de volumes et de temps. Et, parce qu’elle a à faire avec les liens les plus essentiels à la société, elle ne peut être considérée ni comme un bien, ni comme un service économique classique et banal. C'est un lien social.
De même qu’on ne peut pas concevoir une justice qui serait déléguée à des opérateurs privés comme il en est pour les transports ferroviaires, en concurrence sur les mêmes rails pour délivrer des services de même nature, on ne peut pas imaginer que la monnaie, son émission et sa gestion soit le fait d’entreprises privées en concurrence les unes avec les autres au motif que la concurrence est le mode de la gestion efficace des sociétés modernes entre soft power et exploitations de données privées.
Pas plus que l’initiative des lois, que l’exercice de la justice, que la garantie de la paix et de la sécurité des citoyens, les monnaies ne peuvent être abandonnées à des entreprises faisant valoir le jeu de leurs concurrences pour attirer le chaland, la monnaie ne peut pas être le jouet de techniques informatiques plus ou moins bien sécurisées. Si la concurrence entre monnaies publiques a depuis longtemps fait l’objet de controverses vives, si la manipulation des étalons est d’ordre douteux, la concurrence « open » est condamnable.
Elle l'est au nom des principes qu’on a évoqués plus haut, mais aussi au vu des carences et des insuffisances des monnaies cryptées telles qu’on les a présentées en exergue de cette chronique.
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