Cette rubrique comporte:
- L'arrêt du 22 octobre 2015 de La Cour de Justice Européenne agissant en matière fiscale sur la taxation des transactions impliquant le Bitcoin.
- Les conclusions de l'Avocat Général
- Un commentaire de cet arrêt en quatre parties et une conclusion, intégralement publié par le Huffington Post.
Bitcoin ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
22 octobre 2015 (*)
«Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 2, paragraphe 1, sous c), et 135, paragraphe 1, sous d) à f) – Services à titre onéreux – Opérations de change de la devise virtuelle ‘bitcoin’ contre des devises traditionnelles – Exonération»
Dans l’affaire C‑264/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour administrative suprême, Suède), par décision du 27 mai 2014, parvenue à la Cour le 2 juin 2014, dans la procédure
Skatteverket
contre
David Hedqvist,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. Šváby, A. Rosas (rapporteur), E. Juhász et C. Vajda, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 juin 2015,
considérant les observations présentées:
– pour le Skatteverket, par M. M. Loeb, en qualité de conseiller juridique,
– pour M. Hedqvist, par Me A. Erasmie, advokat, et M. F. Berndt, jur. kand.,
– pour le gouvernement suédois, par Mme A. Falk et M. E. Karlsson, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement estonien, par Mme K. Kraavi-Käerdi, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et M. Owsiany-Hornung ainsi que par MM. K. Simonsson et J. Enegren, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 juillet 2015,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, paragraphe 1, et 135, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive TVA»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Skatteverket (administration fiscale suédoise) à M. Hedqvist, au sujet d’un avis préalable donné par la commission de droit fiscal (Skatterättsnämnden) sur la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée des opérations de change de devises traditionnelles contre la devise virtuelle «bitcoin», ou inversement, que M. Hedqvist souhaite effectuer par l’entremise d’une société.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes de l’article 2 de la directive TVA:
«1. Sont soumises à la TVA les opérations suivantes:
a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel;
[…]
c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel;
[…]»
4 L’article 14, paragraphe 1, de cette directive prévoit:
«Est considéré comme ‘livraison de biens’, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»
5 L’article 24, paragraphe 1, de ladite directive est libellé comme suit:
«Est considérée comme ‘prestation de services’ toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens.»
6 L’article 135 de la directive TVA dispose:
«1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes:
[…]
d) les opérations, y compris la négociation, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances;
e) les opérations, y compris la négociation, portant sur les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux, à l’exception des monnaies et billets de collection, à savoir les pièces en or, en argent ou en autre métal, ainsi que les billets, qui ne sont pas normalement utilisés dans leur fonction comme moyen de paiement légal ou qui présentent un intérêt numismatique;
f) les opérations, y compris la négociation mais à l’exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d’associations, les obligations et les autres titres, à l’exclusion des titres représentatifs de marchandises et des droits ou titres visés à l’article 15, paragraphe 2;
[…]»
Le droit suédois
7 Sous le chapitre 1 de la loi (1994:200) relative à la taxe sur la valeur ajoutée [mervärdesskattelagen (1994:200), ci–après la «loi relative à la TVA»], l’article 1er prévoit que la TVA est due à l’État pour les livraisons ou les prestations sur le territoire national de biens ou de services imposables effectuées par un assujetti agissant en tant que tel.
8 Le chapitre 3 de cette loi comporte un article 23, paragraphe 1, en vertu duquel sont exonérées de la TVA les livraisons de billets de banque et de pièces de monnaie qui constituent des moyens de paiement légaux, à l’exception des objets de collection, à savoir les pièces en or, en argent ou en autre métal, ainsi que les billets, qui ne sont pas normalement utilisés dans leur fonction comme moyen de paiement légal ou qui présentent un intérêt numismatique.
9 Sous ce même chapitre 3, l’article 9 prévoit l’exonération des prestations de services bancaires et financiers ainsi que les opérations de change de valeurs mobilières et les opérations similaires. Les services bancaires et financiers n’incluent pas les activités notariales, les services de recouvrement et les services administratifs portant sur l’affacturage ou la location d’espaces de stockage.
Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles
10 M. Hedqvist souhaite fournir, par l’intermédiaire d’une société, des services consistant en l’échange de devises traditionnelles contre la devise virtuelle «bitcoin», et inversement.
11 Il ressort de la décision de renvoi que la devise virtuelle «bitcoin» est utilisée, à titre principal, pour les paiements entre particuliers sur Internet ainsi que sur certaines boutiques en ligne acceptant cette devise. Cette devise virtuelle n’a pas d’émetteur unique, mais est directement créée au sein d’un réseau par le biais d’un algorithme spécial. Le système de la devise virtuelle «bitcoin» autorise la détention et le transfert à titre anonyme de sommes de «bitcoin» au sein du réseau par les utilisateurs détenant des adresses «bitcoin». Une adresse «bitcoin» pourrait être comparée à un numéro de compte bancaire.
12 Se référant à un rapport de l’année 2012 de la Banque centrale européenne sur les devises virtuelles, la juridiction de renvoi indique qu’une devise virtuelle peut être définie comme un type de monnaie numérique non réglementée, émise et vérifiée par ses développeurs et acceptée par les membres d’une communauté virtuelle spécifique. La devise virtuelle «bitcoin» fait partie des devises virtuelles dites «à flux bidirectionnel», que les utilisateurs peuvent acheter et vendre sur la base de taux de change. De telles devises virtuelles sont analogues aux autres devises échangeables s’agissant de leur usage dans le monde réel. Elles permettent d’acheter des biens et des services aussi bien réels que virtuels. Les devises virtuelles se distinguent de la monnaie électronique, telle que définie dans la directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE (JO L 267, p. 7), dans la mesure où, à la différence de cette monnaie, dans le cas des devises virtuelles les fonds sont exprimés non pas en l’unité de compte traditionnelle, par exemple, en euro, mais en une unité de compte virtuelle, telle que le «bitcoin».
13 La juridiction de renvoi indique que les opérations dont M. Hedqvist envisage la réalisation auraient lieu sous forme électronique, au moyen du site Internet de sa société. Cette société achèterait des unités de la devise virtuelle «bitcoin» directement auprès des particuliers et des entreprises, ou bien sur une bourse d’échange internationale. Ces unités seraient ensuite revendues par ladite société sur une telle bourse d’échange ou seraient stockées. La société de M. Hedqvist vendrait également de telles unités aux particuliers ou aux entreprises qui auraient effectué une commande sur son site Internet. Dans l’hypothèse où le client aurait accepté le prix en couronnes suédoises proposé par la société de M. Hedqvist et qu’un paiement aurait été reçu, les unités de la devise virtuelle «bitcoin» vendues seraient automatiquement envoyées à l’adresse «bitcoin» indiquée. Les unités de la devise virtuelle «bitcoin» vendues par cette société seraient soit celles qu’elle achèterait sur la bourse d’échange directement après que le client aurait passé sa commande, soit celles qu’elle aurait déjà en stock. Le prix proposé par ladite société aux clients serait déterminé en fonction du prix en vigueur sur une bourse d’échange spécifique, auquel serait ajouté un certain pourcentage. La différence entre le prix d’achat et le prix de vente constituerait le bénéfice de la société de M. Hedqvist. Cette société ne facturerait pas d’autres frais.
14 Les opérations que M. Hedqvist projette d’effectuer se limiteraient donc à l’achat et à la vente d’unités de la devise virtuelle «bitcoin» en échange de devises traditionnelles, telles que la couronne suédoise, ou inversement. Il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’elles porteraient sur des paiements en «bitcoin».
15 Avant de commencer à effectuer de telles opérations, M. Hedqvist a demandé un avis préalable à la commission de droit fiscal en vue de savoir si la TVA devrait être acquittée lors de l’achat et de la vente d’unités de la devise virtuelle «bitcoin».
16 Dans un avis du 14 octobre 2013, cette commission a considéré, sur le fondement de l’arrêt First National Bank of Chicago (C‑172/96, EU:C:1998:354), que M. Hedqvist offrira un service de change effectué à titre onéreux. Elle a toutefois jugé que ce service de change relève de l’exonération prévue à l’article 9 figurant sous le chapitre 3 de la loi relative à la TVA.
17 Selon la commission de droit fiscal, la devise virtuelle «bitcoin» est un moyen de paiement utilisé de manière analogue aux moyens de paiement légaux. Par ailleurs, l’expression «moyens de paiement légaux» figurant à l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA serait utilisée afin de restreindre le champ d’application de l’exonération portant sur les billets de banque et les pièces de monnaie. Il en résulterait que cette expression devrait être comprise en ce sens qu’elle ne concerne que les billets de banque et les pièces, et non pas les devises. Cette interprétation serait également conforme à l’objectif visé par les exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous b) à g), de la directive TVA, à savoir éviter les difficultés afférentes à la soumission à la TVA des services financiers.
18 Le Skatteverket a formé un recours contre la décision de la commission de droit fiscal devant le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour administrative suprême), en faisant valoir que le service visé par la demande de M. Hedqvist ne relève pas de l’exonération prévue au chapitre 3, article 9, de la loi relative à la TVA.
19 M. Hedqvist soutient, quant à lui, que le recours formé par le Skatteverket doit être rejeté et que l’avis préalable de la commission de droit fiscal doit être confirmé.
20 La juridiction de renvoi est d’avis qu’il pourrait être déduit de l’arrêt First National Bank of Chicago (C‑172/96, EU:C:1998:354) que les opérations de change d’une devise virtuelle contre une devise traditionnelle, et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge entre le prix d’achat payé par l’opérateur et le prix de vente pratiqué par celui-ci constituent des prestations de services effectuées à titre onéreux. Dans une telle hypothèse, se poserait la question de savoir si ces opérations relèvent de l’une des exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA, pour les services financiers, plus précisément celles figurant aux points d) à f) de cette disposition.
21 Éprouvant des doutes quant à la question de savoir si l’une de ces exonérations s’applique à de telles opérations, le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 2, paragraphe 1, de la directive TVA doit-il être interprété en ce sens que les opérations prenant la forme de ce qui est décrit comme l’échange de devises virtuelles contre des devises traditionnelles, et inversement, effectué moyennant une contrepartie que le prestataire intègre dans le calcul du taux de change, constituent des prestations de services effectuées à titre onéreux?
2) Dans l’affirmative, l’article 135, paragraphe 1, [de cette directive] doit‑il être interprété en ce sens que les opérations de change telles qu’elles ont été décrites ci‑dessus sont exonérées?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
22 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que constituent des prestations de services effectuées à titre onéreux, au sens de cette disposition, des opérations, telles que celles en cause au principal, qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle «bitcoin», et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients.
23 L’article 2, paragraphe 1, de la directive TVA énonce que sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.
24 Il convient de constater, en premier lieu, que la devise virtuelle à flux bidirectionnel «bitcoin», qui sera échangée contre des devises traditionnelles dans le cadre d’opérations de change, ne peut être qualifiée de «bien corporel» au sens de l’article 14 de la directive TVA étant donné que, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 17 de ses conclusions, cette devise virtuelle n’a pas d’autres finalités que celle de moyen de paiement.
25 Il en est de même des devises traditionnelles, dès lors qu’il s’agit de monnaies qui sont des moyens de paiement légaux (voir, en ce sens, arrêt First National Bank of Chicago, C‑172/96, EU:C:1998:354, point 25).
26 En conséquence, les opérations en cause au principal, qui consistent en l’échange de différents moyens de paiement, ne relèvent pas de la notion de «livraison de biens», prévue audit article 14 de la directive. Dans ces conditions, ces opérations constituent des prestations de services, au sens de l’article 24 de la directive TVA.
27 S’agissant, en second lieu, du caractère onéreux d’une prestation de services, il convient de rappeler qu’une prestation de services n’est effectuée «à titre onéreux» au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, et n’est dès lors assujettie à la TVA, que s’il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue par l’assujetti (arrêts Loyalty Management UK et Baxi Group, C‑53/09 et C‑55/09, EU:C:2010:590, point 51 ainsi que jurisprudence citée, et Serebryannay vek, C‑283/12, EU:C:2013:599, point 37). Un tel lien direct est établi lorsqu’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire (arrêt Le Rayon d’Or, C‑151/13, EU:C:2014:185, point 29 et jurisprudence citée).
28 Dans l’affaire au principal, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour qu’il existerait entre la société de M. Hedqvist et ses cocontractants un rapport juridique synallagmatique dans le cadre duquel les parties à l’opération s’engageraient réciproquement à céder des montants dans une certaine devise et à en recevoir la contre-valeur dans une devise virtuelle à flux bidirectionnel, ou inversement. Il est également exposé que cette société serait rémunérée pour sa prestation de services par une contrepartie correspondant à la marge qu’elle intègrerait dans le calcul des cours de change auxquels elle serait disposée à vendre et à acheter les devises concernées.
29 La Cour a déjà jugé qu’est dépourvu de pertinence, aux fins de la détermination du caractère onéreux d’une prestation de services, le fait qu’une telle rémunération ne prend pas la forme d’un versement d’une commission ou d’un paiement de frais spécifiques (arrêt First National Bank of Chicago, C‑172/96, EU:C:1998:354, point 33).
30 Il y a lieu de considérer, au regard des considérations qui précèdent, que des opérations, telles que celles en cause au principal, constituent des prestations de services effectuées contre remise d’une contrepartie qui présente un lien direct avec le service rendu, c’est-à-dire des prestations de services à titre onéreux, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA.
31 Dès lors, il convient de répondre à la première question que l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que constituent des prestations de services effectuées à titre onéreux, au sens de cette disposition, des opérations, telles que celles en cause au principal, qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle «bitcoin», et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients.
Sur la seconde question
32 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 135, paragraphe 1, sous d) à f), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que sont exonérées de la TVA des prestations de services, telles que celles en cause au principal, qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle «bitcoin», et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients.
33 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, les exonérations visées à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA constituent des notions autonomes du droit de l’Union ayant pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre (voir, notamment, arrêts Skandinaviska Enskilda Banken, C‑540/09, EU:C:2011:137, point 19 ainsi que jurisprudence citée, et DTZ Zadelhoff, C‑259/11, EU:C:2012:423, point 19).
34 Il est également de jurisprudence constante que les termes employés pour désigner lesdites exonérations sont d’interprétation stricte, étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (arrêts Ludwig, C‑453/05, EU:C:2007:369, point 21, et DTZ Zadelhoff, C‑259/11, EU:C:2012:423, point 20).
35 Toutefois, l’interprétation desdits termes doit être conforme aux objectifs poursuivis par les exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA et respecter les exigences du principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA. Ainsi, cette règle d’interprétation stricte ne signifie pas que les termes utilisés pour définir les exonérations visées audit article 135, paragraphe 1, doivent être interprétés d’une manière qui priverait celles-ci de leurs effets (voir, notamment, arrêts Don Bosco Onroerend Goed, C‑461/08, EU:C:2009:722, point 25; DTZ Zadelhoff, C‑259/11, EU:C:2012:423, point 21, et J.J. Komen en Zonen Beheer Heerhugowaard, C‑326/11, EU:C:2012:461, point 20).
36 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous d) à f), visent notamment à pallier les difficultés liées à la détermination de la base d’imposition ainsi que du montant de la TVA déductible (voir, notamment, arrêt Velvet & Steel Immobilien, C‑455/05, EU:C:2007:232, point 24, ainsi que ordonnance Tiercé Ladbroke, C‑231/07 et C‑232/07, EU:C:2008:275, point 24).
37 Au demeurant, les opérations exonérées de la TVA en vertu de ces dispositions sont, par leur nature, des opérations financières, bien qu’elles ne doivent pas nécessairement être effectuées par les banques ou par les établissements financiers (voir arrêts Velvet & Steel Immobilien, C‑455/05, EU:C:2007:232, points 21 et 22 ainsi que jurisprudence citée, et Granton Advertising, C‑461/12, EU:C:2014:1745, point 29).
38 S’agissant, en premier lieu, des exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA, il convient de rappeler que, aux termes de cette disposition, les États membres exonèrent les opérations concernant notamment «les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce».
39 Les opérations exonérées en vertu de ladite disposition sont donc définies en fonction de la nature des prestations de services fournies. Pour être qualifiés d’opérations exonérées, les services en question doivent former un ensemble distinct, apprécié de façon globale, qui a pour effet de remplir les fonctions spécifiques et essentielles d’un service décrit à cette même disposition (voir arrêt Axa UK, C‑175/09, EU:C:2010:646, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).
40 Il ressort du libellé de l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA, lu à la lumière de l’arrêt Granton Advertising (C‑461/12, EU:C:2014:1745, points 37 et 38), que les opérations visées à cette disposition concernent des services ou des instruments dont le mode de fonctionnement implique un transfert d’argent.
41 En outre, ainsi que l’a exposé Mme l’avocat général aux points 51 et 52 de ses conclusions, ladite disposition ne vise pas les opérations qui portent sur la monnaie elle-même, celles-ci faisant l’objet d’une disposition spécifique, à savoir l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA.
42 La devise virtuelle «bitcoin» étant un moyen de paiement contractuel elle ne saurait, d’une part, être regardée ni comme un compte courant ni comme un dépôt de fonds, un paiement ou un virement. D’autre part, à la différence des créances, des chèques et des autres effets de commerce visés à l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA, elle constitue un moyen de règlement direct entre les opérateurs qui l’acceptent.
43 Partant, des opérations telles que celles au principal ne relèvent pas du champ d’application des exonérations prévues à cette disposition.
44 S’agissant, en deuxième lieu, des exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA, cette disposition prévoit que les États membres exonèrent les opérations portant notamment sur «les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux».
45 À cet égard, il convient de rappeler que les notions employées à ladite disposition doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme à la lumière des versions établies dans l’ensemble des langues de l’Union (voir, en ce sens, arrêts Velvet & Steel Immobilien, C‑455/05, EU:C:2007:232, point 16 ainsi que jurisprudence citée, et Commission/Espagne, C‑189/11, EU:C:2013:587, point 56).
46 Ainsi que l’a exposé Mme l’avocat général aux points 31 à 34 de ses conclusions, les différentes versions linguistiques de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA ne permettent pas de déterminer sans ambiguïté si cette disposition s’applique aux seules opérations portant sur les devises traditionnelles ou bien si, en revanche, elle vise également les opérations impliquant une autre devise.
47 En présence de divergences linguistiques, la portée de l’expression concernée ne saurait être appréciée sur la base d’une interprétation exclusivement textuelle. Il convient d’interpréter cette expression à la lumière du contexte dans lequel elle s’inscrit, des finalités et de l’économie de la directive TVA (voir arrêts Velvet & Steel Immobilien, C‑455/05, EU:C:2007:232, point 20 ainsi que jurisprudence citée, et Commission/Espagne, C‑189/11, EU:C:2013:587, point 56).
48 Ainsi que cela a été rappelé aux points 36 et 37 du présent arrêt, les exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA visent notamment à pallier les difficultés liées à la détermination de la base d’imposition ainsi que du montant de la TVA déductible qui surgissent dans le cadre de l’imposition des opérations financières.
49 Or, les opérations portant sur des devises non traditionnelles, c’est-à-dire autres que les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux dans un ou plusieurs pays, pour autant que ces devises ont été acceptées par les parties à une transaction en tant que moyen de paiement alternatif aux moyens de paiement légaux et n’ont pas une finalité autre que celle de moyen de paiement, constituent des opérations financières.
50 En outre, ainsi que M. Hedqvist l’a fait valoir en substance lors de l’audience, dans le cas particulier d’opérations telles que les opérations de change, les difficultés liées à la détermination de la base d’imposition et du montant de la TVA déductible peuvent être identiques, qu’il s’agisse d’échange de devises traditionnelles, normalement exonéré en vertu de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA, ou d’échange, d’une part, de telles devises contre, d’autre part, des devises virtuelles à flux bidirectionnel qui, sans être des moyens de paiement légaux, constituent un moyen de paiement accepté par les parties à une transaction, et inversement.
51 Il résulte donc du contexte et de la finalité dudit article 135, paragraphe 1, sous e), qu’une interprétation de cette disposition selon laquelle elle vise les opérations portant sur les seules devises traditionnelles reviendrait à la priver d’une partie de ses effets.
52 Dans l’affaire au principal, il est constant que la devise virtuelle «bitcoin» n’a pas d’autres finalités que celle de moyen de paiement et qu’elle est acceptée à cet effet par certains opérateurs.
53 Par conséquent, il y a lieu de conclure que l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA vise également les prestations de services, telles que celles en cause au principal, qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle «bitcoin», et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients.
54 S’agissant, en dernier lieu, des exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA, il suffit de rappeler que cette disposition vise notamment les opérations portant sur «les actions, les parts de sociétés ou d’associations [et] les obligations», à savoir des titres conférant un droit de propriété sur des personnes morales, ainsi que sur les «autres titres», lesquels doivent être considérés comme étant d’une nature comparable par rapport aux titres spécifiquement mentionnés à ladite disposition (arrêt Granton Advertising, C‑461/12, EU:C:2014:1745, point 27).
55 Or, il est constant que la devise virtuelle «bitcoin» ne constitue ni un titre conférant un droit de propriété sur des personnes morales ni un titre d’une nature comparable.
56 Dès lors, les opérations en cause au principal ne relèvent pas du champ d’application des exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA.
57 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que:
– l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que des prestations de services, telles que celles en cause au principal, qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle «bitcoin», et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients, constituent des opérations exonérées de la TVA, au sens de cette disposition;
– l’article 135, paragraphe 1, sous d) et f), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que de telles prestations de services ne relèvent pas du champ d’application de ces dispositions.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
1) L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que constituent des prestations de services effectuées à titre onéreux, au sens de cette disposition, des opérations, telles que celles en cause au principal, qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle «bitcoin», et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients.
2) L’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que des prestations de services, telles que celles en cause au principal, qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle «bitcoin», et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients, constituent des opérations exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée, au sens de cette disposition.
L’article 135, paragraphe 1, sous d) et f), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que de telles prestations de services ne relèvent pas du champ d’application de ces dispositions.
Signatures
-
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
Mme Juliane KOKOTT
présentées le 16 juillet 2015 (1)
Affaire C‑264/14
Skatteverket
contre
David Hedqvist
[demande de décision préjudicielle présentée par la Cour administrative suprême (Högsta förvaltningsdomstolen) (Suède)]
«Droit fiscal – Taxe sur la valeur ajoutée – Échange de la monnaie virtuelle ‘Bitcoin’ contre une monnaie traditionnelle – Article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE – Imposition de prestations de services effectuées à titre onéreux – Article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive 2006/112/CE – Exonération fiscale applicable aux opérations concernant les effets de commerce – Article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive 2006/112/CE – Exonération fiscale applicable aux opérations concernant les devises – Article 135, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112/CE – Exonération fiscale applicable aux opérations concernant les titres»
I – Introduction
1. Dans cette procédure, la Cour examinera pour la première fois la question du traitement au regard de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des opérations de change de la monnaie virtuelle «Bitcoin» contre des monnaies conventionnelles. À cet effet, le champ d’application des exonérations des opérations financières nécessite en particulier des précisions supplémentaires.
II – Le cadre juridique
2. Selon l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive TVA») sont soumises à la TVA:
«c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel».
3. Conformément à l’article 135, paragraphe 1, de cette même directive, les États membres exonèrent les opérations suivantes:
«[…]
d) les opérations, y compris la négociation, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances;
e) les opérations, y compris la négociation, portant sur les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux, à l’exception des monnaies et billets de collection, à savoir les pièces en or, en argent ou en autre métal, ainsi que les billets, qui ne sont pas normalement utilisés dans leur fonction comme moyen de paiement légal ou qui présentent un intérêt numismatique;
f) les opérations, y compris la négociation mais à l’exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d’associations, les obligations et les autres titres, à l’exclusion des titres représentatifs de marchandises et des droits ou titres visés à l’article 15, paragraphe 2;
[…]»
4. Dans la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (2), qui était en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006, ces exonérations correspondent à l’article 13, B, sous d), points 3 à 5. Dans la mesure où la Cour a interprété la dernière disposition, ces constatations peuvent également s’appliquer dans la présente affaire.
5. Le droit suédois comporte des dispositions correspondant aux dispositions énoncées du droit de l’Union.
III – Le litige au principal
6. M. Hedqvist envisage d’exercer sur Internet la vente et l’achat de la monnaie virtuelle «Bitcoin» (ci-après les «Bitcoins») en échange de couronnes suédoises. Le prix respectif des Bitcoins doit reposer sur le cours de change indiqué sur un portail d’échanges déterminé, majoré ou minoré d’un certain pourcentage à titre de rémunération de change.
7. Selon les constatations de la juridiction de renvoi, une série de particuliers et de commerçants sur Internet acceptent les Bitcoins comme moyen de paiement. Les Bitcoins sont stockés sous forme de données sur l’ordinateur d’un utilisateur ou d’un prestataire tiers et transférés uniquement sous forme électronique. Ils n’ont pas d’émetteur spécifique, mais ils sont créés par un algorithme sur Internet programmé par une personne inconnue jusqu’ici. Les Bitcoins ne sont prévus comme moyen légal de paiement dans aucun État.
8. Avant de débuter son activité, M. Hedqvist a sollicité un avis préalable de la commission suédoise du droit fiscal (Skatterättsnämnd) afin de savoir s’il devra acquitter la TVA sur les opérations de vente et d’achat de Bitcoins décrites. Dans l’avis préalable, l’achat et la vente de Bitcoins ont été considérés comme des prestations de services effectuées à titre onéreux mais néanmoins exonérées, puisque les Bitcoins constituent, selon la commission du droit fiscal, un moyen de paiement utilisé comme un moyen de paiement légal. L’administration fiscale suédoise a toutefois formé un recours contre cet avis préalable.
IV – La procédure devant la Cour
9. La Cour administrative suprême (Högsta förvaltningsdomstolen), saisie entre-temps du litige, considère que la réglementation de l’Union sur la TVA est déterminante pour la solution du litige et, le 2 juin 2014, elle a donc déféré à la Cour, au titre de l’article 267 TFUE, les questions suivantes:
«1) L’article 2, paragraphe 1, de la directive TVA doit-il être interprété en ce sens que les opérations prenant la forme de ce qui est décrit comme l’échange de devises virtuelles contre des devises traditionnelles et vice-versa, effectué moyennant une contrepartie que le prestataire intègre dans le calcul du taux de change, constituent des prestations de services effectuées à titre onéreux?
2) S’il est répondu à la première question par l’affirmative, l’article 135, paragraphe 1, doit-il être interprété en ce sens que les opérations de change telles qu’elles ont été décrites ci-dessus sont exonérées?»
10. Des observations écrites sur ces questions ont été déposées dans la procédure devant la Cour par l’administration fiscale suédoise (Skatteverket), par M. Hedqvist, par les gouvernements allemand et estonien, ainsi que par la Commission européenne. M. Hedqvist, les gouvernements suédois et allemand, ainsi que la Commission, ont présenté des observations orales à l’audience de plaidoiries du 17 juin 2015.
V – Analyse juridique
11. La présente affaire concerne deux problématiques distinctes. Il est question, d’une part, du caractère imposable des opérations de change, c’est-à-dire de la question de savoir si cette activité constitue un fait générateur d’imposition prévu par la directive TVA (voir, à cet égard, sous A). D’autre part, au cas où les opérations de change seraient imposables, il convient de déterminer si elles sont également soumises à la taxe, c’est-à-dire si elles ne sont pas exonérées (voir, à cet égard, sous B).
A – Les opérations de change en Bitcoins en tant que prestations de services effectuées à titre onéreux
12. Dans sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si une activité comme celle envisagée par M. Hedqvist doit être considérée comme une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, ce qui aurait pour conséquence qu’il s’agirait en principe d’une opération assujettie à la TVA.
13. Dans l’affaire First National Bank of Chicago, la Cour a déjà jugé, concernant une question similaire, que l’échange de devises, dans le cadre duquel une banque applique un taux différent pour l’achat et la vente des différentes devises, constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux (3). Le service taxé fourni par la banque consistait uniquement, à cet égard, en une activité de change et non dans le transfert de devises elles-mêmes. En effet, la Cour n’a vu dans ce transfert ni une fourniture de biens ni une prestation de services, parce que les devises constituaient un moyen de paiement légal (4). La Cour a considéré en principe la différence entre le prix d’achat et le prix de vente des devises respectives comme la rémunération de la prestation de services imposable.
14. L’arrêt repose sur le fait qu’il est admis que le transfert de moyens de paiement légaux ne constitue pas en tant que tel un fait générateur de la TVA (5). En principe (6), il ne peut constituer que la contrepartie d’une prestation taxée. En effet, la TVA est une taxe sur la consommation finale de biens (7). Or, les moyens de paiement légaux actuels n’offrent en principe, à la différence par exemple de l’or ou des cigarettes, qui sont ou ont été directement ou indirectement utilisés comme moyens de paiement, pas d’autre possibilité d’utilisation pratique que celle d’un moyen de paiement. Leur fonction se limite, au regard d’une transaction, à faciliter l’échange de biens dans une économie nationale; en tant que tels, ils ne sont pas consommés ou utilisés comme des biens.
15. Ce qui vaut pour des moyens de paiement légaux devrait également s’appliquer à d’autres moyens de paiement dont la fonction se limite à cela. Même si de tels purs moyens de paiement ne devaient pas être légalement garantis et surveillés, ils remplissent toutefois, au regard de la TVA, la même fonction que les moyens de paiement légaux et ils doivent donc, en principe, être traités de la même manière suivant le principe de la neutralité fiscale dans sa dimension du principe de l’égalité de traitement (8).
16. Cela est conforme à la jurisprudence. Celle-ci traite les purs moyens de paiement, légaux ou autres, tels que les bons d’échange d’une valeur nominale (9), ou l’acquisition de «points» utilisables ensuite dans des hôtels ou des résidences (10), largement (11) de la même manière, dans la mesure où elle ne voit pas non plus dans le transfert de moyens de paiement dans ces derniers cas des opérations imposables.
17. Selon les constatations de la juridiction de renvoi, les Bitcoins constituent également un pur moyen de paiement. Leur possession n’a pas d’autre finalité que de les réutiliser comme moyen de paiement à un moment quelconque. Aux fins du fait générateur de la TVA, il y a donc également lieu de les traiter comme des moyens de paiement légaux.
18. Il en résulte que la jurisprudence First National Bank of Chicago doit également s’appliquer aux Bitcoins. En tant que telle, leur transfert ne constitue pas un fait générateur d’imposition. M. Hedqvist envisageant toutefois l’achat et la vente de Bitcoins en échange de couronnes suédoises à un prix incluant une majoration par rapport au cours de change indiqué sur un portail de change déterminé, son activité comporte la fourniture, sous la forme de change, de services effectués à titre onéreux conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA.
B – L’exonération des opérations de change de Bitcoins
19. Deuxièmement, il y a lieu de clarifier la question de savoir si la prestation de services d’échange de Bitcoins et de couronnes suédoises relève de l’une des exonérations fiscales prévues à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA. L’ordonnance de renvoi cite à juste titre les exonérations sous d), e), et f) de cet article, qui pourraient être concernées par cet exercice. Nous allons les examiner dans l’ordre inverse.
1. Les opérations portant sur les titres [article 135, paragraphe 1, sous f)]
20. L’article 135, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA exonère les opérations «portant sur les actions, les parts de sociétés […], les obligations et les autres titres […]».
21. L’échange de Bitcoins en couronnes suédoises ne pourrait relever de cette exonération que si au moins l’un des deux constituait d’«autres titres» au sens de cette disposition.
22. Comme l’a toutefois constaté la Cour en dernier lieu, l’article 135, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA ne porte que sur les droits de propriété sur des personnes morales, sur des titres représentant une dette ainsi que sur les droits présentant un lien avec ces droits (12). Ni les couronnes suédoises ni les Bitcoins ne correspondent à l’une de ces catégories.
23. L’exonération fiscale prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous f), de la directive TVA n’est donc pas applicable dans le cas présent.
2. Les opérations portant sur des moyens de paiement [article 135, paragraphe 1, sous e)]
24. La question qui se pose ensuite est celle de savoir si l’exonération fiscale prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA est applicable. Selon cette disposition, les opérations «portant sur les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux» sont exonérées.
25. La condition de l’exonération est tout d’abord l’existence d’un lien avec les moyens de paiement, qu’il s’agisse ou non d’espèces. Comme le montre en outre la version anglaise de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA, qui parle de «currency, bank notes and coins», le champ d’application de la disposition s’étend en principe à toute monnaie et non pas, comme le suggère par exemple l’utilisation de la notion de «devises» («Devisen») dans la version allemande, aux seules monnaies étrangères.
26. Il n’est néanmoins pas facile de répondre à la question de savoir quelles opérations sont visées par l’exonération s’il s’agit de toutes celles qui «portent» sur des moyens de paiement. On peut concevoir que la formulation est large, puisque, en définitive, toute opération réglée avec de l’argent porte sur un moyen de paiement. Cela vaut également si l’on voulait exiger, conformément à la jurisprudence rendue dans le cadre de l’exonération fiscale des opérations portant sur des titres prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous f) (13), que l’opération soit susceptible de créer, de modifier ou d’éteindre les droits et obligations des parties sur des moyens de paiement.
27. En premier lieu, il est clair que l’exonération fiscale ne peut pas s’appliquer dès lors qu’il n’y a transfert de moyens de paiement qu’à une seule des parties à une transaction, l’autre partie recevant pour sa part des biens ou des services. Dans ce cas, le transfert des moyens de paiement constitue en effet la contrepartie d’une fourniture de biens ou de services. Si l’on appliquait l’exonération fiscale à un tel transfert unilatéral de moyens de paiement, l’intégralité des opérations, en dehors des opérations d’échange, seraient exonérées de la TVA.
28. L’exonération fiscale peut toutefois s’appliquer lorsque, comme en l’espèce, un moyen de paiement est échangé contre un autre moyen de paiement moyennant le versement d’une rémunération. L’opération taxée est alors, comme cela a été indiqué (14), la prestation de change. Cette prestation «porte» sur des moyens de paiement au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA, et concrètement sur leur échange qui crée également des droits et des obligations des parties en ce qui concerne les moyens de paiement.
29. Dans le cas présent d’un échange entre couronnes suédoises, qui constituent le moyen de paiement légal en Suède, et les Bitcoins, qui ne sont un moyen de paiement légal dans aucun État, se pose toutefois la question suivante: les moyens de paiement échangés doivent-ils être tous deux des moyens de paiement légaux?
30. Le libellé de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA n’apporte pas de réponse claire à cette question.
31. Il est vrai qu’il est notamment possible de comprendre la version allemande de cette disposition en ce sens que les deux moyens de paiement échangés doivent être des moyens de paiement légaux («Devisen […], die gesetzliches Zahlungsmittel sind»).
32. Toutefois, la version anglaise ne parle que de «currency» (monnaie ou devise) au singulier. Selon le libellé anglais, un échange dans lequel seul un moyen de paiement légal intervient, en l’occurrence les couronnes suédoises, serait suffisant.
33. La version finnoise, qui n’exige absolument pas que les devises – à la différence des billets de banque et des pièces – soient des moyens de paiement légaux, est formulée de manière encore plus large (15). Ainsi, sous d’autres formes que les espèces, toutes les autres monnaies, y compris les monnaies virtuelles telles que les Bitcoins, pourraient être concernées par l’exonération.
34. La version italienne de la disposition soulève en outre la question de savoir si les moyens de paiement concernés doivent vraiment avoir un statut légal. Selon son libellé, les opérations portant sur des moyens de paiement «con valore liberatorio» (ayant une valeur libératoire) sont exonérées de la taxe. Selon cette version linguistique, l’effet libératoire du moyen de paiement est déterminant. Elle n’utilise pas en revanche l’expression «corso legale», qui désigne en italien les moyens de paiement légaux, comme cela ressort entre autres de l’article 10, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 974/98 (16), et qui est également utilisée à l’article 344, paragraphe 1, point 2, de la directive TVA. Toutefois, les Bitcoins peuvent également avoir un effet libératoire si cela a été convenu entre les parties.
35. En raison des divergences entre les versions linguistiques, la question de savoir à quels moyens de paiement s’applique l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA ne peut être clarifiée qu’à la lumière de la finalité de l’exonération (17). Dans ce contexte, il convient uniquement d’examiner en l’espèce si l’échange d’un moyen de paiement légal contre un pur moyen de paiement n’ayant pas cours légal relève de la finalité de l’exonération fiscale.
36. Comme la Cour l’a constaté à plusieurs reprises, les exonérations fiscales prévues entre-temps à l’article 135, paragraphe 1, sous b) à g), de la directive TVA, doivent exonérer les «opérations financières» (18). L’échange de purs moyens de paiement, impliquant comme en l’espèce un seul moyen de paiement légal, présente également le caractère d’une opération financière. Cela résulte déjà du seul fait que, comme nous l’avons vu (19), le transfert de purs moyens de paiement n’a, dans le cadre de la TVA, qu’une fonction de paiement.
37. La Cour ne s’est toutefois pas encore exprimée jusqu’ici sur l’objectif spécifique de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA qu’il convient d’interpréter ici.
38. Une exonération de TVA a toujours pour conséquence la diminution des coûts de la fourniture du service. Dans le cas présent, cela concerne des services de change relatifs à de purs moyens de paiement. Nous avons la conviction que le sens de l’exonération des opérations portant sur des moyens de paiement est de ne pas handicaper la convertibilité de purs moyens de paiement par le prélèvement de la TVA. Cela revêt également une importance pour le marché intérieur. En effet, dans la mesure où les services transfrontaliers exigent du client la conversion de monnaies, le prélèvement de la TVA sur le service de change renchérirait encore l’acquisition des prestations transfrontalières par rapport à des prestations internes.
39. Toutefois, l’exonération ne se limite pas aux monnaies ayant cours légal au sein de l’Union. L’ensemble des monnaies du monde sont couvertes par l’exonération. Il y a donc lieu de reconnaître comme objectif de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA la convertibilité aussi peu taxée que possible de l’ensemble des monnaies dans l’intérêt du bon déroulement des paiements.
40. L’exonération fiscale de l’échange de moyens de paiement légaux en des moyens qui n’ont pas de statut légal, mais qui constituent toutefois, comme c’est le cas des Bitcoins en l’espèce, de purs moyens de paiement, est également conforme à cet objectif. En effet, dans la mesure où il existe des moyens de paiement qui participent à la circulation des paiements, parce qu’ils y remplissent la même fonction de paiement que les moyens de paiement légaux, le prélèvement de la TVA sur l’échange de ces moyens de paiement imposerait des coûts supplémentaires à la circulation des paiements.
41. Au demeurant, l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA doit être interprété conformément au droit primaire (20), et en particulier au principe général d’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. À cet égard, la Cour se réfère fréquemment au principe de la neutralité fiscale et exige que des opérations identiques soient taxées de manière identique pour parvenir à la neutralité fiscale de la TVA (21).
42. Pour ces raisons, il devrait exister, dans le cas présent, une différence substantielle entre la conversion de moyens de paiement légaux en d’autres moyens de paiement légaux et la conversion de moyens de paiement légaux en d’autres purs moyens de paiement, afin de justifier une différence de traitement. En effet, les deux formes de moyens de paiement remplissent la même fonction de paiement dans la mesure où ils sont acceptés dans le commerce comme moyen de paiement.
43. Nous ne voyons toutefois aucune différence substantielle de ce type au regard de la TVA.
44. Les arguments de manque de stabilité de la valeur des Bitcoins et leur vulnérabilité à la fraude, invoqués en particulier par le gouvernement allemand, ne sauraient justifier une différence de traitement. Indépendamment de la question de savoir si de tels dangers n’existent pas également au même degré pour les moyens de paiement légaux, selon les monnaies, ces considérations ne sont pertinentes que dans le cadre de la surveillance étatique des marchés financiers. La réglementation de la TVA est toutefois autonome par rapport à cela. Il résulte en effet de la jurisprudence que, même si un comportement est prohibé en vertu du droit de la surveillance, cela n’a aucune influence sur son appréciation au regard de la TVA (22). Dans la présente procédure, il est donc sans importance de savoir si les Bitcoins constituent une «bonne» ou une «mauvaise» monnaie.
45. En conclusion, l’exonération fiscale prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA s’applique également lorsque, comme dans le cas présent, une monnaie qui constitue un moyen de paiement légal est convertie en une autre monnaie qui n’est certes pas un moyen de paiement légal, mais qui participe à la circulation des paiements en tant que pur moyen de paiement.
3. Les opérations portant sur les effets de commerce [article 135, paragraphe 1, sous d)]
46. La Cour pourrait toutefois nous opposer que l’exonération portant sur les moyens de paiement conformément à l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA n’est pas applicable dans le cas présent, parce que les Bitcoins ne sont pas un moyen de paiement légal. Il y aurait alors lieu d’examiner en outre si l’exonération fiscale prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA ne pourrait pas s’appliquer dans le cas présent.
47. Dans la mesure où cette disposition vise les opérations «concernant les paiements et virements», les services de change en cause en l’espèce ne seraient pas exonérés à ce titre. En effet, le service concerné ici ne porte pas sur l’exécution de paiements, en espèces ou autres qu’en espèces, à un certain tiers.
48. Conformément à l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA, les opérations «concernant les […] créances, chèques et autres effets de commerce» sont cependant également exonérées. Ainsi se poserait en l’espèce la question de savoir si les Bitcoins constituent d’«autres effets de commerce» au sens de cette exonération.
49. Dans l’arrêt Granton Advertising, la Cour a indiqué que l’exonération porte sur différentes formes de transfert d’argent (23). Dans nos conclusions dans la même affaire, nous avons aussi identifié le sens de l’exonération dans l’intention de traiter, au regard de la TVA, des droits que le public assimile à l’argent comme la remise d’argent elle‑même et donc de les exonérer (24).
50. Néanmoins, l’application de cette exonération dans le cas présent doit être rejetée pour deux raisons.
51. Premièrement, l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA concerne uniquement les instruments dérivés des monnaies, tels que les créances, les chèques et les autres effets de commerce, et non pas la monnaie elle-même. Dans le cas présent, l’échange ne porte pas sur les droits sur les Bitcoins, mais sur les Bitcoins eux-mêmes. Pour cette raison, il n’est absolument pas nécessaire de déterminer, comme l’a soutenu le gouvernement estonien, si cette déduction ne porte que sur des droits concernant les moyens de paiement légaux.
52. Deuxièmement, il existe une disposition spécifique concernant l’exonération des opérations qui portent sur une monnaie elle-même: il s’agit de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA, dont l’applicabilité a été examinée dans la partie précédente. Au cas où la Cour devrait constater que des opérations qui se rapportent directement à une monnaie virtuelle comme les Bitcoins ne relèvent pas de cette disposition spécifique, parce que seul l’échange de moyens de paiement légaux doit être exonéré, une telle décision du législateur serait méconnue si une autre exonération fiscale faisait à la place l’objet d’une interprétation large. Les opérations qui portent directement sur des monnaies sont soit exonérées au titre de la disposition spécifique de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA, lorsque les conditions prévues par cette disposition sont remplies, soit pas exonérées. Autrement, les conditions fixées dans cette disposition seraient en définitive sans pertinence.
53. L’exonération fiscale prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA n’est donc pas applicable dans le cas présent.
VI – Conclusion
54. Nous proposons dès lors à la Cour de répondre à la question préjudicielle de la Cour administrative suprême de la manière suivante:
«1) L’échange d’un pur moyen de paiement contre un moyen de paiement légal, ou l’opération inverse, sur lequel est perçue une rémunération que le fournisseur de cette prestation intègre lors de la détermination du cours de change, constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.
2) De telles opérations sont exonérées en vertu de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive 2006/112.»
1 – Langue originale: l’allemand.
2 – JO L 145, p. 1.
3 – C‑172/96, EU:C:1998:354, points 25 à 35.
4 – Ibidem (point 25).
5 – Voir, en ce sens, arrêt Mirror Group (C‑409/98, EU:C:2001:524, point 26).
6 – Il est possible qu’il en aille différemment dans le cas du transfert de moyens légaux de paiement, qui constituent des monnaies et des billets de collection au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA.
7 – Voir, en ce sens, arrêts Netto Supermarkt (C‑271/06, EU:C:2008:105, point 21 et jurisprudence citée) ainsi que Dresser Rand (C‑606/12 et C-607/12, EU:C:2014:125, point 28 et jurisprudence citée).
8 – Voir, entre autres, arrêts Commission/France (C‑481/98, EU:C:2001:237, point 22); NCC Construction Danmark (C‑174/08, EU:C:2009:669, point 44), et Zimmermann (C‑174/11, EU:C:2012:716, point 48).
9 – Voir, en ce sens, arrêt Argos Distributors (C‑288/94, EU:C:1996:398).
10 – Arrêt MacDonald Resorts (C‑270/09, EU:C:2010:780, en particulier points 21 et 32).
11 – L’arrêt Astra Zeneca UK (C‑40/09, EU:C:2010:450) peut être compris différemment.
12 – Arrêt Granton Advertising (C‑461/12, EU:C:2014:1745, points 27 et 31).
13 – Voir, entre autres, arrêts CSC Financial Services (C‑235/00, EU:C:2001:696, point 33) et Deutsche Bank (C‑44/11, EU:C:2012:484, point 37).
14 – Voir ci-dessus, point 18.
15 – La version finnoise parle de «valuuttaa sekä laillisina maksuvälineinä käytettäviä seteleitä ja kolikoita», ce qui signifie à peu près «les billets de banques et les pièces utilisés comme moyens de paiement légal ainsi que les devises».
16 – Règlement du Conseil, du 3 mai 1998, concernant l’introduction de l’Euro (JO L 139, p. 1), modifié en dernier lieu par le règlement (UE) n° 827/2014 du Conseil, du 23 juillet 2014 (JO L 228, p. 3).
17 – Voir, notamment, arrêt T. (C-373/13, EU:C:2015:413, point 62 et jurisprudence citée).
18 – Arrêt Granton Advertising (C‑461/12, EU:C:2014:1745, point 29 et jurisprudence citée).
19 – Voir ci-dessus, points 14 à 16.
20 – Voir, en ce sens, arrêts Sturgeon e.a. (C‑402/07 et C-432/07, EU:C:2009:716, point 48); Chatzi (C‑149/10, EU:C:2010:534, point 43), et Réexamen Commission/Strack (C‑579/12 RX‑II, EU:C:2013:570, point 40).
21 – Voir, entre autres, arrêts Commission/Allemagne (C‑109/02, EU:C:2003:586, point 20); JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C‑363/05, EU:C:2007:391, point 46), et Commission/Suède (C‑480/10, EU:C:2013:263, point 17).
22 – Arrêt GfBk (C‑275/11, EU:C:2013:141, point 32).
23 – C‑461/12, EU:C:2014:1745, point 37.
24 – Voir mes conclusions dans l’affaire Granton Advertising (C‑461/12, EU:C:2013:700, point 41).
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Première partie.
Monnaies complémentaires et Monnaies cryptées à l’aune de la TVA
Le récent arrêt de la Cour de Justice Européenne portant exonération de la TVA pour les opérations de change bitcoin contre monnaies légales et réciproquement ne laisse pas de rendre perplexe.
Le caractère restrictif de la réglementation suédoise en matière de fiscalité sur les opérations bancaires et financières a conduit le juge européen à une combinaison complexe d'arguments aux seules fins de rendre les opérations de change Bitcoin/monnaies légales équivalentes aux opérations monnaie légales/monnaies légales.
N'est-il pas étonnant que pareil déferlement de finesses juridiques n'ait jamais porté sur les monnaies complémentaires ?
Enfoncer des portes ouvertes ?
La question posée à la CJE ne trouve pas d'homologue dans le cadre des monnaies alternatives ou complémentaires. Peut-être cela tient-il au fait que cette espèce très particulière de monnaie n'a pas trouvé un terreau favorable en Suède ? De fait, la monnaie complémentaire suédoise, nommée «Euronäs» gérée directement par la commune Höganäs, en Suède n'a pas eu un grand succès. La question de la TVA qui aurait pu s'appliquer à la conversion de Couronnes suédoises en «Euronäs» portant sur des montants infinitésimaux, on peut penser personne ne s'est vraiment intéressé à son sort fiscal !
La saisine de la Cour résulte initialement d'une question posée par une entreprise privée se proposant de réaliser pour le compte de particuliers ou d'entreprises des opérations de change en Bitcoin et d'y gagner de l'argent. A l'opposé, l'émission et le change de monnaies complémentaires est, en général, le fait d'association ou de groupements sans but lucratif empreints d'esprit solidaire à l'inverse du Bitcoin.
Il faut revenir à la question posée : le coût (qu'il s'agisse d'une commission de change ou d'un profit sur la base de « cours vendeur/acheteur ») supporté par l'agent économique intéressé à l'opération de conversion d'une monnaie cryptée en monnaie légale ou traditionnelle, et inversement, doit-il être soumis à TVA et si oui, cette opération entre-t-elle dans le champ de celles qui sont exonérées du paiement de la TVA ?
Le juge a rappelé que, dans le contexte classique du change d'une monnaie traditionnelle ou légale contre une autre et inversement, il s'agissait de prestations de services, soumise à TVA. Mais il a aussitôt rappelé qu'elles en étaient exonérées l'instar de la plupart des opérations financières et bancaires et en tant que telles.
La question était donc de savoir si l'achat d'un bitcoin contre couronne suédoise, dans le cadre de l'Union européenne, correspondait aux opérations de change ci-dessus ou purement et simplement à un achat de bien.
Le fait que les opérations en bitcoin soient dites à flux bidirectionnelles, c'est-à-dire pouvant être réalisées dans les deux sens, les rapprochaient des opérations de change traditionnelles. Le fait que le Bitcoin n'était pas acquis pour d'autres raisons que celle de disposer d'un moyen de paiement, constituait un élément concordant supplémentaire de rapprochement et excluait qu'on puisse considérer cette opération comme un achat de bien pur et simple. Et enfin, le fait que la taxation des opérations en Bitcoin se serait avérée tout aussi impraticable sur le plan de l'administration du recouvrement que sur celui du contrôle des redevables et des opérations légitimait l'exonération de TVA tout autant que pour le cas des opérations de change sur « monnaies traditionnelles ».
Si on comprend bien le déroulement d'une logique juridique qui, partant d'une question originale, l'achat au moyen d'une monnaie souveraine d'un instrument de paiement auto-qualifié de monnaie cryptée, en vient par un processus de rapprochements progressifs à l'assimiler à une banale opération de change, on comprend moins bien pourquoi on s'est intéressé à ladite opération alors que des questions de même nature auraient pu être soulevées dans le cas des monnaies locales ou complémentaires ou encore, solidaires et ne l'ont pas été !
Entre monnaies cryptées et monnaies complémentaires, quelles différences ?
Relevons tout d'abord que la génération de la monnaie cryptée de type bitcoin (donc pas nécessairement toutes les monnaies cryptées) a ceci d'original que les détenteurs de cette « monnaie » ne sont créanciers de personnes, à l'opposé de tous les autres détenteurs de monnaies qu'elles soient « traditionnelles » ou qu'elles soient "complémentaires". Ces dernières reposent sur un fonds de garantie en monnaie légale, contrepartie de leur émission, alors que les monnaies cryptées ne reposent sur aucune contrepartie : le bitcoin est miné comme on cherche de l'or et se traite comme l'or sur un marché de rareté.
Autre différence de poids et de fond : les monnaies complémentaires sont émises par des institutions dédiées dans des conditions strictement définies par leurs chartes de mise en œuvre et parfois par les pouvoirs publics. Les bitcoins sont minés par n'importe qui sous la seule condition qu'il détienne les clefs et algorithmes indispensables. Ce processus se déroule hors de toute surveillance institutionnelle et même privée. Les monnaies cryptées de type Bitcoin sont donc des monnaies totalement privées à l'inverse des monnaies complémentaires.
La valeur de l'unité de paiement diverge largement entre les deux catégories de monnaies. La valeur de certaines monnaies cryptées, (c'est surtout le cas du bitcoin) a varié dans des proportions étonnantes contre monnaies traditionnelles. Ce n'est pas le cas des monnaies complémentaires.
Un dernier point à noter quoique peu déterminant : les monnaies cryptées sont fondées sur des technologies très élaborées à l'opposé des monnaies complémentaires qui sont plus « rustiques ».
Mais sur de nombreux autres points, elles sont similaires : quoiqu'il en soit des nombreuses variantes de monnaies complémentaires et des variétés de monnaies cryptées, dans tous les cas, ce sont des moyens de paiement. Ni les unes, ni les autres ne rentrent dans la catégorie des biens qu'on acquiert pour un autre usage que celui-là.
Sur le point crucial de la conversion en monnaie « traditionnelle », on notera que de nombreuses monnaies complémentaires prévoient une commission qui varie entre 3 et 5% du montant de l'opération.
Sur un plan plus technique : les monnaies cryptées sont plus souvent « bidirectionnelles » (on peut les échanger contre une monnaie traditionnelle et inversement) que les monnaies complémentaires, lesquelles sont fréquemment mono-directionnelles (on peut acquérir ce type de monnaie contre une monnaie « traditionnelle » mais l'inverse n'est pas vrai). En fait de nombreuses monnaies complémentaires « admettent » que des commerçants « adhérents » puissent la convertir en monnaie « traditionnelle » le paiement de leurs fournisseurs.
Ce sont des monnaies de réseaux. Pas de transactions en dehors ce ceux-ci et de leurs membres. Les monnaies cryptées ajoutant à cette caractéristique qu'un élément, chaque bitcoin par exemple, peut être retracé dans toutes les opérations auxquelles il a été « partie ».
Si les points communs sont si nombreux, pourquoi s'intéresser à la TVA sur les opérations de change « monnaie traditionnelles contre monnaie cryptées » quand cette même question n'a pas fait l'objet des sollicitudes des fiscs français, suisses, allemands en ce qui concerne le change « monnaies traditionnelles contre monnaies complémentaires ?
Donc, voici d'un côté une monnaie cryptée dont le change mérite qu'on mobilise la Cour de Justice Européenne pour résoudre une question sur l'application de la TVA et de l'autre des monnaies qui sont aussi peu souveraines ou légales que les premières, mais qui sont apparemment passées au travers du champ de vision des fiscs dont elles sont les ressortissants.
Les monnaies cryptées arriveraient au statut de monnaie par un biais étrange : une décision de justice au lieu d'une directive européenne ou d'un texte législatif ou réglementaire national. Qu'ont-elles donc de si original ?
Deuxième partie
Les monnaies cryptées au pays du fisc
Le débat sur la nature des monnaies dites « cryptées » est lancé et se déroule au fur et à mesure de leur développement même. Sont-elles des monnaies au sens courant de ce terme ? Sont-elles appelées à se développer en tant que monnaies de substitution aux monnaies légales, en tant que l’équivalent, par conséquent, de celles qui sont émises par des autorités étatiques dans le cadre de réglementation et de contrôles strictes sous l’égide de Banque nationales ? Le sont-elles alors même qu’elles ne sont ni supervisées, ni émises dans le contexte traditionnel de ces monnaies?
Progressivement, suivant leur essor, voire leur multiplication, s’ensuivent des conflits, des contentieux, des réclamations. S’ensuivent donc des décisions judiciaires, des réclamations administratives et des réglementations de la part des autorités monétaires officielles.
C’est dans cette ambiance de tâtonnements et, parfois, d’indécision pour ne pas parler de contradictions qu’on peut se demander si, récemment, ces monnaies « nouvelles », au rang desquelles le fameux Bitcoin, n’ont pas été « adoubées » par la justice européenne ? A la suite d’un jugement de la Cour de Justice Européenne sont-elles devenues très officiellement des monnaies ?
L’émergence « fiscale » des monnaies cryptées.
La décision de la Cour de Justice Européenne est intervenue sur une saisine de la Cour Administrative Suprême de Suède : il s’agissait de savoir si les opérations d’achats et de ventes de monnaie cryptée, le bitcoin en l’occurrence, étaient passibles ou non de la TVA, et si cela était le cas, si elles en étaient exonérées comme le sont certaines opérations financières et monétaires dans le cadre des directives européennes relatives au champ d’application de la TVA.
Est-ce à dire que pour se préoccuper du traitement fiscal du bitcoin il aura fallu attendre la saisine d’un entrepreneur suédois dont le but était de créer une plateforme d’échange de Bitcoin contre « monnaies légales » (ou « traditionnelles » pour suivre la terminologie de la Cour) et vice-versa. Ce serait sous-estimer les administrations fiscales.
Le fisc lorsqu’il cherche à déterminer une raison de taxer des revenus, des plus-values, des éléments de patrimoine, ne se préoccupe pas de savoir s’il se trouve face à des opérations légitimes et morales. Il cherche les causes et les modalités d’un enrichissement « one shot » (plus-values) ou « continu » (revenus). Dans cet esprit, les ressources tirées d’opérations portant sur le bitcoin, à titre privé comme à titre professionnel sont donc aussi taxables quoiqu’il en soit de la nature réelle de cette soi-disant « monnaie ».
Le traitement des gains réalisés sur la spéculation sur le bitcoin (et elle a été particulièrement agitée) suit donc un droit commun des gains spéculatifs réalisés à titre privé ou professionnel ainsi que des plus-values sur valeurs mobilières.
Il en est de même pour la détermination des actifs taxables lorsqu’un impôt sur le patrimoine, la fortune ou autre a été mis en vigueur. En France, en particulier, il a été posé qu’un portefeuille de Bitcoin devait être inclus dans la déclaration relative à l’Impôt sur la fortune et valorisé suivant les cours pratiqués sur le marché de cette « monnaie cryptée ». Cette décision n’emporte aucune reconnaissance du Bitcoin en tant que monnaie, il ne fait que rejoindre en tant qu’éléments d’actifs les bijoux, les créances détenues sur un meilleur ami etc …
Rien ici qui soit original et rien qui touche à la question du statut des « monnaies cryptées ». Ce qui est en jeu, c’est la matière imposable et pas son origination. Donc, pas de reconnaissance « de jure » indirecte des monnaies cryptées via cette façon « fiscale » de considérer les choses.
Faut-il soumettre les opérations de change de bitcoin à la TVA ?
Le cas soumis à la Cour de Justice Européenne est d’une toute autre nature. Il s’agit de savoir si une opération consistant à acquérir des unités de « monnaie cryptée » au moyen d’une monnaie légale (dite « traditionnelle » dans l’arrêt) ou, inversement, d’en vendre contre cette dernière est une opération commerciale, soumise à la TVA comme toute opération commerciale, ou non.
En fait, la question est double : l’achat de bitcoin est-il assimilable à l’acquisition d’un bien soumis à TVA? La rémunération de l’intermédiaire doit-elle, elle-même, supporter la TVA ?
Et si oui, la TVA applicable à cette opération rentre-t-elle dans la catégorie des opérations exonérées ?
Le problème n’est pas si simple qu’on pourrait le penser car le cas qui préoccupait l’administration suédoise concernait une proposition de type « opération de change de devises ». L’opérateur en Bitcoin entendait fournir des bitcoins contre couronnes suédoises et inversement, sachant que la rémunération de sa prestation devait être calculée par le biais de différences de cours entre achat et vente comme il est pratiqué dans le domaine des opérations de change sur le marché des devises, suivant la technique dite de « cours vendeur et de cours acheteur ».
La question était posée parce que le régime fiscal suédois des opérations monétaires et financières est contraignant : sont exonérées les opérations concernant les livraisons de billets de banque et de pièces de monnaies qui constituent des moyens de « paiement légaux », de même que les prestations de service bancaires et financiers ainsi que les opérations de change. Or, cette disposition interprétée restrictivement ne pouvait porter que sur des opérations de change entre « moyens de paiement légaux » c’est-à-dire entre monnaies sous la responsabilité de Banques centrales dont l’émission est régulée et encadrée dans le cadre de systèmes nationaux, le dollar par exemple, ou multinationaux, l’euro.
Dans l’opération décrite par l’Administration Suédoise, il s’agissait d’acheter des bitcoins contre des couronnes suédoises, ou l’inverse. Or le Bitcoin ne pouvait pas être assimilé à « un moyen de paiement légal » ce qui s’entend, au même titre que la monnaie légale, d’un moyen de paiement qui ne peut pas être refusé dans le cadre de transactions effectuées dans le pays qui en est l’émetteur.
On résumera l’argumentation de la Cour de justice européenne en trois points.
Tout d’abord, elle a montré que les opérations devises contre devises étaient soumises à la TVA en tant que prestations de service mais que les opérations relevant de la banque ou de la bourse en
étaient exonérées.
Elle a analysé les raisons d’être de « monnaies cryptées » telles que le Bitcoin pour en déduire que les opérations « Bitcoin contre couronne suédoise et inversement» étaient des opérations « moyens de paiement contre moyen de paiement » et qu’il n’ y avait pas lieu de considérer de différence de nature entre moyen de paiement « légal » et moyen de paiement « de type monnaie virtuelle ». A ce titre, en tant que prestations de services, elles sont justiciables de la fiscalité indirecte applicable.
Pour conclure, puisque les opérations croisées « bitcoin/monnaies légales » pouvaient être considérées comme des opérations de change au sens traditionnel c’est-à-dire identiques au change « monnaie légale/ monnaie légale », ce qui s’appliquait en matière fiscale à celles-ci s’appliquait aux premières.
Les opérations « monnaies cryptées/monnaies légales » devenant des opérations de change classiques, il vient immédiatement une question : s’agit-il d’opérations « monnaies/monnaies » ou d’opérations « moyens de paiement/monnaies ». S’agit-il, pour dire les choses directement, de la reconnaissance par le juge européen de la nature monétaire des « monnaies cryptées » alors que jusqu’ici, le mot « monnaie » appliqué à ces « entités » nouvelles l’était par commodité et non par référence à leur nature.
Troisième Partie
Les monnaies cryptées, comme les « monnaies traditionnelles »
Les arguments de la Cour européenne de justice sont riches d’enseignement non seulement sur le terrain du droit mais aussi sur le terrain de l’économie. Dans cette chronique, on s’attachera à suivre le raisonnement juridique de la Cour. Dans la chronique qui suivra, ce sera au tour du raisonnement économique.
Avant toute chose, il faut poser comme une sorte de pétition de principe que la Cour de Justice Européenne, une des plus hautes instances des Institutions Européennes, ne prend pas de décision qui ne soit pas fondée sur une approche extrêmement rigoureuse de la question posée mais aussi qui ne soit pas animée de dire un droit qui mérite précisions ou qui éventuellement présente des lacunes pour l’avenir. Les arguments ne s’emboitent pas les uns dans les autres par hasard et ne s’assemblent pas pour ne répondre qu’à une question limitée dans sa portée juridico-économique.
Les monnaies cryptées ne sont pas des biens
Dans l’espèce, les juges européens sont saisis d’une question impliquant le bitcoin et l’éventualité d’une application de la TVA aux opérations consistant à « changer » une monnaie traditionnelle, la couronne suédoise contre une monnaie cryptée, le bitcoin. La question soulève aussi la question du traitement en fiscalité indirecte de la rémunération en contrepartie de ces opérations de change.
Avant même de s’interroger sur une « parenté » entre d’un côté l’achat de bitcoin contre couronne suédoise (et réciproquement) et, de l’autre côté une opération de change entre « monnaies traditionnelles », le juge a voulu définir précisément s’il ne s’agissait pas d’opérations portant sur des biens ou des services purement et simplement, lesquels sont soumises à TVA.
L’arrêt de la CJE est circonstancié : l’opération qui consiste à acquérir des bitcoins n’est pas un achat de biens, il s’agit de transformer une « monnaie traditionnelle » qui est essentiellement un moyen de paiement en une monnaie privée, c’est-à dire en un moyen de paiement sous une autre forme. La Cour insiste sur le fait qu’il n’y a pas transformation ou changement dans leur nature de moyen de paiement. Cela s’exprime, un peu anecdotiquement, dans les directives européennes comme dans la plupart des réglementations monétaires et financières des pays membres de l’union qui marque une différence de fond entre transaction/change sur des « devises traditionnelles » qui sont des moyens de paiement et transaction/achat/vente sur des monnaies anciennes qui ont perdu leurs fonctions de paiement. On ne change donc pas des couronnes suédoises contre des sesterces de la période augustinienne : au moyen des premières, on acquiert les secondes comme on l’aurait fait d’une chaise ou d’un pneu. Et la TVA s’applique, sous taux classique ou particulier, comme on l’aurait appliquée au prix d’achat du pneu.
La décision est donc claire : la monnaie cryptée n’est pas un bien ou pour être plus simple, une marchandise, pas davantage qu’une « devise traditionnelle », et ne peut donc être soumise à TVA à ce titre. En revanche, l’opération « de change » qui consiste à « acquérir » des bitcoins par le moyen de « devises traditionnelles » ou inversement, qui consiste à acquérir ces dernières au moyen de bitcoins, doit-elle être considérée comme une vente de biens ou de services taxables à la TVA ?
Ici, on se trouve au cœur même du raisonnement fiscal, la question étant rendue complexe par la technique de rémunération proposée par l’entrepreneur suédois pour ses opérations dites « de change » entre couronne suédoise et bitcoin réalisée pour le compte de particuliers ou d’entreprises.
Deux techniques de rémunération sont ici concevables : l’une directe, la facturation d’une commission ou, l’autre indirecte, fondée sur l’utilisation de cours « vendeurs » et « acheteurs » comme cela est pratiqué couramment sur les marchés de devises et de matières premières.
Le change de bitcoin est pareil à celui de toutes monnaies
Selon le juge, l’opération de change de bitcoin contre couronnes suédoises ou inversement, (caractéristique d’une monnaie à flux bidirectionnelle) est une opération de change qui n’est pas différente d’une opération de change de couronnes suédoises contre euro et vice versa.
Cela suffirait-il à contenter l’entrepreneur suédois au cœur de la question ou ses protagonistes institutionnels suédois qui entendaient bien taxer ses opérations sous toutes les formes possibles ?
Non, car demeure pendante une question d’importance : la rémunération du prestataire (on dit la « plateforme » terme qui s’est abondamment répandu dans la nouvelle économie et son extension conquérante vers les marchés financiers et monétaires) assurant l’opération de change est-elle soumise à TVA, qu’elle se présente sous forme de commission ou sous la forme classique d’un gain sur les cours vendeurs et acheteurs.
Pour la Cour, tout d’abord, il n’est pas de différence entre la rémunération via une commission ou une différence de cours. Elle le dit avec fermeté : cela a été jugé et rejugé, on n’a pas à revenir là-dessus.
Une fois ce principe affirmé, il faut qualifier l’opération qui conduit à la rémunération. Il n’est que deux qualifications possibles en droit fiscal : échange de biens ou prestations de services. Pour la Cour, il ne s’agit pas d’un échange de biens, on l’a montré dans le paragraphe qui précède, donc il s’agit d’une prestation de service. Or, selon le droit européen, toute prestation de service est soumise à TVA. Donc, on devrait appliquer la TVA à cette prestation de service…Devrait ? Le conditionnel est mis ici car si cette opération de change ainsi rémunérée est « taxable par nature », il faut s’interroger sur la possibilité qu’elle rentre dans une catégorie d’opérations soumises à TVA mais exonérées de son paiement.
Comme on l’a vu plus haut, on est en face d’opérations de type « monnaie de paiement/monnaie de paiement », c’est-à-dire d’opérations de change. Or, les directives européennes et les législations fiscales des pays membres, portent très précisément que les opérations de banque dont les opérations de change, fourniture de billets en devises contre monnaie etc., sont exonérés de TVA.
Ainsi, pour l’entrepreneur Suédois qui était au centre de « l’affaire », la boucle est bouclée.
L’opération d’achat de bitcoin au moyen de couronnes suédoises et inversement est une opération de change, à l’instar d’une opération « couronnes suédoises/euro ».
L’opération proposée par « la plateforme » est une prestation de service dont la rémunération est soumise à TVA.
Comme, cette prestation porte sur une opération de change, elle est exonérée, que l’opération soit menée par une banque, une compagnie ou toute autre société répondant aux exigences des réglementations nationales ou européennes. Cette dernière question n’étant pas soulevée, elle ne fait pas l’objet d’un traitement particulier, ni d’observation.
En somme, la cour, dans ce cas suédois qui ne paraissait pas devoir bouleverser l’économie bancaire et financière européenne et qui ne portait que sur des opérations à venir et à opérer par une entreprise à créer, a pris une position de principe forte : Le bitcoin, et au travers de celui-ci, les monnaies dites virtuelles ou cryptées, sont des monnaies-moyens de paiement comme les autres bien qu’émises sans autorité définie et sans réglementation ou contrôles ad hoc.
On dit que les grands arrêts des Cours de Justice les plus élevées sont le plus souvent fondées sur l’analyse d’un cas d’importance secondaire voire infime. On dit que l’exemple de la jurisprudence administrative française est frappant, les grandes décisions de principe sont issues de cas epsilonesques dans leur portée réelle : tel individu qui s’était cassé la jambe en se portant pompier volontaire, ou tel autre qui, rentrant en vélo chez, lui fait une chute causée par un nid de poule, ou tel autre encore, qui, postulant au concours de sous-employé aux écritures, en était écarté en raison d’une obscure clause de participation…
Faut-il penser que la décision de la CJE fait partie de cette règle non-écrite qui consiste pour les plus hautes juridictions à tirer d’un fait minuscule une règle de droit de principe ?
Il faut reconnaître que le déploiement de logique juridique qui a permis d’aboutir à cette situation étrange : une forme de reconnaissance du titre de « monnaie » conférée à un moyen de paiement, totalement privé et « irrégulé » mérite explication et on exposera dans la quatrième chronique que si la succession de syllogismes qui conduit à cette conclusion parait incontournable, certains aspects terminologiques soulèvent des interrogations.
Quatrième partie
La fiscalité entre neutralité et activisme
Un aspect économique marquant de cet arrêt réside dans les incertitudes notionnelles qui traversent les réquisitions de l’avocat général et la rédaction même de l’arrêt. Autant l’enchaînement des raisonnements juridiques donne l’image d’une mécanique intellectuelle bien huilée, autant la compilation des arguments économiques donne le sentiment d’une marche dans le brouillard.
Au milieu des incertitudes conceptuelles qui émaillent l’arrêt, on s’arrêtera tout d’abord aux choses à peu près certaines : « les logiques economico-fiscales ».
En revanche, une fois ces « logiques fiscales » exposées, on montrera que le domaine de la monnaie est une sorte de marécage due autant aux imprécisions des législations nationales qu’à leurs contradictions.
La loi fiscale et la protection des activités économiques
Une des vertus de cet arrêt tient à l’affirmation que la loi fiscale n’a pas pour objectif de réguler ni a fortiori d’autoriser telle ou telle activité. La loi fiscale est neutre et ses dispositions ne sauraient avoir pour conséquence de rendre impossible des professions ou des opérations.
L’arrêt le rappelle dans un sens direct et indirect.
Directement : le débat est né de ce que les projets de l’entrepreneur suédois conduisaient à considérer le Bitcoin comme une devise au mieux, ou un moyen de paiement au moins et que son acquisition dans les termes qu’il prévoyait, c’est-à-dire contre une monnaie légale, la couronne suédoise, pouvait être réalisée comme il est habituel de le faire dans le cadre d’opérations de change, via la technique des cours acheteurs et vendeurs.
Le juge européen aurait pu considérer que le bitcoin n’étant ni une monnaie légale, ni une devise au sens du marché des changes, la question de la fiscalité à appliquer ne se posait pas : l’achat de bitcoin devait être assujetti à la TVA, pareil raisonnement rendant l’acquisition de Bitcoin fort onéreuse, le projet n’aurait pas pu aboutir.
Or, rendre une opération onéreuse à mettre en œuvre, et de ce fait réduire les possibilités pour les consommateurs d’accéder à des moyens éventuellement moins coûteux, n’est pas dans la mission du fisc.
L’exemple de la cigarette est intéressant dans la mesure où, dans l’opération proposée, le juge est allé chercher la réalité des faits économiques au sens le plus « essentiel » du terme : certains « objets économiques » sont des moyens de paiement et n’ont pas d’autres fonctions, le bitcoin faisant partie de ces « objets ». Qui plus est cet « objet économique » se positionne comme un moyen de paiement plus économique que les autres. Dans le cas contraire, il ne pourrait même pas émerger et les questions posées au Juge n’auraient pas de consistance réelle.
C’est véritablement à ce moment-là que le juge a pu déployer tous les raisonnements conduisant à l’exonération de la TVA, car reconnaissant que le Bitcoin est un objet économique de la catégorie « moyen de paiement », la question « fiscale » ne portait plus que sur les caractéristiques économiques d’un échange entre deux moyens de paiement : Bitcoin/couronne suédoise.
Indirectement, se trouve présent dans les plaidoiries et le jugement un argument de pragmatisme économique qu’on a peu souvent l’occasion de mettre en valeur : le coût de mise en œuvre d’une disposition fiscale ne saurait mettre en danger cette opération. C’est, comme l’expriment bien les rédacteurs de l’arrêt et surtout l’avocat général dans ses réquisitions, la raison pour laquelle la plupart des opérations de banque, qui sont des prestations de service soumises à TVA, en sont exonérées.
Les raisons de cette « bienveillance » fiscal sont du domaine du pragmatisme le plus pur ! Reprenant la question des opérations de change, pour exemple, on comprend vite que la quantité d’opérations, d’intervenants, de monnaies, de type de change et de délais est telle que la mise en place d’une TVA dans des conditions économiques deviendrait impossible. Impossible à gérer : pour les administrations fiscales tant en ce qui concerne le suivi du recouvrement de la taxe et son contrôle.
Par ailleurs, la TVA s’appliquant aux ventes de biens et de services, la taxation de la prestation de services « moyens de paiement » reviendrait à taxer deux fois une même opération.
Le juge entre monnaie, devises et moyens de paiement
Autant ce qui précède relève toujours d’une logique économique solidement fondée, autant ce qui suit montrera que les références aux mécanismes monétaires et surtout aux « objets économiques » que sont les moyens de paiement ne sont pas aussi assurés.
La variété terminologique en vigueur dans les différentes législations fiscales européennes pour traiter de sujets équivalents et/ou identiques, mais aussi, la variabilité linguistique de termes émanant des directives européennes ne peut que plonger l’économiste dans un abîme de perplexité.
Le Juge énonce très simplement que la multiplicité des traductions de la directive européenne sur la fiscalité des opérations bancaires et financières conduit à toutes sortes d’interprétations possibles d’une portée très large ou au contraire très restreinte.
On n’entrera pas dans le détail de la mutabilité linguistique du vocabulaire fiscalo-monétaire européen, il suffit de quelques exemples : « la version anglaise (de la directive européenne sur la TVA) ne parle que de «currency »…. La version finnoise, est formulée de manière encore plus large… », quant aux Allemands, ils s’en tiennent à un seul mot « devisen » sans qu’on comprenne s’il s’agit de devises en tant que monnaies étrangères ou de toutes les monnaies. L’arrêt lui-même invoque les « monnaies traditionnelles » ou « les moyens de paiement traditionnels » pour les opposer aux monnaies virtuelles (qui ne sont donc pas traditionnelles). Et le Juge d’observer que « En présence de divergences linguistiques, la portée de l’expression concernée ne saurait être appréciée sur la base d’une interprétation exclusivement textuelle… ». Cette dernière remarque explique pourquoi le Juge se lancera dans une analyse détaillée de « l’objet économique - moyen de paiement- ».
Les textes paraissent donc bien insuffisants pour savoir quelles opérations monétaires ou financières sont concernées par les exonérations de TVA selon les directives européennes. Mais la terminologie déroulée dans l’arrêt et les réquisitions est aussi très approximative !
C’est ainsi qu’on fait face à la comparaison entre « moyens de paiement » et « moyens de paiements légaux », entre « monnaies virtuelles et monnaies légales », entre « devises et monnaies à pouvoir libératoire ». Sont aussi différenciées « les monnaies privées » et « les monnaies publiques » ; des « monnaies à force légales » se confrontent avec des monnaies dont l’origine n’est pas très claire si ce n’est qu’elles sont issues d’algorithmes, inventés par des gens qu’on ne connait pas et dont les cours sont susceptibles de variation, tous éléments qui n’ont finalement pas d’effet sur leur qualité de moyen de paiement.
Si le Juge, confronté à pareille confusion terminologique, est parvenu à émettre une opinion sur le bitcoin en tant que « modalité » de « l’objet économique moyen de paiement », on le doit, c’est très clair, à son opiniâtreté !
L’objet du débat, ne l’oublions pas, c’était le bitcoin et plus généralement toutes les monnaies virtuelles ou cryptées.
On a finalement le sentiment que la Cour de Justice Européenne souhaitait leur conférer un statut. La CJE a-t-elle voulu adouber le Bitcoin ? N’avait-elle qu’un souci et un seul, lui délivrer un certificat de bon moyen de paiement par tous moyens juridiques possibles ?
C’est ce qu’on envisagera dans la dernière partie de cette chronique.
Conclusion
Avant toute chose, il faut poser comme une sorte de pétition de principe que la Cour de Justice Européenne, une des plus hautes instances des Institutions Européennes, ne prend pas de décisions qui ne soit pas fondées sur une approche extrêmement rigoureuse de la question posée. Les arguments ne s’emboitent pas les uns dans les autres par hasard et ne s’assemblent pas pour ne répondre qu’à une question limitée dans sa portée juridico-économique.
On dit que les grands arrêts des Cours de Justice les plus élevées sont le plus souvent fondées sur l’analyse d’un cas d’importance secondaire voire infime. L’exemple de la jurisprudence administrative française est frappant, les grandes décisions de principe sont issues de cas epsilonesques dans leur portée réelle : tel individu qui s’était cassé la jambe en se portant pompier volontaire, ou tel autre qui, rentrant en vélo chez, lui fait une chute causée par un nid de poule, ou tel autre encore, qui, postulant au concours de sous-employé aux écritures, en était écarté en raison d’une obscure clause de participation. De ces cas mineurs soulevés par des gens sans importance sont issus des constructions juridiques exceptionnelles, structurant l’avenir des institutions pour des dizaines d’années.
Faut-il penser que la décision de la CJE fait partie de cette règle non-écrite qui consiste pour les plus hautes juridictions à tirer d’un fait minuscule une règle de droit de principe ?
De cet arrêt on tire plusieurs enseignements : (on a repris en italique certains points importants de l’arrêt)
Le Bitcoin est une « moyen de paiement »
Cette devise virtuelle (le Bitcoin) n’a pas d’émetteur unique, mais est directement créée au sein d’un réseau par le biais d’un algorithme spécial. Le système de la devise virtuelle « bitcoin » autorise la détention et le transfert à titre anonyme de sommes de « bitcoin » au sein du réseau par les utilisateurs détenant des adresses « bitcoin ». Une adresse « bitcoin » pourrait être comparée à un numéro de compte bancaire.
L’objet économique Bitcoin est un moyen de paiement au sens strict du terme. Le bitcoin ne peut être considéré comme un bien objet de transactions commerciales et soumis comme tel à la TVA. C’est une prestation de service de paiement. Et comme telle la Cour en conclut qu’à l’instar des tous les services bancaires et financiers, et en particulier des moyens de paiement, bien que par nature soumise à TVA, le bitcoin en est exonéré.
Le fait qu’il soit bidirectionnel en ce sens que le change peut être fait entre monnaie traditionnelle et bitcoin ou entre bitcoin et monnaie traditionnelle renforce le rapprochement avec les moyens de paiement que sont les instruments monétaires et assoit encore plus nettement la justification de l’exonération du paiement de la TVA à l’occasion de transactions de change sur bitcoin.
La devise virtuelle « Bitcoin » étant un moyen de paiement contractuel elle ne saurait, d’une part, être regardée ni comme un compte courant ni comme un dépôt de fonds, un paiement ou un virement. D’autre part, à la différence des créances, des chèques et des autres effets de commerce visés à l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA, elle constitue un moyen de règlement direct entre les opérateurs qui l’acceptent.
La Cour rappelle aussi qu’au Bitcoin comme à toutes transactions doivent être appliquées des principes intangibles et, parmi eux, les trois principes suivants. Le premier est celui qui veut que la fiscalité ne peut être lourde à ce point qu’elle gène ou, plus radicalement, rend impossible une prestation de services ou une transaction sur un bien particulier. Le second résulte du fait qu’une taxation ne peut pas être instaurée si elle ne peut être mise en œuvre sans que cela soit accompagné de telles lourdeurs qu’elle en deviendrait ingérable en ce qui concerne le recouvrement et les contrôles des assujettis. La troisième est qu’une taxation ne peut conduire à une double imposition. Dans le cas du Bitcoin, comme c’est le cas pour les moyens de paiement en monnaie « traditionnelle », taxer l’opération de paiement a pour conséquence, se surajoutant à la taxation de l’opération commerciale de doubler le poids de la fiscalité. Or, la loi fiscale ne peut avoir pour effet de renchérir les coûts de transaction à l’encontre du consommateur final.
Le bitcoin est une « devise »
Une exonération de TVA a toujours pour conséquence la diminution des coûts de la fourniture du service. Dans le cas présent, cela concerne des services de change relatifs à de purs moyens de paiement. Nous avons la conviction que le sens de l’exonération des opérations portant sur des moyens de paiement est de ne pas handicaper la convertibilité de purs moyens de paiement par le prélèvement de la TVA. Cela revêt également une importance pour le marché intérieur. En effet, dans la mesure où les services transfrontaliers exigent du client la conversion de monnaies, le prélèvement de la TVA sur le service de change renchérirait encore l’acquisition des prestations transfrontalières par rapport à des prestations internes.
Le bitcoin et les monnaies cryptées ne peuvent pas être pris pour des gadgets financiers dont on réglerait le sort à coup de taxation, ce sont des moyens de paiement et si le qualificatif de monnaie peut paraître disproportionné, leur place dans l’univers des moyens de paiement ne peut être contesté. La Cour relève que la BCE n’hésite pas à les qualifier de « devises ».
Ce fameux qualificatif de monnaie ou de devises n’a finalement pas beaucoup de consistance au regard du sort que les traductions des directives européennes réservent aux termes de monnaie traditionnel, monnaie légale, moyen de paiement. De telles variabilités linguistiques qui conduisent à transformer le contenu et le sens des directives ne rassurent pas beaucoup sur leur pertinence et leur effectivité.
Et, en définitive, le juge européen en vient à estimer que loin de devoir se cantonner à un exercice d’exégèse impossible à coordonner entre les différents textes relatifs à la monnaie et aux moyens de paiement, il vaut mieux se reporter sur ce qui se passe dans le monde réel afin de comprendre de quoi il s’agit et dans quel contexte on doit se placer !
Il en résulte que les monnaies virtuelles ont toutes leurs places dans l’univers des moyens de paiement et que la mise en place d’une plateforme de conversion de « monnaies traditionnelles » en « monnaies virtuelles » ne posent strictement aucun problème de principe et qu’en tout cas, ce n’est pas à coup d’atteinte à la neutralité fiscale qu’on fera progresser la question.
Cela changera-t-il beaucoup de choses pour les monnaies « virtuelles » ou « cryptées » ?
Sur le plan pratique, le juge ouvre largement les portes aux plateformes de change ou conversion de monnaies traditionnelles en monnaies virtuelles.
Il n’en conteste pas les modalités de fonctionnement au moins sur le plan essentiel de la rémunération des gestionnaires des plateformes de change.
Il rapproche leur activité de celles des opérateurs sur le marché des changes des monnaies traditionnelles puisque n’y voyant pas de différence.
Cette position est tenue en tenant compte très clairement des caractéristiques des monnaies cryptées : « Ils n’ont pas d’émetteur spécifique, mais ils sont créés par un algorithme sur Internet programmé par une personne inconnue jusqu’ici. Les Bitcoins ne sont prévus comme moyen légal de paiement dans aucun État ».
Si cet arrêt ne marque pas le coup d’envoi des monnaies cryptées, il ne marque en aucune façon un coup d’arrêt : le bitcoin s’en trouve banalisé et son usage normalisé sur le plan de la fiscalité.
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