Comment les banques peuvent-elles tourner de l’œil ?
Pascal Ordonneau
Avant toute observation sur les échecs des deux « nouvelles banques » américaines qui ont défrayé la chronique, il me parait utile de rappeler ce qu’est une banque fondamentalement et les contraintes qui s’en suivent à la fois sur son positionnement et sur l’exercice de ses missions.
Il n’est pas nécessaire pour répondre à la question : « qu’est-ce qu’une banque ? » de remonter jusqu’aux Lydiens ou à la Florence des Médicis ni aux talents et errements de John Law.
La banque, une machine à remonter du temps
L’entreprise banque est une machine où on entre un certain type de temps pour en sortir une autre sorte de temps.
Pour montrer ce qu’elle n’est pas et qui ne peut être qualifié de banque, il suffit de se reporter à ce que le commun pense de la mission de la banque : elle est là pour conserver l’argent et les actifs qui en sont le reflet. Dans le même mouvement, on comprendra ce qu’on reproche à la banque, « avec tout l’argent qu’elle a, elle pourrait au moins prêter » . Et c’est justement là que le commun n’a pas tort. Si la banque n’avait qu’une vocation « conserver les sous de ses clients », on ne la nommerait pas banque mais « caisse d’épargne » ou on la nommerait « coffre-fort » tout en relevant que cette dernière fonction étant si peu rentable que personne ne voudrait l’assumer.
C’est là que le commun n’est pas si bête, sa remarque va directement à la mission de la banque : si elle reçoit des sous n’est-ce pas pour les prêter ? La banque dans ces conditions serait non pas l’endroit où on dépose des sous mais l’endroit où on en prend !
Mais c’est là aussi où le commun ne comprend pas grand-chose à la chose bancaire et monétaire : le commun qui dépose veut disposer de ses sous quand il veut, le commun qui emprunte veut disposer des sous pendant la durée qui l’intéresse. Quelle différence entre les deux hommes du commun ? la durée ou le temps, pour faire plus élégant.
Et voilà qu’émerge la mission de la banque sans que le commun en ait la moindre idée et même en dépit de l’idée que le commun peut se faire de la question : la mission première de la banque est de transformer ce qui vaut dans l’instant en quelque chose qui vaudra dans l’avenir. Dit plus simplement : on lui pose des sous par prudence et elle s’arrange pour les utiliser par esprit de risque (imprudence). Elle a reçu des sous libres qu’elle garde contre tous et tout évènement, elle en fait des sous menacés par tous et tous évènements.
Le beau métier de la transformation
La mission de la banque est donc de transformer ce qui était certainement solide, tout de suite, en quelque chose qui le sera peut-être demain.
Et c’est là que le jeu se complique :
Ce qu’on vient d’évoquer est la base de la base de la base :
Un passif court est transformé en actif court ? Quel est le changement direz-vous ? on l’a dit plus haut : la banque a fait des sous sûrs, des sous pas sûrs. Un prêt à court terme, même à vue, est toujours en risque de ne pas pouvoir être remboursé.
La banque peut transformer un passif court en passif long. Et aussi, dans ce cas transformer un taux d’intérêt long en taux d’intérêt court et vice versa.
Donc, à ce stade, il faut retenir que la banque est une fantastique machine à transformer la chose monétaire : c’est de là qu’elle tire sa profitabilité. Elle encaisse des honoraires de transformation.
C’est justement à cause de cette mission qu’elle se trouve face à des contraintes propres et lourdes de conséquences.
Allez, disons-le tout de suite, quand la banque rate sa transformation, les sous déposés partent en fumée. « Ce n’est pas juste » disent les déposants des sous. « Nous ne sommes pour rien dans la transformation, on ne nous avait même pas prévenus. On n’a jamais voulu mettre notre argent dans la banque pour qu’elle s’en serve. On voulait seulement qu’elle garde les sous et qu’elle nous les rende quand on le demandait directement, ou par le moyen de ses bouts de papier, les chèques ou les virements ».
La banque, quant à elle ne pouvait dire que « tout ça c’est bien triste, mais que rien ni personne n’avait interdit d’utiliser les sous qu’on y déposait ». C’est si vrai que pendant la fameuse crise de 1929, le juge a parfois débouté les déposeurs de sous : ils les déposaient dans une banque… il savait bien ce que la banque en faisait.
C’est ainsi que, nolens volens, s’est créé un couple à l’amour vache. Le déposant et son banquier.
Or, au même moment, le transformateur, découvrait les courts-circuits. Il transformait, certes mais pas dans l’idée de changer la nature des choses : au bout de la transformation, la mue était accomplie et les sous redevenaient ce qu’ils avaient été à l’origine : disponibles et libres.
Voulez vous dire que les déposants devaient tous attendre l’échéance de la transformation pour retrouver la disponibilité de leurs sous ? Bien sûr que non, car la transformation n’est pas un mécanisme aveuble (comme tous les mécanismes). C’est un métier, c’est le métier de la banque. Elle peut, parce qu’elle est dirigée par des hommes de chair et d’os, le pratiquer bêtement : alors, tous les sous sont embarqués dans des aventures à terme et il faudra attendre comme ci-dessus pour les retrouver, ou bien le pratiquer avec deux sous de jugeotte, c’est-à-dire ne pas tout transformer pour le cas où une partie des déposeurs de sous voudraient en profiter.
Quand le monde est d’esprit positif on peut desserrer la contrainte, quand il est d’humeur négative, on doit au contraire la resserrer, voire même dans ce cas, renoncer à la transformation appliquant la célèbre maxime : « quand on n’a pas encore fait de bêtises, il est toujours temps de s’arrêter ».
La sagesse du transformateur
Au passage, pour entrer dans ce dernier raisonnement, il faut être doté d’une sagesse surhumaine, ce qui explique pourquoi cela n’arrive jamais : les déposants perdent donc tout ou partie de leurs sous.
Métier de la banque par nature et par excellence, la transformation prend des formes, des allures et des ampleurs très variables. Disons le tout de suite, plus c’est compliqué et plus le déposant peut craindre pour ses sous.
On peut transformer du temps, on l’a déjà vu : transformer du temps sûr en temps incertain, qui va du plus court au plus lointain. On me dira qu’un prêt à court terme ne comporte pas autant de risque qu’un prêt à long terme. Si « à long terme on est tous morts », on peut penser qu’à court terme on a moins de chance de l’être. Sauf que si, par hasard, les sous prêtés à court terme ne peuvent pas être rendus on découvre qu’à court terme aussi on peut mourir.
On peut transformer une chose certaine, les sous, en chose incertaine, un investissement.
Des taux d’intérêts fixes, en taux d’intérêts variables (et inversement).
Des sous euros, en sous dollars ou autres devises
Etc etc .
Dans tous les cas de figure, si je suis un gestionnaire de transformation raisonnable, je procéde comme indiqué plus haut : je ne transforme pas tout, voire je réduis la transformation quand l’univers économique l’impose.
C’est alors qu’un déposant de sous intervient et m’interpelle : « on n’y comprend rien, on ne devrait jamais laisser faire ces transformateurs, aussi, je vais mettre mes sous dans un établissement a renoncé à cette transformation putride et m’évitera ce genre d’horreur ».
Donc la banque de transformation n’aura pas de sous à transformer.
Sauf que d’autres banques non-transformatrices auront plein de sous à ne savoir qu’en faire et qu’elles s’appliqueront à ne pas transformer. Or, on sait qu’être le gardien des sous cela ne rapporte pas grand-chose. Alors ?
Alors, elles prêteront à des banques sans le sou. Lesquelles pourront nourrir la transformation au moyen des sous indispensables. Et si, finalement la transformation tourne mal, elles ne lèseront que les autres banques, celles qui ont apporté les sous nécessaires.
Ce ne sera que justice, sauf que les autres banques lésèes qui ne transformaient ne rendront pas les sous des déposants…. Mais, réellement, ne transformaient-elles pas quand même ?
La boucle serait-elle bouclée ?
Bien sûr qu’elle est bouclée : le métier de transformateur des banques est immuable. Les seuls organismes qui peuvent en réduire les dangers sont les pouvoirs publics…
Et ça c’est une autre histoire.
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