Agences de notation

 

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Agences de notation, Agence Européenne de notation….

Les Agences de notation ont encore frappé 1 et 2!

Agences de Notation: pistes pour une réforme,

Notations des entreprises: tout est à refaire?

Le financement privé des Etats et leur notation sont-ils illégitimes ?

Le jour où les agences de notation ont disparu….

 

Agence Européenne de notation….

 

 « Nous ne sommes pas  des andouillettes ! AAA ! », « Agences de notation ! Agences de récession ! », « Agence Moody’s ! Agence pour la crise ! » Au beau milieu du mois d’octobre, les militants de quelques partis extrêmes s’en vinrent invectiver l’Agence de Notation Moody’s jusque dans ses locaux parisiens. Un des candidats à la présidentielle lançait alors devant caméras et micros « L’agence Moody’s affirme qu’il va surveiller le peuple français »« Tenez-le vous pour dit (agences de notation) Nous vous surveillons ! »

Agences de notation, agences de récession

Dans un registre plus contrôlé, fonction oblige, un représentant de la Commissions Européenne enfonçait un clou sur lequel cette dernière tape régulièrement depuis le début de la crise des dettes souveraines : « Nous explorons la possibilité d'interdire, dans des circonstances bien définies, la notation souveraine quand le pays en question est sous programme de soutien du FMI ou de l'Union européenne", expliquait le commissaire européen chargé du marché intérieur.  La commission avait aussi suggéré une autre possibilité «poursuivre la responsabilité des agences en cas de négligence». Le décor est planté.

La question de leur efficacité, légitimité et pertinence a été largement soulevée, les horreurs de notation que le trio a produites pendant une dizaine d’années auraient dû les conduire directement à la faillite pour incompétence. Mais aux Etats-Unis, et c’est une belle chose, on ne peut pas être condamné pour ses opinions. Les agences de notation sont des organes de presse qui délivrent des opinions et non des entreprises de services. Tant qu’elles ne disent pas « je mets une sale note à tel pays parce que ses dirigeants ont de sales gueules et que ce sont tous des serial killers » il n’y a aucune chance pour qu’elles soient poursuivies. On devrait peut-être dire « était » car ce n’est plus tout à fait vrai : récemment un juge américain a créé une brèche dans ce bel édifice d’impunité.

Une Agence européenne de notation contre les dérives « des trois agences »

Leurs frasques, leurs dégradations en série des notes des pays européens, Grèce en tête, leurs menaces sur l’Italie, les commentaires dont elles ont accompagné la dégradation des Etats-Unis, leurs recommandations insistantes fondées sur leurs soi-disant « opinions » ont eu pour conséquence que nombre de responsables européens, au niveau politique parfois le plus élevé, ont demandé que la question de la notation soit enfin posé au niveau européen et ne soit plus uniquement une manifestation d’ « opinions » américaines. Et de suggérer la création d’une Agence de notation européenne.

Avant d’aborder cette idée, très européenne, qui consiste à inventer une chimère de plus, il peut être utile de rappeler quelques règles relatives aux agences de notation et à leur activité dans l’Union Européenne. Par exemple : la commission européenne a proposé, en juin 2010, de modifier la réglementation de l’Union Européenne sur les Agences de notations de Crédit (ANC). L’objectif était de renforcer la surveillance et la concurrence sur le marché des ANC ainsi que la protection des investisseurs. Un vrai pouvoir de sanction a été confié à l’Autorité (ou agence) Européenne des Marchés Financiers (AEMF). S’en est suivie la définition de toute une série d’amendes qui font intervenir non seulement la gravité de l’infraction mais aussi la taille des agences : l’AEMF pourra condamner une ANC à une amende représentant jusqu’ à 20% de son chiffre d’affaires.

L’Union européenne a souhaité encadrer, plus encore que dans le passé, les Agences de notation dont l’agrément est toujours octroyé au niveau national par les Autorités Nationales de Marché, AMF en France  ou Autorité fédérale de surveillance des services financiers en Allemagne (Bafin). Cet agrément vaut pour l’espace financier Européen et emporte que l’agence de notation devra se conformer aux règles européennes et répondre aux nouvelles exigences tirées des conséquences de la crise de 2008. Parmi ces exigences,  les règles en matière de conflits d'intérêts qui se traduisent par l'interdiction des activités de conseil et de notation pour un même client et celle de la rotation des analystes. 

Mais aussi ne peut-on pas juger qu’une réponse à la question « agence de notation » passe par une reprise en main de la politique des Etats et de rompre avec la négligence avec laquelle elles ont laissé le champ libre aux agences de notation. Les Etats Européens ont avalé toutes les potions indigestes des normes IFRS sans les discuter dont la contrainte de notation des actifs bancaires. Ils ont laissé les agences de notation gérer les bons points et les mauvaises notes sans manifester une seule fois avant 2010 que leurs procédés étaient au mieux inadaptés et au pire ouvertement hostile pour ne pas dire douteux sur le plan des méthodes et des risques de conflits d’intérêts. La seule entité qui s’est déclarée non concernée par les notations des Agences : c’est la Banque Centrale Européenne.

Au surplus, les Etats européens n’ont rien dit lorsque les agences se trompaient sur la notation des dettes souveraines, cf l’Islande, l’Irlande et même la Grèce. Ils auraient du réagir bien plus tôt. Si les agences avaient fait leur boulot en amont, au lieu de débarquer au dernier moment, la Grèce aurait peut-être été obligée de réfléchir à deux fois avant d’augmenter son endettement. Ses « collègues » en Euro auraient considéré sa situation avec plus de circonspection. Les investisseurs ne se seraient pas bousculés. Au fond, les agences de notation américaines  ont fait comme la banque la plus primitive qui puisse s’imaginer : « ça ne va pas bien pour mon client ? Je coupe tous les crédits ». En France, une rupture ainsi menée est dite « abusive ». Les agences de notation vont-elles être poursuivies et mises en examen pour « rupture abusive de confiance » ?

L’Europe n’est-elle qu’un empilement de structures.

Dans ces conditions que dire du projet d’agence de notation européenne sinon qu’il est aussi visible et impressionnant que le monstre du Loch Ness ? qu’ajouterait-il aux moyens de contrôle ? En quoi changerait-il la donne sur le marché des agences de notation ?

Cette idée semble convenir à l’Allemagne qui n’est pas le moindre des acteurs de la Scène européenne ! Elle verrait bien que les éléments centraux d’une politique européenne financière et monétaire se trouvent établis sur son territoire : l’Agence européenne serait au côté de la BCE, de Deutsche Börse, du Comité des risques systémiques ou encore de l'Autorité européenne des assurances.

S’agissant d’un organisme public européen, il pourrait donner le flanc aux attaques sur son impartialité. Organisme à capitaux publics européens ou comme la Banque Centrale Européenne, organisme dont les fondateurs seraient les autorités ou agences de supervision des marchés nationaux européens, ne risquerait-elle pas d’être considérée comme le véhicule d’une pensée officielle, d’une notation « politique » ? C’est un risque d’autant plus grand que ce qui est visé dans le projet de création d’une Agence de notation européenne est la notation des pays, voire des collectivités locales et non pas celle des entreprises processus que personne ne semble critiquer. En revanche, les autorités de régulation et de tutelle demeurent toujours très critique sur la façon dont les agences sont rémunérées.

Quelques sociétés de notation de crédit se sont déjà constituées en Europe et ont reçu l’agrément de leurs autorités nationales. La lutte contre la concentration du marché dominé par l’oligopole des trois américaines ne passe-t-elle pas d’abord par l’appui aux initiatives européennes pour faire naître une « industrie européenne » de la notation.

Les risques à l’encontre de la légitimité, de l’impartialité et aussi de l’indépendance d’une Agence ne devraient-ils pas conduire à une réflexion mondiale sur la question : aujourd’hui le drame de la notation est un drame européen. Mais demain ? Les Etats-Unis, seraient dans le collimateur… qui seront les suivants. ? mais surtout quand on sait qu’il y a un vice dans ce système : les Agences pensent pour tout le monde et décide du « pensé juste », pire que dans le Roman de G.Orwell , 1984. Et non seulement cela, mais elles pensent sur tous les produits financiers, tous les acteurs de l’économie, toutes les durées, tous les pays, tous les niveaux d’activité économique. On a même esquissé dans un article qu’elle pourrait bien un jour devenir le passage obligé d’un parti politique luttant pour le pouvoir et faisant bénir son programme d’un AAA ….complaisant, flatteur ou complice.

Une agence Européenne de notation ne devrait-elle pas dans ces conditions être non pas une société d’information, mais une entreprise de jugement ?… Ne devrait-elle pas réunir tous les plus grands décideurs des économies européennes, banques, industries, régions, grandes métropoles, universités et les engager dans une vraie notation menées par la combinaison de vraies compétences selon des processus connus, transparents et un mode de décision ouvert sur le présent et sur les projets et les plans.  Cette idée est partagée par beaucoup de responsables américains. Pourquoi ne pas l’insérer dans un projet plus vaste, mondial peut-être. Avec parmi les animateurs de ce système, outre une institution européenne, une institution mondiale : le Fond monétaire international.

Affaire à suivre !

Alors que le ministre allemand des Affaires étrangères Guido Westerwelle suggérait la création d'une agence de notation européenne indépendante, Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers, commentait ainsi "Le tout c'est qu'elle soit indépendante, et qu'elle soit véritablement très experte".

 

 

Les agences de notation ont encore frappé ! 2

 

Voilà qu’il nous faut revenir à nouveau sur les frasques et les fantaisies des agences de notation !

Le corps du délit ? pendant que les Etats européens sont en train de réfléchir intensément aux règles qui doivent s’imposer aux spéculateurs concernant les dettes souveraines (européennes), l’agence de notation Fitch, annonce que si on ne la retient pas, si on laisse les choses aller, elle ne pourra que faire son devoir, rien que son devoir mais tout son devoir….dégrader l’Espagne, dégrader l’Angleterre, et dégrader la France et les faire toutes trois passer de triple A (vous savez, treppppplllllle ai ye) à quelque chose d’autres, par exemple ravaler le trio au rang de l’Islande quand il faisait encore beau sur l’Atlantique Nord.

 

Liberté d’opinion chez les Noteurs

L’agence Fitch appelle ces pays à rendre plus crédibles les mesures prises pour réduire leurs déficits. Elle les prévient solennellement « Oyez ! Oyez ! qu’il soit dit et répété par les bons peuples de la finance et de la banque, que les royaumes d’Espagne et d’Angleterre sont sur le point de démériter, de nous, Fitch, et avec la République de France, elle-même persistant et signant sans vergogne dans sa malheureuse habitude de dépenser plus qu’elle ne gagne et risquer sur ce point de n’avoir de note que double A et peut-être même moins… ». Fabuleux, l’agence Fitch, tance d’un seul coup, France, Royaume-Uni et Espagne et les menace de dégradation. L’agence Fitch, combien de divisions ?  murmurait-on à Bruxelles tout en tendant l’oreille au tonnerre ! Est-ce Waterloo à nouveau ? dit d’une voix inquiète un jeune commissaire pas encore aguerri. Mais non, c’est plus sérieux, s’entendit-il répondre par un ainé, c’est Fitch cette fois ! Wellington, interrogea un autre ? Un rire accueillit la question et dans un ricanement vint la réponse, au mieux, c’est Dumouriez! Fitch est une société sous contrôle français, il ne faut donc pas ici, se lancer dans les délices de la confrontation avec les anglo-saxons, les Français parlent aux Français.

 

Peu importe dans tous les cas. Cette notation de la part de l’Agence Fitch, doit rappeler deux choses essentielles : les agences de notation sont libres de leurs opinions et elles sont totalement irresponsables. Çà n’est pas contradictoire. C’est même la logique la plus saine et la plus sensée qui gouverne la liberté d’opinion. L’irresponsabilité du journal et du journaliste sont les garants de leur existence et partout où la démocratie s’est imposée, s’est imposée ce principe. Une fois le principe posé et gravé dans les tables des lois des démocraties, personne n’a plus eu l’audace de le contester même aujourd’hui lorsque les tabloïds anglais et la presse Murdoch s’adonnent à la presse de caniveau et d’égouts. En France, il y eut des velléités, il y a bien longtemps, lorsque la violence des propos journalistiques et leur indécence, rendirent l’air politique totalement irrespirable,  poussèrent au suicide certains ministres et au meurtre certaines femmes de ministres. Tiens, au fait ! Une dégradation de la notation de Fitch ou de Standart and Poors a-t-elle jamais eue pour conséquence qu’un PDG se passe par la fenêtre ? A-t-on jamais vu la femme d’un directeur financier se précipiter chez Moody’s pour revolveriser un de ses dirigeants? Pourtant, quand Michelin fait sauter une étoile, rien n’exclut qu’un chef ne se fasse sauter la cervelle ! Il y a de l’honneur et de l’amour-propre chez les restaurateurs, un peu moins dans les autres entreprises semble-t-il ! Serait-ce un argument supplémentaire, accessoire mais efficace de l’irresponsabilité des agences de notation ? Lorsqu’un restaurateur perd une étoile, c’est de lui, de ses prestations, de son génie qu’il est question. Lorsqu’une entreprise cotée en bourse perd un « A », ce ne sont pas les dirigeants qui en prennent plein la figure, ce sont les épargnants, les actionnaires, directement porteur des actions ou indirectement via les instruments d’épargne collective ou les fonds de retraite.

De l’irresponsabilité des Noteurs

 

Au fait, pourquoi diable s’en aller ainsi à chanter les louanges de l’irresponsabilité des journaux et des journalistes dans un article très clairement orienté sur l’action des agences de notation ? Quel rapport en l’agence Fitch et ses étoiles, pardon ses triple, double, single, A, B etc, avec watch, stable, plus, plus ou moins….l’Agence Fitch, note et si elle se trompe, rien n’interdit de tenter de lui intenter un procès en responsabilité….eh oui, rien n’interdirait… pour autant qu’il s’agisse de tout autre chose qu’une opinion !  Et c’est la là finesse ! Une opinion c’est une opinion, et les agences de notation vendent leur opinion donc elles sont irresponsables. Elles ne vendent pas une décision, elles ne valident rien du tout d’un projet, d’une émission obligataire. Elles formulent une opinion et la liberté d’opinion ne se divise pas ! En plus, l’opinion qu’elles livrent est destinée à leurs clients. Qui commet une agence de notation ? Pas les épargnants, en tout cas ! C’est le bénéficiaire de la notation ! C’est lui qui va payer, c’est lui qui achète et emploie et diffuse cette opinion. Donc, reprenons, quand une entreprise demande à Moody’s de noter ses émissions d’obligation, elle ne demande pas à l’agence de fournir une garantie aux souscripteurs….Elle lui achète seulement la formulation d’une notation-opinion et le droit de la diffuser si cela lui convient. Tout ceci étant payant, le payeur est évidemment la personne qui a acheté la prestation, c'est-à-dire l’entreprise ou le débiteur.

On avait fait remarquer dans l’article ….. Qu’il y avait finalement peu de différence entre les rehausseurs de crédit et les agences de notation : les premiers ne peuvent jamais payer pour ce qu’ils ont contribué à rehausser car leurs fonds propres sont insuffisants et ils ne rehaussent que parce que des agences de notation ont dit que leur crédit était de bonne qualité. Dans ces conditions, les rehausseurs, ne faisaient que transmettre la notation qui leur avait été conférée par les agences de notation, comme la mouche tsé tsé véhicule la maladie du sommeil. Cette situation confinant l’absurde vaut qu’on s’y arrête quelque peu. En somme les agences de notation, notent sans risque et, d’ailleurs, essentiellement, sont sans ressources pour les affronter et les rehausseurs bien notés prennent des risques qu’ils n’ont pas les moyens d’assumer grâce aux bonnes notes des Agences de notation. C’est mieux que la création monétaire organisée par une banque centrale qui achète les bons émis par le trésor public sans limitation d’émission.

Et franchement, comment pourrait-on imaginer l’agence de notation Fitch, celle-là même qui veut déclasser la France, l’Angleterre et l’Espagne, capable de faire face à ses erreurs de notation si d’aventure elle s’était trompée pour l’un ou l’autre de ces trois pays ? Un déclassement de notation devrait se traduire par une hausse des taux d’intérêts. Et si, l’opinion de l’agence était biaisée, si ses ordinateurs avaient pataugé, et si ses dirigeants avaient une conviction politique aux antipodes du pays qu’ils notent, comment pourrait-on lui faire payer ses erreurs dont le moindre n’est pas l’accroissement du coût des emprunts des pays notés? De tous côtés on sent bien un malaise à l’égard de donneurs de leçons, de petit prof. qui peuvent s’arroger le droit de faire payer cher aux contribuables d’un pays, leur mauvaise humeur, une anticipation tristounette, une vision de l’économie mondiale concoctée dans le secret de leurs ordinateurs. Cette ambigüité est clairement énoncée par Jacques Attali, lorsqu’il interroge :  « Quel ministre des finances osera aujourd'hui répéter publiquement qu'il faut contrôler ces notateurs, alors qu'il s'expose à ce que ces agences déclarent le lendemain que la note de ce pays doit être abaissée, ce qui alourdirait immédiatement le cout de ses emprunts? ».

Quand les noteurs n’étaient que de simples almanachs pour marchands et industriels

 

Les interrogations sur la responsabilité des agences de notation doivent aller plus loin : vendre une opinion c’est très bien, tant mieux s’il y a des gens pour acheter. La demande est souveraine, le consommateur est roi, le marché est là pour satisfaire l’une et répondre aux exigences de l’autre. Si on ne croit pas au marché, il faut faire autre chose que de l’économie libérale. Pour autant, même en économie libérale, il y a des limitations. En France, on parlerait de respecter l’ordre public et les bonnes mœurs…dans tous les pays, il y a des interdits, il y a des choses qui ne peuvent se vendre. Y aurait-il des limitations de ce genre à l’activité des agences de notation ? Ne serait-il pas raisonnable de poser ces limites non parce que les bonnes mœurs sont en cause mais parce que dans certaines configurations la vente d’opinion est un leurre du fait que les acheteurs ne sont absolument en droit d’acquérir une opinion sur ce qu’ils font, ce qu’ils sont et ce qu’ils seront.

 

Il faut revenir à l’opération d’achat et de vente d’opinion. Qui décidé d’acheter une opinion ? C’est le « bénéficiaire » ! Et c’est bien à ce stade que tout est faussé. Il faut revenir un peu en arrière, dans le temps, à l’aube des agences de notation. L’Agence Poor qui précéda Standard and Poor, était un éditeur de données chiffrées. Et de même Moody’s, et de même Fitch. Ces gens-là à cette époque là, au début du siècle dernier et même à la fin du siècle précédent étaient des journaux d’information destinés à des décideurs dans les entreprises. Leurs lecteurs payaient au numéro ou sur abonnement pour avoir à leur disposition les données, les chiffres, les prix, rassemblés sur une parution se substituant à la masse indistincte et parfois inaccessible de toutes les informations économiques, techniques et comptables disponibles mais éparpillées, invérifiées, et éclatées. Donc, ce que leurs clients leur achetaient, c’était de vrais et purs produits d’une activité journalistique : des données, des faits, des chiffres dans leur pureté. Comme lorsqu’un écran reuters ou fininfo s’allume et vibre de milles chiffres, courbes, tableaux donnant à réfléchir, à computer et enfin à décider. L’acte d’achat était simple et pur, de l’information contre argent sonnant et trébuchant. Beaucoup plus tard, les agences se sont lancées dans la vente d’information qualifiée via  les exercices de notation. Rien de bien grave. Et même après tout, rien que de très normal. Il ne s’agissait que d’ajouter de la valeur à de l’information primaire et brute. En plus de montrer les bilans des entreprises pétrolières, les agences d’information économique proposèrent de vendre des jugements…Donc les clients des agences payaient pour des informations sur d’autres entreprises….

 

Et c’est à ce stade que nait l’ambigüité : les agences de notation ont changé progressivement de clients tout en prétendant vendre dans les mêmes conditions les mêmes produits ! Ce ne sont pas les investisseurs qui payent pour simplifier l’exercice de leur analyse de risque. Ce ne sont pas les gérants d’actifs, qui commettent les agences de notation pour rassurer leurs mandants, leurs actionnaires ou leurs sociétaires. Ce ne sont pas les fonds de pension ou de retraite, ou d’investissements à long terme qui ayant à choisir paient des entreprises pour les aider dans le choix de tel ou tel support d’investissement émis par tel ou tel collectivité publique ou privée. C’est l’inverse. C’est l’objet de l’investissement ou du placement qui va payer pour qu’on étalonne ses qualités, sa valeur et son avenir.

 

Admettons que l’économie libérale accepte ce genre de passe-passe. Acceptons l’idée que les entreprises ont toujours eu le droit de faire évoluer leur clientèle autour d’un même produit ou d’un service. On revient néanmoins sur la question : l’acheteur de l’opinion qui n’est plus le décideur de l’investissement mais son objet, peut-il être un Etat ? Ou un démembrement de cet Etat. La question suivante mérite alors d’être soulevée : qui au sein de l’Etat est autorisé, à le pouvoir de poser une question du genre,  « quelle est ma valeur, me comporté-je bien ou mal, mes dettes sont-elles solides ou non ? » Quel fonctionnaire français est-il légitime quand il demande à Fitch de lui vendre une opinion sur tel ou tel émission de dette? Qui l’a autorisé à payer un organisme privé pour que celui-ci l’adoube et permet d’espérer des taux un peu meilleurs que cela aurait été si…. Et puis, sur quoi, l’opinion des agences de notation repose-t-elle ? Sur la capacité d’un peuple à envoyer des représentants qui feront plaisir à l’Agence de notation ? Sanctionneront-elles d’une dégradation lorsqu’une élection se traduira par l’arrivée d’une couleur politique peu propice ? Tiens, par exemple, les grecs ! Imaginons qu’ils décident de porter l’extrême gauche au pouvoir ! Lorsqu’un fonctionnaire des finances appellera Fitch, afin de lui acheter une note pour accompagner un emprunt sur dix ans, devra-t-il s’attendre à une note de défiance ?

 

Si l’acheteur de l’opinion était l’investisseur….

Il n’y aurait rien à redire : celui-ci doit formuler un choix pour bien décider. Il peut décider de s’équiper en ressources humaines et en compétences économiques pour procéder à ses propres analysées, mais il peut aussi décider de sous-traiter l’analyse de ses risques, auprès d’entreprises spécialisées dans la …notation.

 

Bien sûr le modèle économique serait beaucoup moins sympathique pour les Agences de Notation. Il va falloir se battre pour mettre les choses à l’endroit, c'est-à-dire les retourner.

 

Agences de Notation: pistes pour une réforme

Le 17 juin, à l’antenne de Radio France Internationale, Jean-François Cadet, m’opposait en tant que  chroniqueur économique pour  les Echos.fr, Kritiks et le Monde à Jean-François Six, Chef Economiste pour l’Europe de Standart and Poors. Le thème : Agences de Notation : un mauvais procès ?

Tout débat s’illustre d’exemples donnés à l’appui d’un argument, d’une image destinée, quittant le domaine abscons des spécialistes, à mettre un sujet difficile à portée de tous. Je citai le Guide Michelin et ses étoiles, je pensai à la FNAC, à Parker et insistai de sorte que les auditeurs comprennent à quel point il est anormal que les notes soient achetées par les entreprises ou les Etats à qui elles sont destinées. J’écartai les critiques caricaturales dans l’esprit « le prix d’une note 3 A est trois plus élevée que le celui d’un simple A ». Je m’attachai à démontrer qu’il fallait abandonner le mode de relations « noteurs-notés » qui, viciant le modèle initial où les notés n’étaient pas « des acheteurs de notes », conduisait le système des notations vers des conséquences vicieuses.

Pourquoi fait-on compliqué alors que le monde était si simple ?

Les Agences de Notation sont très malheureuses. Depuis que la crise a éclaté, elles sont placées en avant, telles des victimes expiatoires. Nous ne sommes pas loin des bûchers et des pendaisons à la lanterne. Même des gens posés comme les ministres et les chefs d’Etat du G20, y sont allés de leur petit couplet vengeur sur les Agences de Notation et leurs responsabilités dans la crise.

N’ont-elles pas été incapables d’arréter les dérives des notations dans les affaires de subprime ? N’ont-elles pas distribué les Triple A, comme madame Larousse sème à tout vent ? Et surtout, ayant commencé, y ayant trouvé du goût et aussi de l’argent, elles n’ont pas su s’arrêter à temps et cesser de déverser les triple A sur demande. On ne crache pas facilement sur le bel et bon argent, surtout lorsque plus de 40% de vos revenus en dépendent !

Pourquoi tant d’acharnement ? Après tout ne notaient-elles pas parce qu’on le leur demandait. Il y a une liberté du commerce n’est-ce pas ? Il fallait des notes car, à la suite des accords « Bâle II », il fallait pondérer les actifs des banques selon leur qualité. La nature économique ayant horreur du vide, les Agences de Notation sont venu le remplir. Il fallait des notes ? Elles ont fourni des notes. Ceux qui en avaient besoin étaient pressés, alors on a rompu avec le système antérieur et les noteurs ont fait payer les notés.

Pas d’Agences de Notation légitimes sans supervision active !

Dans cette course effrénée à la notation les agences ont été laissées à elles-mêmes. Les accusations d’incompétence, d’incapacité à prévoir, de légèreté voire de manque complet d’indépendance ont été assénées. Beaux effets de manche ! Et chacun de faire appel à son plus cuisant souvenir, la crise de dot-com, Enron, Penn central, Vivendi. Ont-elles été au-dessus des lois ? Et chacun de marteler qu’incompétentes et dangereuses, il y a 10, 20 ans déjà, elles ont persisté dans l’erreur, la connivence et l’opacité. On peut les trouver bien douteuses ces accusations quand elles sont portées par ceux-là qui auraient dû s’assurer que les règles étaient clairement posées et respectées ! Aveu d’impuissance ou de désinvolture de ceux qui nous gouvernent, mais qui oublient la gouvernance de pans entiers de l’économie, qui ignorent le monde de  l’argent, ou, pire, qui pensent qu’à trop le réglementer on lui fait perdre son charme et son efficacité !  Ce n’est pas rassurant de se dire que c’est un grand classique dans le gouvernement des hommes et on se prend à douter que le réveil des gouvernants va nous assurer une gouvernance meilleure.

Ainsi déferlent depuis prés de deux ans des propositions parfois similaires scandées de franches manifestations d’hostilités. Le Sénat américain, qui a découvert avec effarement le rôle un peu glauque des Agences de Notation dans les affaires de subprime, propose qu’elles soient soumises à la supervision de la SEC quand la Commission Européenne propose qu’elles soient justiciables de la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Cette dernière serait investie de pouvoirs de surveillance exclusifs sur les ANC (Agences de Notation) enregistrées dans l'UE ainsi que sur les filiales européennes d'agences bien connues telles que Fitch, Moody's et Standard & Poor's. "L'AEMF aurait le pouvoir de demander des informations, d'ouvrir des enquêtes et de procéder à des inspections sur place.".En France, l’AMF est censée exercer cette surveillance.

Bel et bon, mais, en toute franchise, les moyens de contrôle et de surveillance existaient déjà partout dans le monde et, en particulier, aux USA, qui, purement et simplement, n’ont pas été utilisés ou qui n’avaient dans la réalité, aucun moyen matériel et humain pour accomplir leurs missions. Au surplus, tant l’AEMF que l’ensemble des dispositifs américains nouveaux et anciens, devront bâtir leur légitimité, devront recruter leurs personnels, définir leurs méthodes de travail. Autant dire qu’ils ne seront  pas opérationnels avant longtemps. Des dizaines d’Enron, de Penn central et de montages sub-primes ou du genre auront pu sévir et répandre leurs dégâts avant que le contrôle des Agences de Notation ait un sens.

Ne faut-il rien faire ? Certes non ! Mais il ne faut pas rêver. Cela ne suffira pas.

Dis-moi qui te note, je te dirais qui tu es….

L’anomalie qui entache les rapports entre Agences de Notation et « notés » réside dans un soi-disant libre choix de l’Agence par le Bénéficiaire (ou la victime) de la notation. Est-il si libre ce choix ? Est-ce d’ailleurs bien logique que le choix de l’Agence de Notation soit le fait du bénéficiaire de la notation au motif que c’est finalement lui qui paye la note ! On pourrait même soutenir que c’est parfaitement anormal puisque l’objectif n’est pas d’avoir une note, bonne ou mauvaise, mais de qualifier les créances et les investissements détenues par les banques et les établissements financiers dans le contexte des normes définies par les accords Bâle II et de donner des indications utiles aux choix des investisseurs en phase d’acquisition d’actifs financiers.  

Donc, il est très illogique que le choix de l’agence de notation soit le fait du « noté »… les pouvoirs publics et les parlements des grandes zones économiques et politiques : les USA et l’Union Européenne font grand cas de cette question de principe et ils ont raison. Aux Etats Unis, une proposition entérinée par un amendement du Sénat tendrait à créer une sorte de juge de paix de la notation. Cet organe, composé des plus grands investisseurs américains et de représentants des organes de contrôle, etc. etc. serait saisi à l’occasion d’une demande de notation il aurait pour mission de désigner une agence de son choix. Donc, voici imaginé un premier grand accroc au principe vicié de la relation « noteur-noté ». La connivence fondée sur le fait que le noté « achète » la note, serait donc rompue par la présence d’un tiers indépendant qui s’intermédierait dans le choix de l’Agence.

Un pour tous, tous pour un !

Pour rompre ce huis-clos « noteur-noté », il y a d’autres voies. L’Europe réfléchit sur la création d’une Agence Européenne. Il s’agirait de renforcer la concurrence dans un marché qui est fortement oligopolistique. Ce n’est pas enfoncer le clou de façon un peu lourde que de rappeler il n’y a que trois agences au niveau mondial! Manuel Barroso qui défend l’idée d’une agence européenne s’est certainement souvenu que les mousquetaires, justement, étaient quatre… dont un était un peu à part!

Barroso-d’Artagnan est fougueux comme un gascon…. Mais n’est-ce pas une gasconnade que de mettre tant d’espoir dans une agence européenne ! Bien sûr, il en faut une ! Pourtant, porter à quatre le nombre des agences ne diminue en rien la profonde aberration qui réside dans le fait que les Agences de Notation sont considérées compétentes pour tout, partout, sur tout. C’est jeter aux oubliettes le fameux principe marketing « on ne peut pas tout le temps faire plaisir à tout le monde… ». On a bien vu qu’elles ont été lamentables dans toute une série de dossiers, qu’elles ont maintenu des notations d’excellence au mépris de tous les signaux les plus grossièrement évidents. Ce n’est pas parce qu’il y en aura quatre que les risques seront changés.

Développer la concurrence est indispensable. Il faut aussi renforcer le professionnalisme et les compétences des spécialistes de la notation en réduisant les prétentions à l’omni-compétence qui conduit à un sentiment d’omnipotence et d’arrogance.

Qui trop embrasse mal étreint !

Que penserait-on d’un monde dans lequel n’opéreraient que trois banques, trois assureurs, trois sociétés de production d’électricité, etc. ? Surement pas du bien ! Alors, il est anormal qu’il n’y ait que trois agences pour juger de la qualité de tous les actifs financiers du monde, dans toutes leurs formes, qu’ils soient simples ou dérivés, uniformes ou structurés, pour toutes les entreprises, les Etats, les collectivités publiques et privées de toutes natures.

N’est-il pas insensé que des Agences de Notation privées se mêlent de noter les Etats, et les collectivités publiques ? Pourquoi ne noteraient-elles pas aussi les partis politiques des différents pays ? Pourquoi, lors de l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle équipe ne la noterait-elle pas avec la mention « watch » ? Il faut évidemment réfléchir à d’autres moyens d’apprécier, de qualifier et de noter la dette des Etats. Une agence européenne pour les Etats Européens ? Une agence dépendant du Fonds Monétaire international ?

Plus généralement ne serait-il pas logique de susciter la naissance d’agences hautement spécialisées dans les produits financiers complexes, vendus partout dans le monde, incorporés dans des fonds de fonds qui présentent des niveaux de technicité et, par conséquent, des niveaux de risques très élevés. Et tout aussi logique serait un domaine de spécialisation relatif aux collectivités publiques, locales, régionales etc. du monde entier. Il est aussi des zones géographiques dont les caractéristiques méritent qu’on s’écarte de la norme universelle.

Quel prix pour quelle responsabilité?

La question de la formation des prix est contenue dans les remarques qui précédent sur la concurrence. Plus importante est celle qui a trait à cette relation ambiguë qui fait des notés des clients des noteurs, lesquels reçoivent paiement des premiers.

Il est des exemples où les notés achètent les notes sans que cela présente une difficulté en terme d’éthique. Les contrôles techniques obligatoires en France pour la vente d’un appartement, d’une voiture etc. sont bien à la charge du propriétaire qui en paye le prix. Personne n’y trouve à redire même si chacun pense que cela se retrouve dans un renchérissement des prix.

Pourquoi trouve-t-on que la relation est viciée quand il s’agit des Agences de Notation et normale dans les autres cas ? Simple comme bonjour : les contrôles techniques sont le fait de professionnels qui doivent être autorisés par l’Administration.   En cas d’erreur dommageable, en cas d’accident, mortel ou non, on imagine sans peine ce qu’il adviendrait du professionnel en charge du contrôle technique d’une voiture qui, par négligence ou par connivence, aurait sous-estimé un risque grave. Or, justement les Agences de Notation, ont réussi pendant des années à éviter la mise en cause de leur responsabilité.

Aux USA, où elles étaient protégées par les principes constitutionnels sur la liberté d’opinion et parce que les notes n’étaient  que la conclusion d’une opinion, il aura fallu attendre septembre 2009 pour qu’un juge déclare recevable l’action en justice d’investisseurs contre Standard and Poors. Les Agences de Notation qui participaient aux mécanismes du rehaussement de crédit et les rendaient opérants n’ont pas été poursuivies, pour le moment, quand les établissements financiers concernés l’étaient !!! Le Sénat américain s’en est ému et a proposé que les recours contre les agences fussent facilités et plus largement ouverts.

Trancher dans le vif ou rêver du Retour aux origines ?

Faut-il les nationaliser, au niveau Européen, ou au niveau mondial ? Les gouvernements qui se sont montrés prêts à toutes les démonstrations de vertu ces derniers temps  auraient pu, décider que les notes sont des choses trop sérieuses pour les laisser entre les mains des noteurs. Nationaliser, donc ? Fort heureusement, aucune proposition n’est venue à ce titre et s’il y a bien quelque chose qu’il faut éviter dans ce domaine de la notation « indépendante et objective » c’est de la mettre entre les mains de pouvoirs publics !

Pour trancher dans le vif, il y a plus subtil. Le renversement de la relation « noteur-noté » peut passer par un retour franc aux origines. N’est-ce pas à la banque qui doit faire qualifier et noter les actifs postés à son bilan pour complaire aux règles Bâle II et IFRS de payer les noteurs ? N’est ce pas à l’investisseur, caisses de retraite, assureurs, gestionnaires d’actifs de payer pour savoir si l’investissement qu’ils envisagent est de bonne qualité, immédiatement et pour l’avenir ? Si les « intéressés » étaient les payeurs, ne seraient-ils pas en meilleure position pour exiger des formes et des manifestations de compétence plus pointues ?

D’autres formules ? A commencer par le paiement par l’ensemble des acteurs du monde financier et bancaire d’une taxe destinée à financer la qualification des actifs qu’ils détiennent. Cette taxe serait aussi destinée à financer toutes les recherches permettant d’améliorer les processus d’analyse, de les adapter plus étroitement aux différents types d’actifs, courts ou longs, risqués ou sécurisés, simples ou structurés, à la grande variété des acteurs, entreprises, collectivités, publiques, privées, locales, multinationales et enfin à la grande diversité des zones économiques mondiales et leur degré de maturité économique.

Quittant un modèle qui s’est dévoyé, il s’agit de faire plus et mieux que le modèle qui le précédait et de redonner aux Agences de Notation, anciennes, nouvelles, généralistes, spécialisées, le rôle qu’appelle le monde économique moderne, ouvert et libre, d’après la crise.

Notations des entreprises: tout est à refaire?

Là franchement ! Vous n’allez pas barguigner les mérites des agences de notation. On sait bien que vous êtes réservé à l’égard de la notation de la dette  souveraine. Là, ici, la notation de la dette des entreprises, franchement, il n’y a pas de raison. Les entreprises de notation s’y adonnent depuis plus de Cent ans. Personne n’y a trouvé à redire….

A ce stade les remarques qui pourraient être faites à l’encontre des Agences de notation sembleraient être injustifiées et même injustes.

Cote des entreprises entre notations et recommandations

Certes, il y a eu des erreurs. On parlera d’Enron dont la qualité est demeurée à son pinacle jusqu’à la veille de son effondrement. Après tout, n’est-ce pas le propre de la vie elle-même que de basculer en une journée dans la mort la moins prévue parce qu’imprévisible. Le joueur de loto n’est-il pas convaincu qu’il va gagner et pourtant le gros lot ne lui tombe-t-il pas statiquement sur la tête comme le ciel sur celle des gaulois. Donc, munis d’arguments de ce genre, il paraît raisonnable de ne pas venir chercher des noises aux Agences de notation dans leur métier de noteur de dettes d’entreprises.

Et puis, si on y réfléchit bien, elles ne sont pas les seules à formuler des opinions. Qu’on se souvienne du passé, en France, et des cotations de la Banque de France, qui portaient sur l’entreprise et ses dirigeants. Qu’on se souvienne des affres de l’entreprise menacée de voir sa signature « écartée ». Aujourd’hui, pullulent les opinons actives qui se nomment « recommandations » : lire un journal d’informations boursières conduit immanquablement à lire des opinions sur les entreprises cotées. On y trouvera toutes les raisons qui conduisent l’auteur d’une étude sur telle ou telle entreprise à recommander la valeur. A l’achat, par exemple, ou à la Vente. On verra s’étaler des conseils  qui s’étageront du « Acheter », qui s’écrit parfois « Achetez » à Vendre, en passant par conserver ou renforcer ou alléger… ne parlons pas des sites qui proposent des visions dynamiques : les conseils étant alors mémorisés sur quelques mois, quelques années ou rationalisés sous forme de notes synthétiques, voire mutualisés entre plusieurs donneurs d’opinions. Il y a même des sites payant, pendant des journaux d’information financière qu’il faut acheter… donc, les notations par les agences de notations, présentent finalement peu d’originalité tant la fabrication d’opinion est, de nos jours, devenue banale, tant la diffusion en est diversifiée. « Circulez, il n’y a rien à voir ? ».

Si, il y a à voir et beaucoup plus que ce que les Agences de notation n’en ont envie. Et d’abord, il y a une de ces petites choses sans intérêt qu’on ne regarde plus parce que …franchement… c’est un peu mesquin de s’y intéresser : le prix de l’information ou de l’opinion puisque coter c’est, nous serinent sans cesse les agences de notation, fournir une opinion. Quand on achète un journal d’information financière, quand on paye un abonnement internet, on paye de sa propre poche l’information et l’opinion dont on souhaite disposer. Or ce n’est précisément pas le cas des Agences de notation. Autrefois leur business model était celui d’un journal d’information financière. Elles étaient des journaux ou des périodiques de ce type. Aujourd’hui, ce n’est pas l’investisseur qui vient « acheter de l’opinion », c’est l’émetteur de la dette, l’emprunteur. Donc, l’intéressé, celui qui va essayer de vendre en bourse les obligations ou les emprunts dont il a besoin, paiera l’Agence de Notation pour qu’elle conduise les Etudes destinée à délivrer une notation. Cette évolution, récente, du business model des Agences ne cesse de surprendre. Les critiques se retrouvent des deux côtés de l’atlantique pour dénoncer ce genre de pratique.

Que peut-on reprocher à ces procédés ? Les défenseurs d’une certaine morale des affaires, disent que ce système présente trois défauts : le premier, réside dans le fait que c’est le débiteur qui prend l’initiative de faire noter sa dette. Il ira donc rechercher l’agence de notation … Sur quelle base ? Celle qui a la réputation de sévérité la plus marquée ? Ou celle, au contraire, qui est connue pour son laxisme et qui, pour des raisons de chiffre d’affaires, a tendance à brader les bonnes notes ? Il y a là une question importante. Les Agences en appellent à leur réputation, au fait que donner de bonnes notes sous prétexte d’être rémunéré par un émetteur de dette a au moins l’avantage de présenter les choses clairement, au vu et au su de tout le monde. Etc

Conflits d’intérêts et rémunération des Agences de notation.

Il n’empêche que plusieurs idées ont été émises pour que le mode de paiement soit remis à l’endroit.

C’est ainsi qu’en Europe, où le contrôle porté sur les activités des agences sera la responsabilité de l’Agence Européenne des marchés financiers, des mesures renforcées destinées à empêcher les conflits d’intérêt ont été recommandées et proposé un texte qui

« - interdit aux agences de notation de fournir des services de conseil aux entités qu’elles notent

- interdit aux analystes de participer aux négociations sur les commissions payées aux agences de notation

- interdit aux analystes d’être rémunérés en fonction du chiffre d’affaires de l’agence

- oblige les agences de notation à rendre public le nom de tout client ou intermédiaire dont les revenus génèrent plus de 5% de son chiffre d’affaires

- oblige les agences de notation à rendre public annuellement le nom de leurs 20 premiers clients et du chiffre d’affaires généré par eux ainsi que la liste des clients qui ont le plus contribué à la croissance du chiffre d’affaires ». 

Encore n’est-ce qu’une petite partie de toutes les interdictions qui pèseraient sur les Agences de notation.

Il faut remarquer que le souci du régulateur est d’autant plus grand que les Agences qui comptent ne sont qu’au nombre de trois et qu’il vise des comportements oligopolistiques.

D’autres propositions tournent autour de l’idée que la régulation de l’activité des Agences de notation devrait passer par des règles semblables à celles qui régissent en France, les commissaires aux comptes. Ainsi des règles d’alternance destinées à éviter une trop grande proximité venant de liens d’affaires de trop longue durée. D’autres suggestions proposent qu’on interdise qu’une même agence intervienne massivement dans un secteur économique.

On notera qu’ironiquement les défenseurs des Agences plaident que la durée des relations permet un travail sérieux et de plus en plus solide et que la spécialisation sectorielle va dans le sens d’une plus grande pertinence des investigations des Agences… cela n’a pas empêché les régulateurs américains de prévoir toute une série de règles relatives au comportement et à la transparence des Agences en vue d’éviter le “ratings shopping ” !.

 

Il reste que même si les agences sont un peu plus transparentes, un peu moins en risque de conflits d’intérêts, elles ne sont que trois à posséder la fameuse crédibilité de type « Bâle III » ! Ceci doit s’entendre à un double niveau qui est peut-être un aspect crucial du débat.

La démission des investisseurs n’est plus acceptable.

Les trois « compères américains » du rating se sont intelligemment installés sur le passage du flux des notations engendré par les normes IFRS et les Accords de Bâle. La mondialisation financière, l’internationalisation des flux monétaires et des activités bancaires ont rapidement imposé la nécessité d’harmoniser et homogénéiser les modes de présentation des comptes des banques et des entreprises. Dans le cas particulier des Banques, la qualification de leurs portefeuilles d’investissements et de crédits a été pendant un moment un vrai « casse-tête ». Fallait-il laisser les banques qualifier elles-mêmes leurs actifs ? Dans leurs actifs, lorsqu’un même client était considéré, y avait-il lieu de distinguer entre ce qui était bien garanti et ce qui ne l’était pas etc. Dans le cas des entreprises, y avait-il lieu pour un investisseur de donner une notation « maison », qui pourrait différer selon les façons maisons d’appréhender le risque ou de pondérer les investissements.  

La réponse à ces quelques questions caricaturales a été de privilégier simplicité et globalisation : la notation par des agences approuvées. Or, à l’époque de la montée en force des contraintes financières mondiales, les agences qui disposaient de la surface et des moyens techniques et financiers pour procéder à ces notations en toute crédibilité étaient les trois américaines.

Le résultat n’est pas heureux à de nombreux points de vue, sachant que les Agences de notation ne sont pas « les auteurs intellectuels » du « crime ». S’est développé un mental « d’assisté » dans le vaste monde des institutions financières et bancaires, en ce sens, que plutôt que de raisonner par leurs propres moyens, il est vite paru, la vitesse des transactions et la nécessité de pouvoir investir vite et sans délais aidant, que les « notes » pouvaient faire l’affaire en lieu et place de moyens internes d’analyse. Il est vrai aussi que mondialisation étant synonyme d’une diversification de plus en plus grande des sujets d’investissements, entreprises, banques, assurances, ou des supports, produits financiers dérivés, composites, de gré à gré etc., qu’un nombre grandissant d’organismes ont été dépassés par la tâche de trier le bon grain de l’ivraie. Comment faire en effet quand vous êtes un petit fond de retraite dans un petit pays européen pour choisir entre tel investissement dans une entreprise d’un pays lointain ou tel produit financier dont le sous-jacent est composite, la gestion localisée à Londres et la comptabilité titre à Curaçao (exemples fantaisistes évidemment). C’est ainsi que bon nombre d’institutions en sont venus à sous-traiter leurs fonctions « études et gestion de risque ».

Il y a donc quelque chose de bancal dans le monde de la finance qui est venu d’un désir incoercible de « transparence » afin que les instruments de la mesure du risque soient les mêmes pour tout le monde et que le jugement sur les décisions des uns et des autres soit bâti à partir de faits approuvés et agréés par chacun. C’est peut-être en travaillant autour de ces deux points qu’il sera possible de faire avancer cette question de la notation des Entreprises.

Revenir sur les « avantages acquis » des Agences de notation

Le premier point serait de revenir vers la décision d’investir et les moyens qu’elle met en œuvre. Il faut en effet s’interroger sur cette anomalie qui consiste pour des institutions à qui sont confiés des fonds à déléguer à des tiers la mise en forme des critères à partir desquels elles investissent ou se dégagent. L’abus de l’usage de la notation dans le déroulement des décisions d’investissement conduit des investisseurs, devenus progressivement étrangers à leurs portefeuilles, à surréagir à la moindre mauvaise nouvelle. Ils n’ont pas investi parce qu’ils sont convaincus par leurs propres recherches, analyses et conclusions, ils ont investi parce que la notation est conforme à leurs règles d’investissement. Ces règles font de plus en plus de place à l’opinion des Agences. L’opinion des Agences en changeant conduisent les investisseurs à changer en espérant être dans les premiers. C’est un systéme procyclique. Plutôt que de concentrer la régulation sur les seules agences, il ne serait pas mauvais de déclencher des contrôles sur l’aptitude des investisseurs à formuler des décisions d’investissement pertinentes par leurs propres moyens. A défaut de quoi, ils n’auraient pas de raison d’être et devraient en tirer les conséquences.

Un deuxième point serait de revenir sur cette étrange situation qui fait que trois agences de notation ont réussi à faire croire qu’elles pouvaient tout noter, partout, tout le temps au mépris des règles les plus élémentaires du marketing « on ne peut pas tout faire, tout le temps avec tout le monde ». Comme il est hors de question de considérer les agences de notation comme de nouvelles divinités, il est peut-être temps de les aider à se recentrer stratégiquement. Il n’est pas raisonnable de penser que toute agence de notation peut s’intéresser à n’importe quel secteur. Il serait surement intelligent de faire émerger des agences spécialisées. Il serait assez simple pour les régulateurs de n’accepter pour la notation d’actifs attachés à certains secteurs que les opinions formulées par des agences agréées dans cette spécialisation.

Il est clair que tant qu’il sera dit pour parler « IFRS » et « Accord de Bâle » que ne valent les cotations que lorsqu’elles émanent d’un membre du trio, celui-ci régnera et y trouvera la légitimité de ses notations. Il est tout aussi clair que tant que la capacité d’une institution à juger d’un investissement ne sera pas soumise à contrôle par le régulateur, la facilité, c'est-à-dire le recours au trio ne sera jamais mis en cause. Enfin, tant qu’on pensera que les trois agences sont aptes à noter tout, tout le temps partout, rien ne se passera qui sera transparent, fiable et durable.

Agences de notation

 

 

Il faut revenir un peu en arrière, dans le temps, à l’aube des agences de notation. L’Agence Poor qui précéda Standard and Poor, était un éditeur de données chiffrées. Et de même Moody’s, et de même Fitch. Ces gens-là à cette époque là, au début du siècle dernier et même à la fin du siècle précédent étaient des journaux d’information destinés à des décideurs dans les entreprises. Leurs lecteurs payaient au numéro ou sur abonnement pour avoir à leur disposition les données, les chiffres, les prix, rassemblés sur une parution se substituant à la masse indistincte et parfois inaccessible de toutes les informations économiques, techniques et comptables disponibles mais éparpillées, invérifiées, et éclatées. Beaucoup plus tard, les agences se sont lancées dans la vente d’information qualifiée via  les exercices de notation. Rien de bien grave. Et même après tout, rien que de très normal. Il ne s’agissait que d’ajouter de la valeur à de l’information primaire et brute. En plus de montrer les bilans des entreprises pétrolières, les agences d’information économique proposèrent de vendre des jugements…Donc les clients des agences payaient pour des informations sur d’autres entreprises….

 

 Et c’est à ce stade que nait l’ambigüité : les agences de notation ont changé progressivement de clients tout en prétendant vendre dans les mêmes conditions les mêmes produits ! Ce ne sont pas les investisseurs qui payent pour simplifier l’exercice de leur analyse de risque. C’est l’inverse. C’est l’objet de l’investissement ou du placement qui va payer pour qu’on étalonne ses qualités, sa valeur et son avenir. Aux USA, où elles étaient protégées par les principes constitutionnels sur la liberté d’opinion et parce que les notes n’étaient que la conclusion d’une opinion, il aura fallu attendre septembre 2009 pour qu’un juge déclare recevable l’action en justice d’investisseurs contre Standard and Poors. Les Agences de Notation qui participaient aux mécanismes du rehaussement de crédit, distribuant les AAA aux produits financiers contenant des Subprime et les rendaient opérants n’ont pas été poursuivies, pour le moment. Le Sénat américain s’en est ému et a proposé que les recours contre les agences fussent facilités et plus largement ouverts.

 

Les Agences de Notation sont au centre d'un débat qui n'a cessé de s'amplifier depuis le début de la crise de 2008. Le comble a été atteint avec la crise Grecque, puis avec la multiplication des dégradations de notes sur les dettes des différents états de l'Union Européenne. Les notes sont des choses trop sérieuses pour les laisser entre les mains des noteurs ? Faut-il les nationaliser, au niveau Européen, ou au niveau mondial ? Aucune proposition n’est venue à ce titre ! S’il y a bien quelque chose qu’il faut éviter dans ce domaine de la notation « indépendante et objective » c’est de la mettre entre les mains de pouvoirs publics!

 

Le Sénat américain, qui a découvert avec effarement le rôle des Agences de Notation dans les affaires de subprime, propose qu’elles soient soumises à la supervision de la SEC. La Commission Européenne propose qu’elles soient justiciables de la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Cette dernière sera investie de pouvoirs de surveillance exclusifs sur les ANC (Agences de Notation) enregistrées dans l'UE ainsi que sur les filiales européennes d'agences bien connues telles que Fitch, Moody's et Standard & Poor's. "L'AEMF aura le pouvoir de demander des informations, d'ouvrir des enquêtes et de procéder à des inspections sur place." En France, l’AMF est censée exercer cette surveillance.

Il y a beaucoup de zones d’ombres et anomalies qui entachent les rapports entre Agences de Notation et « noté », dont la question du libre choix de l’Agence par le Bénéficiaire (ou la victime) de la notation. Est-il si libre ce choix ? Est-ce d’ailleurs bien logique que le choix de l’Agence de Notation soit le fait du bénéficiaire de la notation au motif que c’est finalement lui qui paye la note ! Les USA et l’Union Européenne font grand cas de cette question de principe. Aux Etats Unis, une proposition entérinée par un amendement du Sénat tendrait à créer une sorte de juge de paix de la notation. Cet organe, composé des plus grands investisseurs américains et de représentants des organes de contrôle, etc. etc. serait saisi à l’occasion d’une demande de notation il aurait pour mission de désigner une agence de son choix. Donc, voici imaginé un premier grand accroc au principe vicié de la relation « noteur-noté ». La connivence fondée sur le fait que le noté « achète » la note, serait donc rompue par la présence d’un tiers indépendant qui s’intermédierait dans le choix de l’Agence. On en viendrait à une formule proche de celle que connaissent bien les Commissaires aux Comptes.

L’Europe réfléchit sur la création d’une Agence Européenne. Il s’agirait de renforcer la concurrence dans un marché qui est fortement oligopolistique. Il n’y a que trois agences au niveau mondial! Pourtant, porter à quatre le nombre des agences ne diminue en rien la profonde aberration qui réside dans le fait que les Agences de Notation sont considérées compétentes pour tout, partout, sur tout. On a bien vu qu’elles ont été lamentables dans toute une série de dossiers, qu’elles ont maintenu des notations d’excellence au mépris de tous les signaux les plus grossièrement évidents. N’est-il pas insensé que des Agences de Notation privées se mêlent de noter les Etats, et les collectivités publiques ? Pourquoi ne noteraient-elles pas aussi les partis politiques des différents pays ? Pourquoi, lors de l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle équipe ne la noterait-elle pas avec la mention « watch » ? Il faut évidemment réfléchir à d’autres moyens d’apprécier, de qualifier et de noter la dette des Etats. Une agence européenne pour les Etats Européens ? Une agence dépendant du Fonds Monétaire international ?

Plus généralement ne serait-il pas logique de susciter la naissance d’agences hautement spécialisées dans les produits financiers complexes, vendus partout dans le monde, incorporés dans des fonds de fonds qui présentent des niveaux de technicité et, par conséquent, des niveaux de risques très élevés. Et tout aussi logique serait un domaine de spécialisation relatif aux collectivités publiques, locales, régionales etc. du monde entier. Il est aussi des zones géographiques dont les caractéristiques méritent qu’on s’écarte de la norme universelle.

La question de la formation des prix est contenue dans les remarques qui précédent sur la concurrence. Plus importante est celle qui a trait à cette relation ambiguë qui fait des notés des clients des noteurs, lesquels reçoivent paiement des premiers. Il est des exemples où les notés achètent les notes sans que cela présente une difficulté en terme d’éthique. Les contrôles techniques obligatoires en France pour la vente d’un appartement, d’une voiture etc. sont bien à la charge du propriétaire qui en paye le prix. Personne n’y trouve à redire même si chacun pense que cela se retrouve dans un renchérissement des prix. En cas d’erreur dommageable, en cas d’accident, mortel ou non, on imagine sans peine ce qu’il advient du professionnel qui, par négligence ou par connivence, aurait sous-estimé un risque grave. Or, justement les Agences de Notation, ont réussi pendant des années à éviter la mise en cause de leur responsabilité.

D’autres idées tournent autour du paiement par l’ensemble des acteurs du monde financier et bancaire d’une taxe destinée à financer la qualification des actifs qu’ils détiennent. Cette taxe serait aussi destinée à financer toutes les recherches permettant d’améliorer les processus d’analyse, de les adapter plus étroitement aux différents types d’actifs, courts ou longs, risqués ou sécurisés, simples ou structurés, à la grande variété des acteurs, entreprises, collectivités, publiques, privées, locales, multinationales et enfin à la grande diversité des zones économiques mondiales et leur degré de maturité économique.

 

Les Agences de notation ont encore frappé ! 1

 

Les agences de notation, prises à partie par plusieurs responsables politiques français et européens et dans la plupart des journaux, ont été sévèrement étrillées dans différentes contributions parues ces derniers mois (Agences de notation: un modèle économique à revoir; Les agences de notation sont-elles illégitimes et inefficaces ).

Tirer sur les agences de notation est, ainsi, devenu plus commun et de moins en moins risqué pour les audacieux de la dernière heure. Peut-on passer quelques instants de l’autre coté de la barrière et s’interroger sur les bons cotés de leurs attitudes, analyses et leur façon de communiquer ? ne dit-on pas qu’ « A quelque chose malheur est bon… ». il faut, par honnêteté intellectuelle, s’y essayer, sans trop se leurrer, l’histoire récente vient de le montrer.

Les Agences de notation seraient-elles des empêcheurs de financer en ronds ?

On peut se demander en effet, si les agences de notation, retrouvant leurs missions d’origine ne se comportent pas dans certains cas en véritables diffuseurs d’informations. Le pire n’est pas toujours le plus sûr ? On imaginerait l’histoire récente sans agence de notation. Donc, personne n’aurait signalé dans tous les supports d’information que la mauvaise orientation des finances publiques grecques. On penserait à de petites compagnies d’assurance-vie, trop petites pour disposer d’une capacité sérieuse de traitements de données et d’analyse de l’information, ou ressortissant de petits pays. On les présenterait comme devant compenser des tombées d’emprunts obligataires et recherchant de bons supports d’investissement pour maintenir la poche euro des portefeuilles de leurs clients à un bon niveau de rendement et de sécurité. Les voilà qui se précipiteraient sur de la  bonne dette d’Etat, le genre qui évite des dépôts de bilan (pensez à General Motors, pensez à AIG….tout aussi récemment, pensez même à quelques banques privées, américaines, anglaises ou néerlandaises) et surtout une dette d’Etat très rémunératrice, celle de l’Etat grec !

Nos petites compagnies, sans capacité d’analyse de la dette d’Etat grec aurait ramené la question à ces quelques termes: C’est un Etat, au surplus un pays fondateur de l’UE, et, par-dessus tout, un membre de la zone euro. Donc c’est bon ! Patatras ! La crise de la dette grecque survient. Le défaut de paiement de l’Etat grec est annoncé. Un dimanche, il va de soi ! Faute d’une bonne information, les investissements de nos assureurs vie ont été très malheureux. La discrétion avait été bien préservée, aucune information n’avait filtré, permettant d’anticiper l’évènement. Le monde financier est un monde d’information. Sans bonne information, pas de bonnes décisions. Or, au lieu et place d’une bonne capacité interne d’analyse, il n’y avait pas d’indicateurs synthétiques pour qualifier l’état réel des finances grecques,  pas de grades, de notes etc. ….

… Condamnables les agences de notation?

La dégradation récente, en l’espace de 48 heures de trois pays européens, la Grèce à nouveau, le Portugal, et l’Espagne, a été unanimement dénoncée. L’Elysée aurait même condamné « une attitude criminelle »… Le ton monte et c’est bien. Cela montre que le sujet intéresse. Criminel, renvoie à ces périodes délicieuses du « couteau dans le dos » de la « finance interlope» et du capitalisme « apatride ». Criminel nous renvoie surtout à une ardente obligation, celle de ne pas réfléchir avant de parler ou d’agir. Est-elle criminelle Angela, quand elle s’imagine traiter la question des finances publiques européennes et peut-être mondiale en proposant les recettes applicables à la gestion d’un compte de ménage ? Ne fait-elle pas penser à ceux-là qui voulurent infliger une bonne leçon au monde bancaire en laissant tomber Lehmann Brother ? N’est-ce donc pas criminel que de s’en prendre aux agences de notation qui n’ont peut-être pas d’autres vertus que celle du thermomètre….mais qui ont au moins celle-là : donner la température !

 

Les agences de notation, un aiguillon pour faire avancer l’attelage européen ou créateur d’aubaine pour les investisseurs ?

 

Les agences de notation ne déclenchent-elles pas des réactions utiles avant que tout casse de façon irrémédiable? Elles seraient une forme d’aiguillon, qui venant se planter dans les fesses des responsables politiques, européens dans la circonstance, les pousseraient à se réveiller et à avancer un peu plus vite. En déclenchant la pagaille et la panique sur les marchés, les agences de notations assumeraient un rôle social qui n’était pas ou plus rempli. La nature politique, ayant tout autant horreur du vide que la nature scientifique, aurait inventé les Agences de notation pour compenser l’insuffisance de lucidité des dirigeants politiques et économiques des pays modernes ! Les Banques Centrales dont le métier est de s’assurer que la monnaie et l’épargne sont protégées contre l’attitude irresponsable des politiques, n’ont-elles pas perdu la main ? Depuis que l’euro a été mis en place, elles se sont de moins en moins posées en défenseur crédible de la monnaie commune contre la tentation des gouvernants de tirer des chèques en euros pour financer leurs déficits ? Elles ne peuvent guère émettre que de timides objurgations dont tout le monde se fiche puisqu’elles n’ont plus aucun pouvoir ! Lorsque l’euro n’existait pas, elles pouvaient tancer les pouvoirs politiques ne serait-ce qu’en leur annonçant que mauvaise gestion signifierait, inflation, et plus tard, dévaluation, donc appauvrissement général des particuliers et des entreprises.

Dans ce concert confus, il faudrait donc tresser des couronnes de laurier à ceux qui indépendants des gouvernants et des bons plaisirs des princes, ont proclamé à forte et intelligible voix, leurs déficiences et leurs méfaits?...les agences de notation !

Posons le principe qu’elles ont eu raison de dégrader la Grèce. Posons ce principe avec d’autant plus de sérénité, qu’après tout ne l’eussent-elles pas fait, l’information aurait filtré dans un cercle étroit, d’« initiés », proches des pouvoirs politiques ou de quelques grandes institutions financières. Les liens de connivence et de complicité sont toujours à la source de profits occultes. Pour autant, quoiqu’ayant dégradé la Grèce en toute clarté, devant l’opinion financière du monde entier, on ne peut aussi s’empêcher de penser que les agences de notation ont fait gagner et perdre de l’argent à beaucoup de gens sans avoir eu à prendre le début du commencement d’un risque.

Et, à ce titre, on voit mal ce qui a pu pousser les agences de notation à en faire des tonnes. Pourquoi diable, s’être pris d’un prurit de notation et avoir dégradé, d’un seul coup, en 48 heures, trois pays ? L’effet ne pouvait pas être inattendu. C’était de l’ordre des évidences que cette dégradation aurait des conséquences graves sur les marchés financiers et monétaires. La dégradation ainsi annoncée devait se traduire immanquablement par une baisse violente des bourses européennes, et tout spécialement de celles des pays intéressés ? Il était aussi de l’ordre des évidences que dégrader trois pays, dont un, l’Espagne, n’est pas un « petit pays », valait annonce pour la notation future de pays de taille équivalente : l’Italie, l’Angleterre…et la France …pourquoi pas ? A qui profite cet effet d’aubaine ? L’affaire Lehmann Brother n’a de sens que par l’effet domino qu’elle a déclenché. Quel intérêt y-a-t’il à déclencher un effet domino de la dette publique européenne et donc mondiale ? Quelques âmes désintéressées et scientifiques prétendront que la vérité est toute pure et toute nue et que, lorsqu’elle se présente à nous, elle ne s’embarrasse jamais de finesse. « Facts are stubborn things » disait Jefferson. La vérité des chiffres et des situations est là, qui s’impose. Ils diraient que c’est bien dommage si tout est cassé sur son passage, que la folie des hommes et leur refus d’affronter la vérité mérite de temps en temps le passage d’un fléau. Attila, n‘était-il pas présenté par les chrétiens comme le fléau, l’arme, de Dieu, pour pourfendre un monde dépravé, ennemi de la lumière et de la Vérité. D’autres iront penser que les âmes désintéressées n’existent pas dans le domaine économique, que les décisions de dégradations ne débarquent pas d’un chapeau, un jour, comme çà, par hasard, et que lorsque des gens perdent de l’argent sur des marchés qui s’effondrent, d’autres gens en gagnent tout autant parce qu’ils avaient misé sur la baisse au bon moment….sur la base de bonnes informations…ou meilleures…ou plus tôt….

 

Dégradez les tous, le marché reconnaitra les siens…..

 

Les leçons de l’histoire abonde de maux qui ont fait du bien, le bras aveugle des agences de notation appartiendrait à cet univers de moralisation primaire, ou les méchants finissent pas être mis à terre et les bons, comme les anges, sont installés, après avoir trépassé, dans le firmament, le paradis, le Walhalla, ou tout autre endroit du même acabit, à la table des dieux.

Qu’on pense un instant à la révolution française. Il faut se laisser aller à rêver à ce qui se serait passé si les agences de notation avaient existé. Necker étant appelé, les agences de notation maintinrent une notation honorable. Le Royaume  précédemment dégradé à AA, bien que lourdement endetté, était débarrassé de colonies parfaitement inutiles en Amérique du Nord. Il était en paix avec ses voisins et même l’Angleterre. La chute de Necker conduisit à une brutale dégradation en BB. On pouvait redouter une crise des paiements du Royaume. Et ainsi de suite jusqu’à la création des Assignats. A ce moment, l’agence Fichtre père et fils donnait à la France, le grade le plus bas. 8 ans plus tard, en 1797, elle replaçait les finances publiques au grade le plus haut.

Cela veut-il dire que grâce à Fichtre père et fils, la Révolution française aurait suivi le parcours nécessairement douloureux mais efficace d’un apurement consciencieux des finances publiques ? Cela ne signifie-t-il pas au contraire que si les notations de Fichtre père et fils avaient sévi, elles n’auraient jamais eu qu’un seul effet : aggraver la situation, doubler les nombre de décapités et pour finir, apurer les finances publiques par l’amputation des dettes d’Etat de 9/10 ème de leur valeur et non pas des deux-tiers comme le Directoire finit par le décider en 1797!

La faillite de Law ne fait-elle pas partie de ces périodes qui marquent l’histoire comme la manifestation d’une grande catastrophe, alors que son impact financier et économique a probablement été positif.  Fichtre (qui n’était pas encore père et fils) et son principal concurrent de l’époque, l’Agence Pauvre avait dégradé les Finances de la France du Régent BB- à surveiller. Pourtant, une fois, l’affaire terminée, l’inflation enregistrée, l’or revenu dans la circulation, l’économie du XVIIIème siècle français pouvait être celle de l’expansion et de l’enrichissement, quand celle du XVIIéme siècle n’avait connu que déflation et stagnation.

Quel aurait été l’apport de Fichtre et de Pauvre son concurrent ? Probablement de créer des effets d’annonce, donc des effets de panique… donc rien, de significatif et de sain, globalement. Les agences auraient suivi l’évènement, n’auraient pas eu d’autre effet que de le dramatiser et de lui donner un caractère plus irrémédiable encore. Renforçant la violence de la rue, provoquant la panique des petits épargnants et suscitant des masses de pendaisons à la lanterne.

Constatant et incapables d’anticiper, les Agences de Notation ne font que distribuer des notes, sans imagination. Et même les bonnes sont douteuses ! comparé à la Grèce d’aujourd’hui, le Portugal de Salazar, endormi sur ses réserves d’Or, la veille de la révolution des œillets, avait surement une excellente note…

Pour terminer par ce petit tour d’histoire, osons imaginer la notation de l’Allemagne de l’Ouest, en 1947….avant que Ludwig Erhard ait proposé une réforme drastique de l’économie et de la monnaie allemandes. Elle aurait été tellement désespérante que la population allemande de l’Ouest aurait unanimement décidé de devenir soviétique. Tant qu’à être désespéré, autant le faire dans un contexte radicalement nouveau.

 

Chantecler, tout en haut sur son fumier, cocoricoïse  avec brio et brillant quand le soleil apparait.

 

Quels points communs, le coq d’Edmond Rostand avec les Agences de notation ? Chantecler s’imagine que c’est pour entendre son cri que le soleil s’est levé. Les agences de notation s’efforcent de faire penser que les situations économiques reflètent consciencieusement les notes qu’elles ont dispensées. Elles savent, elles connaissent, elles détiennent les bonnes méthodes d’interprétation des situations économiques financières et monétaires de tout, sur tout, partout dans le monde. Et, finalement, dominant le poulailler mondial ont ceci de commun avec Chantecler, qu’elles tissent les évidences comme on enfile les perles « O soleil ! Toi sans qui les choses Ne seraient pas ce qu’elles sont ! ». Les agences de notation viennent apposer leurs étoiles et leurs ++, un jour, et le jour suivant quand les choses ont changé, elles reviennent reprendre une ou deux étoiles et mettre un – ou deux. Et ainsi de suite au fur et à mesure, qu’en dehors d’elles, les choses se déroulent.

Alors que faire ? Récemment devant le déferlement des notations hors de propos, auquel s’étaient livrées les agences de notation les plus importantes, une autorité monétaire quelconque rappelait qu’il a été décidé que les agences de notation ne pourraient exercer leur industrie en Europe, qu’après avoir suivi un processus d’agrément, tendant à assurer qu’en Europe au moins elles ne pourraient se livrer à ces notations à l’emporte-pièce qui font leur réputation depuis quelques années. Propos lénifiant qui, s’il a été tenu sérieusement, doit inquiéter sur la naïveté de la pensée sous-jacente. Comment peut-on croire que des firmes de services internationales, supranationales même, pourraient voir leur offre de service (leur capacité de nuisance ?) gênée ou freinée par la mise en place d’une réglementation particulière dans l’espace économique européen. Pas plus que les  cendres des volcans islandais n’ont demandé la permission pour survoler l’Europe, les notes énoncées Ubi et orbi, depuis des bases non européennes, ne seront jamais gênées par une réglementation européenne !

Le vrai enjeu est celui des flux de revenus. La véritable tromperie est cette méthode incroyable qui consiste à délivrer des notes à ceux qui les requièrent pour rassurer ou informer les investisseurs. La vraie curiosité réside dans le fait que les Agences ne sont pas rémunérées par ceux qui cherchent une information pertinente pour apprécier les enjeux et les risques des investissements qu’ils cherchent à entreprendre, mais par ceux qui vont faire l’objet des investissements en question. Ce trait choquant du modèle économique des Agences de notation, proche parent de ce modèle, peu fréquent mais qui tente de se frayer un chemin, de la publicité payée non pas par les annonceurs mais par les cibles elles-mêmes, est régulièrement décrié par les commentateurs qu’ils soient spécialistes ou non. Si ce modèle est choquant et vicieux, ce n’est pas en inventant des règles d’agrément qu’on en règlera le sort. Si ce système est vraiment à l’envers de ce qu’il devrait être, que ne le met-on pas à l’endroit ! Et inversement, s’il n’est pas normal que les Agences de Notation soient rémunérées par les bénéficiaires de leurs notes, que ne déclare-t-on pas qu’étant anormal, ce système ne saurait durer, et surtout ne saurait prospérer impunément. Ne serait-il pas judicieux de demander aux agences de notation de prouver qu’elles tirent leurs revenus des investisseurs et non de l’objet des investissements. Que l’inverse revient à vivre dans l’illégalité et que, personne d’honorable ne pouvant vivre impunément dans l’illégalité, où qu’elles se trouvent, les agences de notation coupables seront poursuivies, condamnées et taxées jusqu’à ce que leur modèle ait cessé d’être cul par-dessus tête.

 

Le financement privé des Etats et leur notation sont-ils illégitimes ?

Le temps des bourdes est-il arrivé ? Standard and Poors : « Oups ! On a fait une bourde, on dégradé la France » ; François Hollande : « oups ! Je ne savais pas qu’ils avaient fait une bourde, sinon je n’aurais pas dit que c’est bien fait pour la gestion passée ». A moins que ce ne soit qu’une coquille, toute simple, comme dans les journaux. Standard and Poors n’est pas une entreprise qui vend des services et de l’expertise, c’est un journal en un peu différent. Ce qui n’est pas différent, c’est qu’ils ne garantissent pas que l’information soit vraie. Ils donnent (vendent) des opinions. L’occident démocratique repose sur la liberté d’opinion et d’expression (gratuite ou payante). Aux Etats-Unis, ce n’est pas rien, c’est le premier amendement de la Constitution Américaine. Standard and Poors peut être rassurée, on ne viendra pas, (encore) leur chercher des noises, même quand, « oups ! », ils diront n’importe quoi….

 

Plus généralement, cette affaire soulève, une fois de plus, deux questions essentielles : celle de la légitimité des notations privées de dettes souveraines et celle de la légitimité du financement privé des Etats Souverains.

Illégitimité de la notation des Etats, par des Agences Privées.

Les agences de notation continuent leur bonhomme de chemin, et notent les Etats, sans qu’on leur ait demandé de le faire, semble-t-il. Et même, se lancent-elles dans la notation version « science-fiction/héroic Fantasy » : «  L'agence Fitch a prévenu jeudi qu'une baisse de la note souveraine de la Chine était possible dans les deux ans »! Voici donc une agence qui sait à l’avance ce qu’elle va faire. Et tout ça, sans être rémunérées pour ce service ? Il faut admettre que si elles étaient payées pour leur activité de notation des Etats en suivant leur modèle économique maintenant inscrit dans le marbre, la situation serait sinistrement cocasse : elles devraient être rémunérées par les Etats !!!! En effet, contrairement à l’époque où elles étaient des organes d’information et étaient payées par ceux qui désiraient en disposer, c'est-à-dire les investisseurs, les agences de notation sont aujourd’hui payées par les emprunteurs. Evidemment, le risque de conflit d’intérêt est monumental. Mais personne n’est trop troublé. Ni le comité de Bâle, ni tous ceux qui gèrent les normes IFRS. (IASB et consorts) : ils ont besoin de notes pour que leur système fonctionne, alors, l’essentiel c’est que les notes soient ! On l’a dit et répété dans plusieurs articles, les Agences de notation fonctionnent sur le principe du péage médiéval. On ne paie pas parce qu’il faut rémunérer un service, on paie parce que, pour passer, il faut payer. On n’a pas le choix.

 

Elles disent, cependant qu’elles font des Etudes et qu’elles sont capables de tout évaluer, sur tout, tout le temps, qui que ce soit. Si on posait la question à l’envers, sous la forme : « qui est capable de tout faire, a tout moment, pour le présent et le futur, partout, vis-à-vis de qui que ce soit? » il est sûr que quelques innocents qui ne connaitraient pas les agences de notation répondraient : « Dieu ».

 Oui, mais Dieu, dit-on, s’adresse à chacun de la même façon et pas les Agences de notation. Elles ont des abonnés privilégiés ! Quand l’agence Standard and Poors a commis  « la » bourde, elle n’avait pas communiqué la dégradation « ubi et orbi ». C’était une information réservée. "Le système a interprété par erreur cette modification comme une dégradation, ce qui a déclenché l'envoi d'un message à un nombre limité d'abonnés inscrits pour recevoir des alertes par courriel". Il y a les abonnés qui paient cher pour avoir des informations avant les autres. Quand vous voulez un service « plus », un service rapide, à la Poste par exemple, vous trouvez juste de payer un peu plus cher. Les agences de notation font la même chose. Vous êtes un abonné « premier », vous avez l’information « en premier ». Vous avez dit initié ? Vous avez dit « transparence » ? Vous avez pensé que les marchés se caractérisent, lorsqu’ils fonctionnent selon les règles morales et économiques de la concurrence pure et parfaite, par l’égalité de tous face à l’information ? Dites ce que vous voulez, cela vous regarde : peut-être faites-vous partie du « nombre limité ?».

 

Le pire est-il encore ailleurs ? Oui, malheureusement ! Surtout pour l’Italie ! « S&P pourrait maintenant être suivie par Moody's… cette dégradation est due à "l'affaiblissement des perspectives de croissance de l'Italie" et à "la fragilité de la coalition au pouvoir" qui va "continuer à limiter la capacité de l'Etat à répondre de manière décisive" à la crise. ».

 

« Fragilité de la coalition au pouvoir…. ». Dies Irae, Dies illa solvet saeclum in favilla ». Les Agences se fâchent : « jour de colère, ce jour-là réduira le monde en poussière ». Ne sont-elles pas Dieu ou, au moins, le juge suprême : « quelle terreur nous saisira quand le juge apparaîtra pour tout scruter avec rigueur ». Alors, le calme de François Hollande, n’hésitant à faire son « oups ! » comment faut-il le comprendre ? Est-il allé faire estampiller son projet par le « juge ». Est-il protégé contre la terreur car celui-ci l’a déjà scruté avec rigueur ? Est-il venu en chemise de bure, la corde au cou soumettre son programme ? 

Tout ceci n’est-il pas parfaitement illégitime ? Des entreprises privées jugent donc de la capacité des peuples à faire leurs choix. Car enfin, le souverain, dans les démocraties occidentales, c’est quand même le peuple et c’est lui qui formule les choix souverains. Quelle note aurait reçue le Portugal de Salazar, dont les finances publiques étaient exemplaires…quid du Chili de Pinochet. Indépendante, les Agences ? Neutres politiquement ? La preuve : Fitch note la Chine AA-, le quatrième niveau le plus élevé de son échelle, soit à égalité avec l'Italie (avant dégradation) et un cran sous l'Espagne. Il n’y a pas de risques politiques en Chine. Tout est sous contrôle. La « capacité de l’Etat à répondre de manière décisive »…. en Chine on ne plaisante pas avec la capacité de l’Etat! Et la Corée du Nord ? 

Illégitimité des financements privés des déficits publics. 

Cette illégitimité des Agences de notation vis-à-vis des dettes souveraines n’est-elle pas le sous-produit de l’illégitimité des Banques privées dans le financement des collectivités publiques.

 

Si on s’en tenait à des raisonnements de pure rhétorique, on dirait que les Agences de notation fonctionnent de façon illégitime parce qu’elles étalonnent des créances illégitimes. On reprendrait la vieille formule : « garbage in, garbage out ». La libéralisation des marchés financiers et bancaires, la dérégulation en général ont conduit à cette aberration que, dans le moment, où la Banque de France se voyait interdire le financement de l’Etat, les Banques ne voyaient pas cette activité mise sous tutelle ou spécialement réglementées. Et, ainsi, progressivement, les banques en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, sont devenues des interlocuteurs normaux des trésors publics pour le financement de leurs besoins, de toute nature. Les financements des banques privées ne sont pas même limités aux investissements. N’y a-t-il pourtant pas quelque chose de choquant dans cette situation où on paye les fonctionnaires avec l’argent des banques ! En France, les collectivités locales ne peuvent pas emprunter pour les dépenses courantes. Et quand elles l’ont fait, cela n’a été possible que grâce à une imagination bancaire mal placée. Illégitime ! Des produits financiers très malins. Maintenant dénoncés !

 A leur décharge, les banques ont été incitées à se lancer dans les financements d’Etats. Les premières versions des normes IFRS en matière de fonds propres, ne considéraient-elles pas les dettes souveraines avec la plus grande indulgence : voilà des dettes qui n’imposaient de capitaux propres excessifs. Pour Messieurs Cooke et Macdonough, elles étaient bonnes comme le bon pain….il ne fallait surtout pas priver les Etats de ces financements. En ces temps où tout était donné aux marchés financiers, où la financiarisation des économies les marginalisait, les banques étaient  réévaluées. Leurs financements étaient bons et bien classés selon les gourous de la comptabilité mondiale.

 

Et pourtant, il faut considérer que l’intervention des banques privées dans ce domaine d’activité est profondément illégitime. Quand une banque prête, ou pire, monte un produit financier (obligations) pour financer un Etat, elle prête dans la réalité aux citoyens de cet Etat. Ce sont eux qui vont rembourser l’emprunt « nolens, volens ». C’est là justement que réside l’illégitimité. Une entreprise rembourse sur les revenus qu’elle « fabrique », sur la valeur qu’elle est capable de « produire ». Un Etat rembourse à raison de sa capacité de coercition. Le mot est dur, mais il correspond bien à la réalité. Le prêteur « souverain » sait que l’emprunteur « souverain » dispose d’une capacité à imposer ses vues sans concurrence qui s’exprime par des décisions simples : lever des impôts, modifier leur assiette, leur taux, créer de nouvelles taxes. Le préteur souverain est rassuré nécessairement par ce fait: le pouvoir de coercition suffira dans la quasi-totalité des cas. Il n’a donc pas à se soucier de quoi que ce soit….

L’entreprise peut essayer d’augmenter ses prix. Le marché lui dira jusqu’où elle ne peut pas aller. Il n’y a pas d’autre « marché de concurrence » pour les dettes de l’Etat qu’une élection, un vote, un référendum, une révolte, une guerre civile… c'est-à-dire une action politique. Les banques ne s’en sont pas soucié jusqu’à 2010. Ni les agences de notation. Depuis 2010, les pays européens ont été mis sur la sellette comme ces vulgaires pays en voie de développement qui donnèrent lieu aux plans Brady et Baker. Les banques, se berçant des illusions de l’invulnérabilité des Etats et de la valeur « or » de leur pouvoir de coercition les avaient financé sans compter jusqu’au moment où l’exercice pacifique du pouvoir de coercition a rencontré ses limites.

Le financement par les banques privées est illégitime au même titre qu’est illégitime la notation de ces dettes par les agences de notation : il ne s’agit pas d’une matière économique qui serait difficile à cerner, mais d’une matière politique : les agences de notation, le reconnaissent bien puisque, maintenant elles l’intègrent dans leurs opinions comme si c’était un évènement normal,. Comme Si les données politiques n’étaient que des données banales au milieu de données économiques banales. Les Agences de notation sont contraintes de noter «  la fragilité de la coalition au pouvoir », qui se révèle ou risque de se montrer incapable d’utiliser à bon escient son pouvoir de coercition pour lever les impôts permettant afin de « payer » les banques. Ainsi, de proche en proche, se dévoile l’illégitimité profonde non seulement des Agences de notation dans leurs exercices à l’égard des Etats, mais aussi des banques dans leur financement.

 

C’est cette accumulation de situations anormales qui a produit la situation parfaitement anormale que traverse la zone euro. Il est temps qu’on en finisse avec le temps des bourdes et des gaffeurs. Il est temps qu’une vraie réflexion sur le financement des Etats et de l’ensemble des collectivités publiques soit lancée.

Le jour où les agences de notation ont disparu….

Aux Etats-Unis, on plaisante de moins en moins avec les histoires de produits financiers avariés. S’il ne s’était agi que de dates de péremptions dépassées, peut-être n’y aurait-il pas eu tout ce «fuss».  C’est un grand classique que celui des produits financiers qui ont l’air chouette quand on les conçoit et qui font une très piètre figure quand on les a vendus. Ils ont un train de retard. Ça arrive. La question ne tourne pas autour de produits qu’on a trop gonflés comme des ballons de fêtes foraines. Il s’agit des produits qui se sont révélés défectueux parce qu’ils ont intégré des éléments déclarés excellents pour le service alors qu’ils ne l’étaient pas. Imaginez qu’un constructeur d’avions ait demandé la mise sur le marché de son petit dernier en prétendant que les réacteurs étaient certifiées « default proof ». Imaginez qu’on ait recueilli l’avis d’un expert, sympathique au point de suggérer une façon créative de présenter le dossier d’homologation, avec des composants pas très au point.  Imaginez que l’expert réputé et incontestable ait donné un satisfecit technique aux pièces, en anticipant une mise au point ultérieures. Cessons d’imaginer, c’est exactement ce qui est reproché à la plus grande et la plus célèbre agence de notation américaine : standard and poors….

 

La notation des Agences de Notation se dégrade !

En particulier, dans le cadre des subprime, Standart and Poors se voit reprocher d’avoir, à la fois, conseillé les opérateurs responsables de la conception de produits complexes et de leur avoir indiqué les meilleures façons de faire pour obtenir quoi qu’il en soit un bonne note. Il lui est aussi reproché d’avoir délivré des triple A à certains composants des produits dits « subprime » en négligeant les informations qui montraient la fragilité des portefeuilles de crédits sous-jacents.

Le gouvernement Américain a lancé les procédures contre l’Agence de notation car celle-ci, dit-on, n’aurait pas voulu accepter le montant des amendes dans le cadre d’un « plaider coupable » et de s’acquitter d’une somme de 5 milliards de dollars pour compenser les dommages occasionnés.  Si le gouvernement s’en prend à Standart and Poors, il est clair que la justice des Etats membres des Etats-Unis va suivre. Si on s’en prend à cette Agence, il y a fort à parier que les autres suivront et risqueront d’être condamnées à des sommes colossales. Les conséquences viennent déjà de tomber sous la forme d’une …dégradation de la note de Standart and Poors. Vous ne rêvez pas : Fitch, l’une des « trois agences », a décidé compte tenu des périls pesant sur sa consœur de la dégrader à BBB+ contre A, et la maison-mère, MacGraw Hill, par la même occasion !

5 milliards de dollars…et ce ne serait qu’un début : imaginons le pire (ou le meilleur pour certains commentateurs) la disparition d’une des trois principales agences de notation. Imaginons que, dans la foulée, ses consœurs, victimes elles aussi des attaques frontales du gouvernement américain et du gouvernement allemand (ne pas oublier que les banques allemandes ont perdu des dizaines de milliards de dollars dans les produits financiers «subprim »), puis des autres, rabattent de la voilure ou trépassent : que se passerait-il ?

Ce qui revient à poser la question, à nouveau, à quoi servent les agences de notation ?

Pourquoi n’avoir pas vu plus tôt qu’elles fonctionnaient un peu curieusement, (à l’envers) payées qu’elles étaient par les bénéficiaires de leurs notation au lieu de l’être par les investisseurs censés prendre les risques des prêts et souscriptions au capital desdits bénéficiaires…

L’importance donnée aux agences de notation est un sous-produit de la mondialisation des marchés de capitaux, d’une part, et, de l’autre, des exigences nées des fameux ratios Cooke et Macdonough dont la force contraignante a pris une dimension considérable au fur et à mesure des incidents, des crises boursières et de la dernière crise bancaire et financière. La problématique est en effet simplissime : pour que les marchés financiers et bancaires puissent fonctionner dans des conditions de sécurité maximum, il est essentiel que les intervenants, qu’ils soient banquiers, assureurs, courtiers, asset-managers puissent disposer de moyens de jugement à valeur sinon universelle au moins mondiale. Parmi ces moyens, il faut compter les contraintes comptables dérivant des accords de Bâle : juger d’une entreprise ou d’un acteur bancaire ou financier japonais, uruguayen ou allemand doit pouvoir se faire sans se demander si leurs bilans ne comportent que des spécificités locales rendant extrêmement délicates et complexes toute comparaison mais surtout rendant très coûteux le simple fait de pouvoir se faire une opinion sur les bilans concernés. L’harmonisation des présentations comptables résultant des normes agréées par les accords de Bâle était censée permettre de qualifier les bilans dans des conditions sécurisées, homogènes et communes à l’ensemble des intervenants qu’ils fussent investisseurs ou emprunteurs.

Que les normes comptables soient harmonisées est une belle chose, mais cela ne dit ce que contiennent les comptes ni la qualité de ce qui y est inscrit. Comment s’assurer qu’un compte d’actif consacré aux créances hypothécaires, tout normalisé qu’il soit, c’est-à-dire ne comprenant « que des créances vraiment hypothécaires », enregistre des créances hypothécaires dont la valeur est homogène ? Qui va dire, à partir de quand, la valeur des créances est impactée par des évènements adverses, relatifs les uns aux marchés des biens immobiliers, les autres aux risques d’impayés et ainsi de suite ? La réponse « normale » est que la valeur des postes d’actifs, pour prendre cet exemple, est donnée par l’établissement concerné. C’est à celui qui a prêté de juger si ses créances sont bien garanties ou non. C’est à lui aussi de prévoir les dépréciations, s’il y a des impayés etc….sauf que la banque uruguayenne ne raisonne pas nécessairement comme la banque allemande qui ne pense pas « valeur des créances » comme la banque indonésienne. Ce qui est fort ennuyeux si on veut formuler un jugement sur leur solidité.

La notation par des Agences : une solution élégante et commode. 

La solution est finalement venue de l’acceptation par le monde bancaire et financier, mais aussi par les régulateurs d’un processus de notation externe. Il n’est alors pas nécessaire de se lancer dans des grandes études compliquées avec des armées , coûteuses, de chargés d’Etudes pour interpréter les bilans des milliers d’institutions actives dans le monde. Il suffit qu’elles aient reçu une note de la part d’un noteur reconnu, agréé, approuvé et inscrit selon les règles de l’art. C’est ainsi que, la nature financière ayant horreur du vide, celui de l’appréciation et de la normalisation des valeurs a été rempli par les Agences de notation. Comme, en matière de notation, les plus réputés étaient représentés par le fameux trio : S&P, Moody’s, Fitch…tous américains, les trois agences de notation raflèrent l’essentiel du marché.

Si on revient un peu en arrière dans ce rappel succinct du rôle des Agences de notation, c’est aussi parce que les conséquences en matière de compétences des intervenants sur les marchés bancaires et financiers sont graves. Les agences de notation, peu ou prou, se sont substituées aux investisseurs pour évaluer les actifs et décider de leur niveau de sécurité. On imagine qu’il y a là un énorme avantage pour ces derniers et, par voie de conséquence, pour les emprunteurs : un avantage de coûts. Les investisseurs, s’ils recherchent un actif de n’importe quelle nature pour satisfaire soit un client, soit leurs besoins propres, ont trouvé dans les agences de notation un moyen commode pour agir sans perdre le temps de l’analyse, sans avoir à en supporter les coûts.

On imagine la simplification que cela représente. Acheter de la dette émise par une Banque Uruguayenne revient pour un banquier de Singapour à vérifier les éléments financiers et à ne s’intéresser au degré de risques de l’opération qu’en considérant la notation reçue par cette banque. C’est quand même plus simple…mais aussi, c’est redoutable en matière d’irresponsabilité. A deux titres : à force de se reposer sur les notations, les établissements ont perdu les équipes et le savoir-faire en matière d’évaluation des risques. Ils se sont mis eux-mêmes dans des situations incontrôlables, lorsque pour une raison ou une autre l’actif qu’ils ont acquis est décoté.

Alors, les Agences de notation seraient devenues incontournables, fournissant une prestation indispensable à des acteurs qui se sont dépouillés de toute capacité à l’assurer ? Sans agence de notation, il faudrait que les investisseurs en reviennent aux formules d’antan : l’évaluation des actifs, des emprunteurs, des produits financiers par leurs propres services et leurs propres moyens. Avec les coûts que cela induit, les prix de toutes les transactions augmenteraient. Les emprunteurs seraient les victimes etc. ou peut-on dire que toute une série d’investisseurs de petites tailles, donc à compétence nécessairement réduite, serait « sorti » des marchés ? Les myriades de fonds communs de placement incapables de fournir des ressources d’études, de petites sociétés d’assurance, mutualiste ou non ne pourraient pas prétendre servir leurs clients. Ceux-ci ne pourraient pas se reposer sur des compétences au mieux limitées, au pire inexistante.

Réinventer les Agences… le jour où les Agences de notation auront disparu…

Difficile d’imaginer pareille régression sauf à accepter l’idée que seuls les établissements puissants et riches pourraient déployer les moyens utiles, imposant aux autres, leurs analyses et leurs choix. Ce serait passer de la domination d’un trio, à la domination d’une dizaine de monstres financiers… dont les intérêts en tant qu’investisseurs pourraient aller en conflit avec ceux de leurs clients.

La mise en cause du trio monopolistique, voir son démantèlement, par affaiblissement des uns et des autres ne doit-elle conduire qu’à l’archaïsme des pratiques d’il y a un demi-siècle ? N’est-ce pas l’occasion rêvée d’introduire enfin de l’ordre et de la méthode dans un univers qui s’est montré trop souvent irresponsable, désordonné et incompétent ? Comment a-t-on pu si longtemps imaginer que les trois agences pourraient noter tous les agents de l’économie, tous les produits financiers, tout le temps ? Il est temps d’évoluer et de faire en sorte que les collectivités publiques, Etat, organismes étatiques, Régions, communes, villes soient l’objet de processus de notation séparés. Il est temps aussi que les notations des très grandes institutions financières et bancaires, les « systémiques », soient confiées à des organismes supranationaux voire à caractère mondial. Il est temps aussi que soient créées des agences à vocation locale, compétentes dans des sphères géographiques spécialisées. Il est temps enfin que les règles de gouvernance et du processus de la notation soient régulés de façon homogène dans toutes les grandes zones économiques.


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"La bataille mondiale des matières premières", "le crédit à moyen et long terme" et "Les multinationales contre les Etats" sont épuisés. 

En collaboration: Institut de l'Iconomie

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