(Voir aussi : Sous le Bleu Klein : « liquide, plage et confusion » une courte nouvelle dont la Table basse, Bleu Klein, est l’héroïne.)
Je n’aime pas Yves Klein. Je n’aime pas le « bleu Klein » breveté (IKB). Je n’aime pas les palinodies de Monsieur Klein qui s’envole dans les airs, Icare pas con, renonçant aux ailes qui font angelot et s’assurant de la présence de quelques copains pour le ramasser avant qu’il s’écrase sur le pavé.
Je pourrais multiplier les raisons de ne pas aimer Klein.
Ce serait stupide, car si je ne l’aime pas en particulier, je ne l’aime pas tout entier.
Une fois versés mon ire et mon fiel, ai-je quelque chose à dire sur Yves Klein ? Ai-je une quelconque légitimité à dire quelque chose sur son œuvre ? Sur les expositions qui la présentent et la mettent en valeur ?
Je peux, valablement, dire ce que j’ai vu, à Gènes, au Palais Ducal. Et puis c’est tout.
Trois thèmes sur l’œuvre de Klein sont présentés et bien représentés : Klein passionné de Judo et le sens esthétique dont il investit ce sport. Le Klein de l’auto-art, des performances où il est acteur, metteur en scène, instigateur, scénariste. Et enfin, le Klein théoricien du bleu, créateur à la fois de l’éternité en peinture et de l’instantané en action.
Il faut peut-être comprendre que Klein, judoka, c’est le corps en démonstration, action, surpassement. Les grands maîtres japonais, présentés en action, donnent par leur exemple des leçons d’élégance, de légèreté et d’efficacité. Klein est lui-même filmé en combat. Allant de prises en prises. Ceinture noir de niveau très élevé dans la hiérarchie de ce sport. Pourquoi, avoir montré ce qui pourrait n’être qu’un documentaire sur la vie de l’artiste ? Son goût pour ce sport, où force, puissance, domination sont le fruit d’un mouvement, d’une pose et de la simplicité dans la pensée et l’exercice du combat, n’est-il pas une prise de position poétique ? Le judoka accompli n’a pas besoin d’un grand renfort de muscles, de gesticulations et de démonstrations sonores. Plus il est élevé dans l’exercice de ce sport, moins il paraît agir, plus il est pure efficacité, inscrite dans l’abstention du faire, démontrée dans le renoncement à la force. Je comprends que pour Klein, la leçon de ce sport réside dans cette inscription. Je comprends que l’artiste serait aussi celui, qui use de la force transmise par les autres, par le monde pour, non pas la contraindre et la vaincre, mais simplement la retourner, en user et construire?
Auto-art : l’artiste est-il celui-là qui use de la force des autres ? Qui met en scène ce que les autres peuvent lui apporter dans une réalisation et une création. Scène devenue maintenant classique des mannequins nues conviés à se couvrir de peinture et à s’imprimer sur des toiles blanches devant un parterre de regardeurs. L’art est-il dans ce geste simple de très belles femmes qui se couvrent de peinture et vont impressionner les toiles (tout en impressionnant les regardeurs invités à assister au spectacle-performance-création artistique)? L’art est-il dans le rendu de ces impressions ? L’art est-il dans le regard des regardeurs ou dans le geste de l’artiste qui, ordonnateur de cette séance, en est le magicien, le metteur en scène, le scénariste et l’hôte.
Enfin, il y a ces exercices d’art instantané et d’éternité. Exposition du « bleu Klein » qui couvre des pans de murs entiers ou des objets. Ce bleu inscrit dans l’éternité, puisqu’il s’agit d’une formule chimique, une recette de cuisine pour coloriages dont la reproduction ne dépendra jamais d’une intention d’artiste mortel, d’une copie d’œuvre temporelle et historiquement déterminée, mais du retour à l’œuvre originelle par delà tous les temps. Le Bleu Klein est par nature éternel tout autant que l’eau qui ne cesse de se renouveler telle qu’en elle-même, telle que produit d’éléments essentiels, primordiaux, combinés sous la célèbre formule chimique « H2O ». Tout à l’opposé de ces recherches sur la création pour les temps à venir indéfiniment, l’exposition montre ces performances où valeur et instant sont associés en une création artistique : les poussières d’or, qui s’en vont dans le vent au-dessus de la Seine, réduisant de lourds lingots, matériaux imputrescibles et intemporels, en une œuvre d’une totale légèreté, impalpable, évanescente, dissipée et aérienne.
Nous sommes au début des années soixante. Klein parle d’un art qu’il veut nouveau. Coup dur pour les chevalets de l’Ecole de Paris. Klein inventait la création qui ne dure pas, l’artiste qui ne peint pas, l’œuvre qui n’existe pas.
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