Et si on revenait à l’Orangerie, pour voir les Nymphéas?
Par hasard. Je pensais voir une exposition de photographie. J’avais dû me tromper de quelques semaines ou de quelques mois. Pas de photo, mais, devant moi, l’ouverture vers les deux salles des Nymphéas. Pourquoi ne pas revoir les Nymphéas ? Pourquoi pas ?
Et comme chaque fois, j’ai reçu un choc. Plus que la fois précédente. En fait le choc, se fait de plus en plus fort. Ou bien c’est moi qui deviens de plus en plus faible ! J’arrivais par la porte qui ouvre sur la droite de la première salle d’exposition. Immédiatement sur la gauche, une gigantesque tache d’un jaune virulent éclabousse tout autour d’elle et devant elle. Et bouscule tout : formes, couleurs, dimensions, Soleil couchant est-il dit, vers une masse presque noire, la nuit profonde, bleue, son pendant, son extrême opposé dans ce panneau.
Violence jaune, brute, stridente. Matière. Elle sort du panneau, le déborde, s’en répand sur nos yeux, dans un reflet lumineux à terre, dans tout le panneau qu’elle menace d’envahir ! Où sont les Monet doux d’une lumière suave, enveloppés d’ombres délicatement colorées ? La cathédrale de Rouen, couleurs du matin, couleurs du soir, chant de la lumière sur la pierre. Masse transparente que Monet avait érigée par le moyen de la lumière et de ses accords en symphonie. Lumières et couleurs n’avaient-elles pas gommé les aspérités de la pierre sculptée, supprimé les gargouilles et leurs gueules ouvertes sur des crachats ou des ricanements crapoteux ? Mieux que les dentelles des maîtres sculpteurs gothiques, défi lancé à l’équilibre héroïque des forces et des pesanteurs, les ombres colorées, les caresses du soleil et les chants des couleurs avaient réinventé la cathédrale. Eloignant l’éternité revendiquée dans ses réseaux de nervures et de colonnes, Monet avait réinstauré le temps du monde en variations de rouges, de jaunes, de violets.
Qu’est-il donc advenu au Maître pour qu’il inonde et écrase d’un jaune strident, et hurlant et violent, les bleus de la mare aux Nymphéas ? On prendrait ici des détails pour l’ensemble, des parties infimes pour un tout gigantesque ? Reculez-vous voyons et considérez l’ensemble ! pas question d’abandonner l’éclaboussure de jaune. D’autres n’ont-ils pas vibré à de minuscules détails. Peut-on regarder les architectures quand, sur un tableau, le « tout petit pan de mur jaune » est là, qui renverse le regard. C’est pourquoi, m’est si proche et si intense, cette éclaboussure de jaune, imposante au point qu’elle aspire l’ensemble du panneau. L’artiste l’a voulue. Monet l’a faite. C’est cela qui importe et ensuite, toute l’attention qu’il a portée à la masse opposée, bleu de nuit pour construire un mouvement balancé et retrouver l’équilibre !
C’est ainsi, que je suis revenu « aux Nymphéas ». Par le « soleil couchant » et le jaune qu’il laisse sur la toile, comme pour résister à son déclin. Comme toujours face à une œuvre qui subjugue, deux sentiments se mêlent, celui du désir qui conduit à ne vouloir que se fondre dans l’œuvre, le projet qu’elle porte, la création qu’elle livre et celui de comprendre, sortant de l’eau et choisissant la plus haute et la plus forte, porté par la vague, tenir la tête hors de l’eau, l’esprit clair et affuté.
Le premier mouvement, la plongée dans l’œuvre, se forme selon une succession de méditations, de regards portés sur des coups de pinceaux, d’émergences à partir d’une trace de peinture, nénuphars et étoiles, nuages et saules pleureurs. Vient vite l’impression d’une plongée en apnée. Puis, on renonce à cette idée de plongée ! Pour plonger il faut jouer de la gravité. Il faut partir d’un haut pour se laisser tomber vers un bas. Non ! Décidément on ne plonge pas, on est entré dans l’œuvre, comme on entre dans une idée, un poème, un brouillard ou un nuage. Comme on aspire à s’y offrir et à s’y dissoudre, offert au plaisir et aux éblouissements. Univers anti-géométrique. Repères qui s’effacent ou qui s’essoufflent. Le dessous devient le dessus. Inversion des dimensions. Messieurs les artistes, alerte, la perspective est trahie ! Autour de moi, des fumées colorées ou des résilles enchantées. Par commodité on dira « univers aquatique », parce que c’est une mare. Ce serait bien plat.
Dans cette mare, le jour défile, puis vient la nuit, la mare aurait dû avoir une surface. Comme toutes les surfaces d’eau, c’est la règle dans le métier d’artiste-peintre, elle aurait dû faire miroir. Comme sur toutes les surfaces d’eau-miroir, les arbres, les animaux et les hommes seraient venus se mirer. Ils auraient, pour qu’il y ait de la poésie, en partant, laissé quelque chose de leur reflet. Un narcisse, par exemple, pour le plaisir des citations. Monet n’a pas joué le jeu. Comme de la Cathédrale qu’il a transformée en réseau fugaces de lumières et de couleurs, il a renoncé à la surface de l’étang. S’était-il persuadé qu’une surface divise, coupe, donne à l’espace une froideur de géométrie ? N’a-t-il pas décidé qu’il fallait renoncer à la figure plane en peinture ? Que la toile est par elle-même la caricature d’un plan euclidien. Alors, tant pis pour la surface, tant pis pour le miroir qui reflète, il aurait multiplié les reflets, en-dessous, au-dessus, devant derrière et à l’intérieur du miroir, il aurait fait sombrer la surface de l’eau dans laquelle seules des ombres seraient venues se mirer. Les fantômes n’ont pas d’images pourtant. Rien donc ne se mire, si tout vient de l’envers ! Les nuages, par exemple, ne croisent pas sur la surface de l’eau, ni dans le ciel. Ils dérivent en suspens, au sein des couleurs, des saules noirs et des nénuphars, ancrés tout au fond de la mare, en dessous, très en dessous du petit pont japonais. Sous la surface qui s’abolit, est-ce le ciel qui vient se dissoudre dans l’eau ou les arbres qui poussent à l’envers ?
Je me souviens de ces conseils qu’on donnait aux enfants désireux d’apprendre à voir l’art, la peinture surtout. Il faut se reculer. Ainsi de loin, le sujet t’apparaîtra clairement. Il te faut aller en avant: te rapprochant, tu comprendras la technique, la méthode de l’artiste. On apprenait à regarder sous les châssis comme des mécaniciens, pour débusquer l’huile qui dégouline ou l’écrou à revisser. Coups de pinceaux ou coups de marteaux. Il y avait de la vis et du boulon dans toute œuvre d’art, de la technique et de la méthode. Aller en arrière, montrait le produit tel que l’avait voulu finir l’artiste. Aller en avant, instaurait l’artiste en bon ouvrier. Si l’œuvre ne te plait pas, au moins, considère qu’elle est le fruit d’un travail. L’artiste qui fait des efforts et ne trompe pas son monde sur une marchandise imparfaite est encore un ouvrier respectable. J’ai gardé ce réflexe. Je viens et je vais. Les fantômes de fleurs tracées d’un violent coup de brosse, à la couleur inégalement posée, vont, pour ceux qui sont loin, parler d’un nénuphar. Pour ceux qui s’approchent, ils évoquent le tissage et les fils qui se mêlent, ils viennent découvrir la lisse, les trames et les chaines qui les réunissent, la laine mêlée au coton, au fils doré, les fins fils d’ange à peine esquissés. Ici, les flots ne sont pas surface mais matière, assemblés à coups de grands câbles dans tous les bleus.
Au-delà d’une plongée dans la matière d’un étang, dans la transparence de l’eau et dans les jeux noués par l’atmosphère, la lumière et les flots immobiles, il me vint que cette contemplation s’attachait au travail complexe d’un tisserand. Coups de pinceaux, coulures et traits grossiers, cotons vaporeux qui disent des nuages noués sur des trames bleutées où le ciel se dissout en onde.
Chaque coup de pinceau prenait l’allure et la forme d’un fil, d’un morceau de la trame, d’une venue de la chaîne. Longues couleurs attachées et fixées sur la toile, pour y broder des fleurs comme des soleils. La mare n’était pas seulement une masse d’eau et de ciel, sans dimension précise, sans inscription dans l’espace, mais l’effet d’un tissage où les saules formaient trames de leurs branches trainantes, où s’entrelaçaient des traces vaporeuses et les ratures précises du pinceau.
Emporté par les flots de la mare ? Ou bien saisi dans le filet de toutes les couleurs nouées, je me suis soumis au déversement des couleurs. Les bleus de Monet sont-ils des couleurs ou des esprits qui passent ? Sont-ils des ombres ? Pour ma sauvegarde, je me suis amusé à penser au bleu « Monet ». J’ai essayé de penser qu’il existait surement un « IMB » (International Monet Blue) ! Le bleu nuit de Monet est-il un bleu ou est-il la nuit ? Et si c’était le cas, comment breveter ce bleu là ? L’idée même aurait été ridicule ! Monet ne pouvait rien monétiser d’autre que le rêve tiré d’une mare à grenouille.
Fleurs qui flottent ou taches. Les nénuphars sont-ils ici pour dire qu’il y a plan d’eau ou pour rappeler que les cieux reflétés dans les eaux sont constellés d’étoiles. Troncs qui scandent les toiles. Entre ciel et eau ? Pour rappeler qu’il n’y a pas dans la nature que des fluides. Ils sont à notre esprit matière ultime. Parce que nous les attendons, nous les appelons, ils sont nos repères dans un univers qui les a tous sabordés, les uns après les autres. Nous les dressons malgré tout car il faut pour notre équilibre que la verticalité existe. Il le faut. Il ne peut être possible que tout ne soit que vapeurs, couleurs, textures, sans sens, sans perspective, sans direction.
Soirs obscurs ! Dites en couleur violette que vous survenez et qu’il est des nuances qui se succéderont, dans un temps subtil d’où les mesures du temps seront exclues.
Ouates, lianes rosées ou délicatement blanches, fumées d’eau qui se reflètent dans le miroir incertain de l’eau qui dort, êtes vous des nuages ou le temps qui s’est arrêté de passer ?
Tisserant de la nuit, fil noir, fil bleu que tu taches de quelques fleurs rougies. Dernière flammes d’une nature qui s’endort. Premiers scintillements des étoiles que la nuit décèle.
Mais ce ne serait donc qu’une esquisse ? Tout ceci n’est-il pas flou ? Les détails ne sont pas là. C’est bien vague. Alors il faudra dire aussi que la nature n’est qu’une esquisse et qu’il faut se méfier des peintres qui veulent la « finir » !
Fleurs-symphonie, Nénuphars, vous n’êtes que des coups de pinceaux.
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