Le Pérugin est exposé au Musée Jacquemart André
J’ai pensé, peu de temps il est vrai, qu’écrire quelque chose sur la belle exposition donnée par le Musée Jacquemart-André sur le Pérugin ne serait qu’ajouter des mots aux mots tant il a déjà été dit sur le Peintre Ombrien. Il appartient à cette Renaissance florissante, celle qui foisonne et buissonne, de qui vont partir les mouvements picturaux qui forgeront notre façon de voir le monde. Plus exactement, ils vont contribuer à rendre sensible un bouleversement radical de notre vision du monde, de la place de l’Homme en son sein et des hiérarchies de valeurs solidement installées depuis plus d’un demi-millénaire. Tant a été dit sur ce moment dont nous sommes issus ! Que dire de plus ?
Ajouter une petite musique ?… En fait, j’ai changé d’avis en écoutant la Giuditta d’Alessandro Scarlatti. Ce dernier est loin d’être un musicien « renaissant », mais il se passe qu’en l’écoutant, comme lorsque j’écoute Caldara ou d’autres « baroques », j’ai un sentiment de proximité, de communauté de goût, une impression de facilité d’être, sa musique me paraît « évidente », simple, donnée. On y entre de plain-pied, on se promène en elle en suivant des chemins dont on a l’impression de les connaître depuis si longtemps. Pas de cahots, de fondrières, de raidillons où se déchirer les mains, pas de torrents qui dévalent. Au contraire, la lumière, la gaieté des clairières, les blés qui se balancent sous l’effet d’un vent chaleureux, un ciel d’été. Musique opposée à celles qui me demandent un effort, avec lesquelles je ne me sens pas aussi à l’aise et où je me ressens comme dans un rapport de travail. Que j’aime aussi, parce qu’il y a à débattre et à discuter, parce qu’avec elles une attente d’un autre lien, un autre lieu se débat avec les lieux habituels, les liens dont on a pris l’habitude, c’est à dire qu’avec ces dernières, il n’ y a rien d’évident, mais, une recherche, des questions peut-être dont je n’ai pas encore trouvé la réponse.
Mais c’est trop parler de musique. L’idée ici, doit se résumer de la façon suivante : les formes, les structures, les tonalités, les rythmes de Scarlatti, me sont accessibles immédiatement et le sentiment de paix, de plaisir que j’éprouve à l’écoute de ses Cantates correspondrait à une adéquation complète entre une attente et la réponse que pourrait contenir et construire sa musique.
C’est donc en l’écoutant que j’en suis venu à l’exposition des œuvres du Pérugin. Je les connaissais bien pour les avoir vues à plusieurs reprises aux Offices à Florence et dans l’excellent musée de Pérouse qui présente une partie importante de son œuvre. Ma vision de l’œuvre du Pérugin renvoie à ce sentiment de plénitude et d’achèvement que je décrivais plus haut au sujet de Scarlatti. On a beaucoup écrit sur les rapports qui auraient existé entre Raphaël et Pérugin, sur cette extraordinaire parenté intellectuelle et esthétique entre les deux maîtres. Raphaël étant plus jeune, on a pensé que le Pérugin avait été le professeur, l’initiateur. La question est intéressante sur le plan « scientifique » celui de la généalogie du « faire artistique ». Plus intéressant à mon sens est de rappeler que l’un et l’autre sont les artisans d’un monde qui se fait, ils sont parmi ceux qui fabriquent les nouvelles questions pour qu’on y apporte de nouvelles réponses. Ils poursuivent une quête, entamée avant eux, avec rien devant eux que leurs doutes, leurs audaces et leurs inventions.
Le Pérugin, autant que tous ceux qui lui sont contemporains et dont il connait parfaitement les œuvres, a construit notre regard pour un demi-millénaire. Il a participé à la création des hiérarchies de valeurs nouvelles dans ce qu’elles ont de visibles. Avec tous les grands Piero Della Francesca, Masaccio, Léonard de Vinci, Botticelli, Duccio, il a participé à l’invention des éléments d’un nouveau « visible » voire même, ils ont donné au regard l’importance que nous lui connaissons : ils ont inventé l’évidence. Les visages des Vierges, sont aujourd’hui encore, parfaites, sans que nous ayons besoin de nous en souvenir, sans avoir besoin d’y penser ; elles sont à la fois, les exemples donnés du nouveau visible et le programme donnant les clés d’une nouvelle visibilité. Comprenons que les Vierges du Pérugin, comme celles plus tard de Raphaël, mais aussi celles de Botticelli son contemporain posent les canons d’un rapport au monde, à la femme témoin d’une nouvelle harmonie du monde et au nouveau pacte dont elle serait la garante, passé entre divin et humain, légitimant et valorisant notre place au sein d’un univers très humain et très terrestre. Songeons un instant que nous sommes si profondément imprégnés de ces idées que de nos jours encore le star-système met en œuvre des critères esthétiques inventés voici 500 ans ! Peu ou prou, les vierges du Pérugin sont un paradigme esthétique et en portent le message jusqu’à nous, tant dans la production artistique que dans la conception vulgaire de la beauté féminine.
Ne ferait-on pas dire au Pérugin ce qu’il n’a jamais voulu dire ? N’est-ce pas aller trop loin en le faisant démiurge ? Peut-on sans blasphémer le faire l’inventeur du regard de la vierge sur son enfant ? Il faut chasser ces questions : le Pérugin, comme tous les géants de son temps, n’est pas une brillante individualité, celle de l’Artiste avec un grand « A » comme notre temps l’a inventé, héros faustien ou Pygmalion, en butte à toutes les hostilités, incompris et asocial. Les artistes de la Renaissance, tout géniaux qu’ils furent, œuvraient dans le contexte strict d’une société totalement religieuse et c’est justement à ce titre qu’ils sont exceptionnels : ils participent à ce grand mouvement qui traverse toute la société occidentale et qui va subvertir l’ancien ordre spirituel.
Je vois dans l’œuvre du Pérugin un moment paroxystique. Plus qu’aucun autre, il va être l’homme de la synthèse. Son travail plus que celui du Grand Léonard, scelle les pierres de fondation de la Renaissance en matière de Peinture. Il n’a pas inventé la perspective et n’est pas le premier à l’introduire dans la création artistique mais il y a dans son œuvre quelque chose de systématique dans la représentation de l’espace qui le rapproche de Palladio : théoricien le Pérugin ? Plus que sa peinture soi-disant aimable le donne à penser. Or, il a appliqué une méthode, venue des nouvelles idées et donnant à ces dernières force et conviction. C’est probablement de cet esprit systématique, de son obstination dans la répétition de certains thèmes, dont justement celui de la madone à l’enfant-jésus, que vient l’impression de froideur éthérée que dégage l’ensemble de son œuvre. La douceur du Pérugin, qui vient aussi de sa « manière » n’a rien à voir avec une quelconque sensiblerie, le lisse, les carnations délicatement rendues, les vedute à la couleur vert d’eau ou émeraude, ne sont pas là pour émouvoir et attendrir. Elles disent que le nouveau monde, celui dont il est un des propagateurs, est vrai et qu’il est bien là.
Incidemment, le Pérugin a ceci de passionnant qu’il voit clairement dans sa peinture la démarcation entre le grand art Flamand et Allemand et celui de la Renaissance italienne : là où des flamands auraient installé des foules bigarrées et les auraient entassées nonobstant le thème principal de l’œuvre, en en surpeuplant leurs tableaux ad nauseam, le Pérugin et ses contemporains s’efforcent de réduire les participants à la scène représentée au minimum nécessaire. Là où les flamands auraient fait participé le « monde » aux manifestations de la divinité et aurait étalé la réalité humaine sous la forme de grotesques, d’enfants déculottés et de matrones informes, là où les goitreux, les démolis, les monstrueux moraux ou physiques auraient remplis les vides du tableau, le Pérugin pose des personnages idéalisés dont l’élégance et la forme esthétique constituent les éléments harmonieux d’un idéal élevé.
C’est aussi en ce sens que l’exposition du Musée Jacquemart-André est intéressante : elle rappelle à quel point l’artiste a été essentiel dans la formation des idées esthétiques de son temps et de leur inscription pratique dans la production artistique. Elle montre aussi, où se trouve le point de rupture entre deux univers esthétiques qui pendant un demi-siècle avaient montré des très fortes convergences et où se trouve enfin le point de rupture avec une peinture qui est demeuré longtemps vivace, qu’on a nommée « gothique international ».
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