Les photographes du cercle de Gustave le Gray.
Exposition MEP « hors les murs ».
Au Petit Palais. Jusqu'au 6 janvier 2013.
Très belle exposition, très riche et très audacieuse. L’audace, ici, ne réside pas dans le fait d’avoir exposé des œuvres détonantes et étonnantes, mais dans le fait d’avoir tenté de présenter toute une école et d’avoir recherché démonstration et exhaustivité.
Bien dommage que les organisateurs n’aient pas eu deux fois plus de place, en sorte de montrer davantage les œuvres de Le Gray. Mais le parti pris n’est pas « Le Gray, son œuvre, ses suiveurs », il s’agit de montrer ce que la photographie du XIXème siècle et, finalement, la photographie tout court, doit à l’Atelier et à l’enseignement de Le Gray. Cette démonstration large et compréhensive ne pouvait rechercher l’exhaustivité, montrer les travaux des élèves, qu’au prix de choix drastiques.
La photo « icône » de Le Gray qui annonce l’exposition et énonce la révolution dans l’art que la nouvelle technique va induire, est cette étonnant vue du cloître de Moissac. Elle est programmatique cette photo. Elle annonce la révolution du sujet et le retournement de la lumière : la part d’ombre est si forte, si marquée, si noire que les peintres du noir eux-mêmes sont dépassés. On dira que c’est une question de tirage, on soutiendra qu’en fait Le Gray n’a pas exposé suffisamment longtemps ses plaques, on arguera que c’est une photo ratée ou bien que c’est un effet moderne d’un tirage récent et que la photo originale n’est pas si sombre. Et les donneurs de leçons clameront que le parti-pris était évidemment classique : tant d’ombre, tant de noir, confrontés à une perspective trop parfaite, à pareil rythme dans la succession des colonnes renvoient aux vieilles machines italiennes du Quattrocento. Ils diront que: la part d’ombre n’est que la conséquence d’une méthode et d’une technique qui ne sont pas encore maîtrisées…
On en revient à l’idée de primitivisme, de maladresse. Les jeunes arts sont fatalement des arts grossiers. On tâtonne, on ne sait pas ce qu’il faut faire, on ne sait ce qu’il faut voir, ni comment voir… Sauf que Le Gray par l’exemple d’autres photos montre qu’il sait voir et comment il faut le faire: la photo « Atelier du chemin de ronde », est une belle leçon de perspective et de mise en page. Sauf que Le Gray a conservé cette « photo ratée ». Il n’en a pas déchiré ou cassé le négatif. Peut-être même la considérait-il comme une de ses belles photos ? Une photo qui soudain arrache une vision nouvelle au monde construit par les Italiens il y a 500 ans, devenu banal à force de le radoter.
Or, c’est justement en ce sens que l’exposition est audacieuse et très riche. Elle nous montre non seulement un art qui se fait, une vision nouvelle du monde qui se livre et accepte d’émerger, mais aussi, ce à quoi l’art, tout entier va devoir se confronter. L’art de Moissac n’est pas simplement une nouvelle forme d’expression, c’est l’acceptation d’un monde nouveau qui se donne à voir. Un monde que l’art, sous toutes ses formes, va dévoiler, peu à peu, pendant toute la seconde moitié du XIXème siècle.
Les élèves de Le Gray vont-ils, une fois formés, partir dans le vaste monde, porter la bonne parole du maître ? Il est sûr qu’ils vont surtout développer des talents, découvrir de nouvelles raisons de voir, amasser de nouvelles expériences. Gardons toujours en tête que la photographie n’est pas uniquement le fait de collationner une image et de se laisser impressionner par elle via la plaque, mais c’est aussi, le fait de faire sortir du rien de cette plaque, une vision du monde, qui peut être modifiée par le processus du développement lui-même. Le photographe n’est donc pas seulement celui qui fait un beau ou intéressant repérage des choses ou des gens qui feront des sujets, il est celui qui choisit dans ce qu’il a extrait du monde ce qui vaut d’être considéré, regardé admiré.
L’exposition des œuvres élèves est une remarquable introduction à cette originalité de la photographie. Tout un volet consiste à commenter les grands thèmes abordés par l’art photographique : la perspective, la mise en page, la nature, le portrait etc. Pour ma part, je ne commenterai que le volet « élèves » de l’exposition.
Tout d’abord, une photo superbe. Un tirage très grand de la photo prise par Mehedin : le pont du Mozanbano. La mise en scène, l’impression que le vent secoue les feuillages de quelques arbres en premier plan (effet de la durée de l’exposition) , le contraste entre la précision des éléments, eaux, herbes, végétation du premier plan et le flou, le caractère massif des constructions en fond d’image, l’impression de profondeur qui en résulte font de cette photo une leçon à part entière sur le potentiel dramatique et démonstratif de l’art photographique.
Parmi les très grands, il y a aura Tournachon et l’invention de la photo « psychologique ». La mise en place d’instruments accompagnant la recherche en mécanique de physionomie humaine, mais aussi et, surtout, des photos inspirées, qui tranchent avec ce que seront plus tard les photos de portraits compassées à base de colonne antique et de regards altiers. Sont des moments exceptionnels, les photos du mime Debureau, qui use des contrastes violents entre noir et blanc, des formes géométriques tirées du costume du mime autant que de ses poses, mais aussi le portrait de Gustave doré, passionné… il faudrait citer son autoportrait.
Les paysages, le traitement de la matière ont fait les beaux jours de la peinture, pourtant, les « élèves » vont ériger le regard sur la poussière, le rocher, les anfractuosités, les débris et les morceaux de pierrailles, les griffes et les graffitis en une vision d’artiste. Ils vont pousser l’étude et la remise en cause des structures et des plans classiques. Négre, s’attache à une analyse des structures de l’espace dans ses photos de Marseille et de Grasse, 1852.. Exceptionnelle de force et de mystère : sa composition à l’arbre où ce dernier, monstrueuse combinaison de branches qui s’entremêlent comme des bras d’une divinité, domine un personnage minuscule, assis et étranger à cette scène à la portée mythologique. Etudes de structures et combinaisons de lignes et de plans : Le Dien dévoile en courbes et contre courbes rochers et grottes d’Amalfi, Raymond de Bérenger, lui aussi, dans la campagne française, à l’approche d’un manoir, combine courbe et contre courbe, entre ruisseau, route, et mouvements collinaires.
Au-delà de la nature, les pierres palimpseste de Salzmann à Jérusalem, dépasse le documentaire, et passe à la texturologie. Photographie des graphes et des cicatrices de la pierre vont bientôt l’emporter sur celles des signes. Enfin, il faut s’arrêter longtemps devant les photos inspirées de Greene. L’ombre est si présente, les ouvertures tellement sombres, sur une pierre si blanche, qu’on s’interroge sur le désir de photographier de l’artiste. Que voulait-il montrer ? Des monuments égyptiens ou des jeux d’ombres et de lumière, des portes qui ne sont que des ombres franches et qui s’ouvrent sur l’obscurité profonde des chambres mortuaires et des couloirs qui y conduisent. ? Quand il photographie Constantine, s’agit-il d’une ville ou d’une trace, une ligne dans le désert, dans le lointain, au-delà des rochers ?
Et ainsi, d’artistes en artistes une pensée artistique nouvelle se déploie. Qu’on ne se dise surtout pas qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient : mettre en œuvre le matériel photographique, puis ensuite cadrer et poser, puis développer, rien dans l’acte photographique n’est le fait du hasard, de l’incertain et de l’involontaire. Si toutes ces photos, quels que soient les parti pris sont des œuvres d’art, c’est bien parce que les auteurs agissaient en artiste, en voulant faire émerger le monde en nouvelles formes, modalités, en nouveaux rapports.
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