Dans la première partie j’indiquai qu’aucun mouvement artistique ne peut être rapproché du travail de Kiefer y compris ces mouvements d’Europe du Nord dont on trouve les racines dans les horreurs de la Première Guerre Mondiale, entre abstraction post-guerre et expressionisme allemand, puis après la Seconde Guerre Mondiale, les Cobra qui se sont attachés à montrer l’horreur et l’absurdité du monde en le caricaturant, en le déchirant ou en le dénaturant, dénonçant ses crimes et criant ses trahisons vis-à-vis de l’histoire, de la culture et des valeurs universelles.
Et même avec ses contemporains, peintres allemands de l’horreur et du devoir de vivre en tant qu’enfants de criminels dans un monde de crimes, de destruction et de déni d’humanité, Kiefer n’a pas autant de rapports qu’on voudrait l’imaginer ou qu’on le penserait naturel. Si Baselitz, Lûppertz, Penk et tant d’autres artistes allemands de l’après-guerre traduisent le rejet d’un monde qui a trahi, et le rejettent en bloc, s’ils utilisent les oripeaux dont s’est paré ce monde et les répètent ad nauseam (voir les casques allemands chez Lüpertz) comme s’il s’agissait de rythmer un discours de dénonciation, si les « femmes de Dresde » sont la pure représentation de la souffrance et de l’horreur, il est frappant de relever que, dans toute la peinture de Kiefer, ne sont représentées aucun rejet d’un monde abject, aucune dénonciation, aucune image de l’horreur, de la souffrance ou de l’humiliation.
Découvrant les sculptures de Lüpertz, ses « Mozart », ridicules, efféminés, transformés en « puppets » ou fantoches ou en princes d’opérette, j’ai pensé que c’était une magnifique dénonciation de l’ambiguïté de la culture allemande capable de produire une révolution du beau en musique et, quelques temps après, de laisser tout un peuple se vautrer dans l’ignominieux et l’horrible.
Rien de cela chez Kiefer qui n’exprime aucune tentation de faire « du passé table rase ». Au contraire, il le convoque sans cesse.
Evidemment, on verra des ruines ! Pour le coup, ne pas en voir dans l’Allemagne démolie de l’après Seconde Guerre Mondiale n’aurait été qu’une forme de déni. Mais ces ruines ne seront pas des restes de bâtiments détruits, ce ne seront pas les traces d’une civilisation dévastée. Les ruines de Kiefer sont des bâtiments désertés, vidés du sens qu’on avait voulu y mettre, évidées même de ce sens « vide de sens » qu’une société, un pouvoir, une culture tous ensemble ont voulu mettre en scène.
Dénonciation ? Les bâtiments vides qui n’ont finalement contenu que du vide ne sont pas ni laids, ni atroces, ni caricaturaux. Au contraire, ils sont empreints d’une sorte de noblesse : celle attachée aux vieux temples et aux palais anciens abandonnés faute d’avoir su retenir un sens, celui dont ils étaient la mise en valeur et la mise en scène, celui dont on leur avait confié la garde. Entre les péristyles des « Espaces au nom du poète inconnu » et les restes du grand temple d’Héra en Sicile, les points communs sont plus nombreux qu’il aurait pu y en avoir entre ces mêmes espaces et les ruines du Reichstag ou ceux de la Frauenkirche de Dresde après les bombardements alliés.
Le monde de Kiefer n’est pas celui d’une errance désolée au milieu de villes réduites à l’état de gravats, ni celui d’un crâne décervelé, ni de la description apocalyptique de fosses communes et de charniers réduits à la chaux. Les massacres ne sont pas représentés mais la mort n’est pas oubliée.
S’il n’y a pas chez Kiefer représentation du refus désespéré ou épouvanté d’un monde inacceptable, y-a-t-il représentation de son acceptation ? L’absence de dénonciation est-elle refus d’une dénonciation ? Et si on veut aller au pire, doit-on voir, faute d’une dénonciation massive, une apologie en creux de ce qui n’aurait jamais dû être ?
Il faut aller un peu plus loin dans la façon de regarder l’œuvre de Kieffer et arriver à penser que son travail jouxte, longe voire parfois se confond avec les confins de l’art kitch, l’art du trop, l’art où rien n’est remis en question, où les grandes questions semblent attendre tranquillement qu’on vienne les chercher. Et même, un art où les grandes questions ont reçu leurs réponses. Les grandes machines de Kiefer seraient l’exposé des grandes solutions apportées aux Grandes questions, accompagnées de grandes citations. Les grands arbres et les grands mots seraient autant de postures.
Kitsch comme tout ce qui est montre, démonstration, bavardage, comme ces fameuses peintures romantiques allemandes, pleines de héros juchés en haut de quelques sommets alpins, le poing sur la hanche et le regard plongé tout en bas dans la vallée où s’affaire de petits personnages noirs et ridicules. Qu’est-ce en vérité que le Kitsch si ce n’est une accumulation de signes, détails, images, sonorités, connus, reconnus, évidents, qu’on contemple dans les désordres quoiqu’il en soit de l’œuvre et de sa construction, dans lesquels on se retrouve, comme lorsqu’on revient dans son salon, sa cabane au bord des prés, ou dans les vieux bouquins qui trainent leurs histoires d’amours déçus et de princesses aux pieds nus.
Est-il Kitsch à cette aune-là, Kiefer, artiste total et peut-être totalitaire. Pourquoi pas ! ou plutôt pourquoi pas un sur-kitsch ? Une accumulation d’évidences pour écraser l’évidence, une accumulation de citations pour détourner leur sens, et aussi, accumulation de matières en tous genres, pour arracher les regarder à leur sort matériel ?
Kitsch ou tellurique ? Il est évident que la peinture de Kiefer est à cet art ce que le travail du paysan est aux champs qui l’entourent et qu’il retourne : charrue en main, le paysan n’est-il pas sculpteur en paysage ? Kiefer retourne comme le soc de la charrue des accumulations de matériaux et fabrique une peinture lourde de matière en toutes espèces. Matières ? Lourdeurs ? Alors, il la leste d’écrits, textes sans références ou d’écritures, au sens presque biblique du mot, sur fond pictural, explications pesantes sur le sens le moins léger des œuvres et en même temps œuvres totales qui convoquent tous les arts, hormis celui de la voix, de la musique et des hurlements, des ordres aboyés, des chansons romantiques et des hurlements de détresse.
A le considérer de près, de loin, de côté, l’art de Kiefer renvoie à celui des simples, des brutes, il en appelle aux artistes primaires, primitifs, brutalistes, brutaux : à des artistes comme Dubuffet et à ses recherches sur la matière, sur l’émergence spontanée de l’art venant des tréfonds de la bête humaine, arraché aux profondeurs géologiques, exhumé des fractures du sol, volé aux tombes réduites en boue ou en poussière. La matière semble dicter ses lois à bon nombre d’œuvres dont la construction renvoie aux texturologie du théoricien de l’art brut. Mais aussi, ce goût de la matière, renvoie à … Van Gogh, on s’en expliquera plus longuement dans la « nature des choses », et à sa pâte si lourde.
Mais la réalité de sa peinture est bien loin de l’univers des « simples ». L’art selon Kiefer est à l’opposé même, au-delà des fausses parentés, des idées de Dubuffet!
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