La perspective chez Kieffer: notes

 

Marc Lathuilière avait réagi à quelques lignes sur la perspective dans les œuvres de Kieffer. Voir les notes écrites sur ce sujet en suivant ce lien.

 

J’écrivais : …“Elle contraint des lignes parallèles à se rejoindre non pas à l’infini comme une certaine géométrie l’annonce mais dans notre univers à nous, dans la finitude de notre regard, dans notre temps, limité et incertain, quand bien même la jonction finale de ces lignes ne se réaliserait qu’à la distance imaginaire d’une ligne imaginaire, celle de l’horizon”.

 

Marc m’interrogeait : « Pour vous, y a –t-il une différence de sens importante entre la perspective purement géométrique, fuite vers un point perceptible, et celle que vous lui opposez ? Est-ce un point important dans la perspective chez Kiefer ? »

 

C’est peut-être difficilement compréhensible parce que je n’ai pas été assez clair ! Tout d’abord, un mot est en trop, « l’annonce mais dans notre univers à nous », il faut lire « l’annonce dans notre univers à nous »

 

Quand on passe en revue l’œuvre de Kieffer, on ne peut qu’être frappé par la permanence des lignes « perspectives ». On en trouve partout, y compris dans les forêts.

 

Les lignes dites de « perspectives » sont une invention de la Renaissance. Sur le plan des principes, elles posent la présence du monde à lui-même, c’est-à-dire ancrent le monde dans le temps du monde et non pas dans le temps de dieu. La perspective à la fois pose ce principe de la présence au monde et son mode d’édiction. La perspective n’est pas seulement cette technique par laquelle « plus on est loin, plus on est petit » dans un rapport de nature géométrique. L’éloignement ne crée par la réduction de taille des objets et des personnes dans le monde au hasard : il le fait selon des lois d’optique et de géométrie (sachant justement que les premiers à s’intéresser à la réalité de la vue, seront des géomètres).

 

Mais dans le même temps, l’invention de la perspective, se fonde sur une contradiction de la pensée : la perspective est l’instrument de l’inscription de l’homme dans le monde d’ici et non plus dans le monde de/des Dieu/x. Il pose que les rapports entre la représentation des hommes et des choses suivent des lois qui n’ont rien de religieuses et que les techniques habituelles de représentation de ces rapports fondées sur des données religieuses, proximité de dieu et de ses saints, proximité du miracle de la Trinité etc ancrent l’homme dans un ailleurs que la perspective va réduire puis remplacer.

 

La perspective dans cet esprit est un des instruments de la réinvention de l’Homme. Mais elle est aussi quelque chose par où s’exprime la contradiction de l’Homme. Se veut-il humain, la perspective lui fournit les moyens de se représenter dans le monde et le déroulement de son temps ? Se veut-il Etre, alors, la perspective met l’homme en face de son défi essentiel puisque par construction la perspective réintroduit l’infini dans l’univers « humain, trop humain ».

 

Les lignes de la perspective ne se rencontreront qu’à l’infini. Pour ruser avec cette donnée qui n’est que le parent de la fameuse formule, « deux droites parallèles ne se rencontrent pas, sauf à l’infini », on multipliera les façons de faire de la perspective. Ou bien on coupera les perspectives, on leur imposera des murs, des montagnes, des foules pour que les lignes ne se déploient pas trop loin. Les perspectives qui sont « les lois » de la nouvelle représentation, sont plus « douteuses » quant à leur vérité que la ligne d’horizon. Celle-ci n’est qu’une construction des sens et n’a pas d’autre sens que de l’organiser. Elle n’a pas d’existence ni mathématique ni intellectuelle. C’est une pure ligne imaginaire, alors que les lignes de la perspective permettent de présenter le réel et même de l’anticiper.

 

Et Kieffer dans tout ça ? Chez lui, la perspective est un acteur et non un principe : elle participe de l’émotion issue de l’œuvre. Les sillons qui partent vers l’infini, sont lourds, pesants, sombres. La perspective qu’ils font émerger est celle d’un monde qui ne sait pas où l’homme s’arrête. On sent que, dans les champs structurés par les sillons, une absurdité est en passe de le submerger. Jusqu’à quel infini les sillons vont-ils continuer de dérouler leur parallélisme transformé en perspective et se conformer aux lois de la représentation de la Renaissance ?  Peut-on imaginer que, parallèles, les sillons des champs kiefferiens vont se croiser un jour dans un monde qui ne sera pas la nôtre, qui ne l’est pas du tout sur un simple aspect conceptuel. Qu’est-ce qu’un champ de blé qui va jusqu’à l’infini ? Est-il même concevable que l’homme s’inscrive sereinement dans ces fuites vers l’infini sans penser à un seul moment qu’il est un « par-delà-au-delà », un « Beyond » ou un « Jenseits ».

 

La perspective joue donc un rôle d’acteur dans l’œuvre de Kieffer. Elle n’est plus seulement l’instrument d’inscription et d’édiction de l’homme dans son monde d’humain, elle est ce messager qui vient dire que le monde n’est pas fini et que la prétention de l’homme à s’en saisir, au nom de cette même édiction doit être questionnée. C’est pour cette raison qu’elle est un acteur : elle dit à l’homme qu’il ne sait pas ce qu’est l’infini et qu’il ne se reconnait pas dans la finitude du monde.

 

La perspective est aussi un acteur sombre et maléfique : les rails sont les parents des sillons. On sait bien que les rails ne vont pas se rencontrer, pas davantage que les sillons. On sait bien que les rails ne sont pas obliques comme les sillons, encore moins que les sillons, car, sur les rails, se meuvent des trains qui imposent un parfait parallélisme sans limitation de temps, alors même que la perspective s’en délivre. De même enfin, ne peut-on pas concevoir de champs dont les dimensions seraient infinies, dans l’attente de leur rencontre en un point imaginaire sur la ligne d’horizon. Les rails conduisent vers des lieux, ils ne se meuvent pas dans un monde de déroulement éternel parce qu’infini. Les rails plus encore que les sillons vont quelque part.

 

Comment parvient-on à interrompre ce mouvement obsédant de la fuite des lignes parallèles vers l’infini ? Dachau, Auschwitz, ne sont-ils pas ces lieux de l’infini qui font se rejoindre les lignes en perspectives ? D’où ces œuvres qui montrent des rails qui convergent vers les lieux où l’infini est nié, des lieux qui achèvent leur course à coup de camps de concentration. Car comme les courses des sillons s’interrompent aussi dans les lourdeurs de brumes et de nuages qui font murs et murailles et interdisent à l’œil d’aller jusqu’au bout, les courses des rails s’achèvent nécessairement en quelque lieu même si ces lieux sont la négation de l’humain.

 

A l’opposé, si on relève les rails et les sillons, si on les dresse, s’ils se propulsent vers les hauteurs, vers le ciel : les lignes perspectives renoncent à leur ambition de l’édiction de l’homme humain et de la nature qui va avec lui. Elles créent les échelles qui permettent à l’esprit d’abandonner justement ce trop « humain » qui s’achève en rien d’humain.

 

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