2 mars 2012
Reçu le 10 février: Gilles Naudin Galerie, GNG, 3 rue Visconti, Paris dans le VI éme arrondissement, présente Anouk Grinberg. Vous êtes invités au vernissage, le 21 février.
Sur l’invitation, une image pas très gaie de quelque chose qui est en train de boulotter quelque chose d’autre. Ou de quelqu’un en train d’essayer de sortir de la gueule de quelqu’un d’autre. Pas très coloré. Du marron tendance violet, du gris tendance noir. Une sorte de bec d’oiseau grand ouvert. Un personnage ou un animal, un crustacé, je ne sais pas, qui s’extirpe. Pas gai du tout, en fait. Le genre de non-peintures, de non-expressions que j’aime. Je n’irai pas au vernissage. Si je ne suis pas sûr de rencontrer des amis, je ne vais pas au vernissage. Trop de monde. Statique. Pas possible de voir quelque chose. Inutile. J’irai un peu plus tard.
Un peu plus tard, je suis venu. Il est vrai que j’aime bien la galerie GNG et sa ligne « éditoriale ». Celle-ci est claire: artistes proches des peintures allemandes et espagnoles auxquels je suis sensible, qui interrogent. Rien de décoratif vraiment. Gilles Naudin expose des questionneurs. Et parmi eux, cette fois-ci, Anouk Grinberg.
« Vous connaissez Anouk Grinberg, bien sûr ? ». Non, je ne connais pas Anouk Grinberg. « Le Cinéma, de grands et beaux rôles…? ». Non, je ne me souviens pas. Vraiment. Je vous l’assure. Cela n’a pas beaucoup d’importance, en fait. Dans cette galerie, à cet instant, on ne parle pas de cinéma. Ce ne sont pas des photos tirées d’une mise en scène ou d’un film. Ici, on parle de graphisme, de traits à la craie ou à l’encre, de dessins rehaussés d’aquarelles ou de taches, un peu d’huile, de la dentelle collée sur des traces de craie. Rien à voir avec le cinéma, le théâtre.
Rien à voir, sauf avec la vie. Dite, racontée, criée. Pas de titres, donc pas commode pour commenter. Des "sans titres" où ne se trouve rien d'autre que le désir de dire quelque chose d’intime, de frêle et de cassé aussi. Je suis resté avec les graffitis, les personnages informulés, les monstres qui dévorent mais qui ne sont jamais montrés. Je suis entré dans ces personnages suggérés. J’ai lu les dessins où la famille est rassemblée. Le tribunal aussi.
Les taches se font sentiments violents. Les graphes dupliquent des figures cerclées, les dissocient, semblent les séparer pour énoncer les fissures et les ruptures. Coupé en deux? l’âme ou l’esprit ? Sans espoir? Unité à jamais rompue ? Ou, au lieu d’une coupure, une coexistence. Deux éléments, rapportés l’un à l’autre. Appariés. Gris et noir, charbonneux aussi, tous les deux.
« Anouk Grinberg, dessine depuis cinq ans. C’est venu ainsi. Non, elle n’a pas été formée par un maître. Pas d’école en tout cas ». Pourtant, cette maturité… Le sentiment donné que ce qui est dessiné, crayonné, ce qui est noir d’un seul tenant ou jeté comme d’une éponge gorgée de sombre. « Je vous assure, c’est ainsi. C’est venu... Si fort et, maintenant, cet effort, sans cesse, c’est nécessaire. Il le faut… » Et d’ajouter « quand les sentiments sont forts et vrais, vous savez… ».
Je ne crois pas aux dons naturels. Les sentiments forts et vrais, des millions de gens en ont. La joie, la peine, la vie, la mort. Des centaines de milliers de gens pour les ressentir. Si peu pour créer et réinventer cette joie, cette peine, et la vie, et la mort. Ceux-là, ceux qui savent faire venir à la surface de la peau, de l'oeil ou de l'esprit, des sentiments jamais vus, dits ou imaginés, je suis sûr qu’ils ont longuement échangé avec des prédécesseurs. Avec qui Anouk Grinberg a-t-elle discuté, disputé ? Où a-t-elle pris cette façon de poser des questions ? Comment se fait-il qu’elles soient si clairement présentées. Si directement.
Il se passe que, quelques heures plus tard, les questions sont bien restées accrochées dans mon esprit.
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