Une fois n'est pas coutume: je cesse la plume et la place à François-Roger. Erudit, passionné d'art de toutes époques et de toutes formes, François-Roger a laissé dans Facebook un magnifique commentaire sur l'œuvre d'Albrecht Altdorfer, artiste de l'Allemagne renaissante.
Contemporain de Dürer, très influencé par Mantegna, Altdorfer appartient à la fin du Quattrocento et au début du siècle suivant.
Bien sûr, je ne bouderai pas mon plaisir de voir enfin Altdorfer honoré -presque- comme il convient par le plus prestigieux musée français. Il faut remonter à 1984 et à une modeste exposition au très dynamique Centre culturel du Marais, hélas disparu, pour avoir eu ici une présentation de l'œuvre quasi-absente de France, en tout cas les tableaux, de cet immense artiste. Encore s'agissait-il essentiellement de reproductions. On ne peut que se réjouir, en dépit de quelques imperfections, de voir mis à la portée du public français le travail de ce peintre si original. Il faut espérer que l'exposition saura attirer un public dont on ne peut guère dire qu'il soit gavé de l'art germanique de la Renaissance (alors qu'on est souvent surpris de voir à quel point Paris a joué pendant longtemps un rôle de plaque tournante d'oeuvres de cette période et de cette école, dont nos musées sont pourtant plutôt chiches en exemple.
Mais :
1- Le nombre très restreint de tableaux, notamment de grand format, fausse l'idée de la créativité d'Altdorfer qui semble n'avoir été qu'un peintre de petits tableaux de dévotion domestique comme tant d'autres. Ce faisant un poids démesuré est donné à son travail graphique, certes important et de qualité, mais qui n'offre qu'une facette, et pas la plus originale, de l'œuvre d'Altdorfer. Certes on ne pouvait s'attendre à voir exposée cette œuvre-phare, ce tableau-univers, où cet artiste visionnaire a su représenter à la fois l'espace et le temps que constitue la célèbre Bataille d'Alexandre de l'Ancienne Pinacothèque. Mais on aurait pu mieux la mettre en valeur par une reproduction à l'échelle et une place centrale dans l'exposition plutôt que par une présentation vidéo un peu furtive à la fin, où l'on fait se succéder des détails alors que c'est l'ensemble de ce tableau monumental qui en fait la valeur et le sublime.
A part le Christ de la National Gallery (qui peut se vanter de posséder deux tableaux du maître quand nous aucun...), la quasi-totalité des quelques tableaux est de petite dimension. Pourquoi pas le chatoyant Suzanne au bain de Munich, dont la présence du dessin préparatoire fait d'autant plus regretter l'absence ? pourquoi pas l'énigmatique et pervers Lot et ses filles de Vienne ? On comprend les difficultés et le coût s'attachant au prêt d'œuvres si fragiles, mais en l'occurrence, on fait l'impasse sur des pans entiers de la création d'Altdorfer, et on en offre ce faisant une vue assez biaisée et réductrice.
2- Réductrice également l'instance fort répétitive voire exaspérante sur le recours d'Altdorfer aux modèles italiens notamment dans son œuvre graphique. D'abord ceci ne lui est pas propre et ne constitue pas une caractéristique spécifique de son travail. Ensuite, c'est parfois assez peu convaincant, car ce qui est remarquable est plutôt la manière dont il s'affranchit de ces modèles. On donne l'impression d'avoir besoin de se rassurer en cherchant à tout prix, et parfois contre l'évidence du regard, à raccrocher cet artiste unique à un "mainstream" qui nous serait plus familier, comme si la bizarrerie de l'art d'Altdorfer avait de quoi nous inquiéter...On passe ainsi à côté de la nature visionnaire et fantastique de cet oeuvre, pourtant si manifeste, que ce soit par les motifs et les thèmes (le Saint-Georges, les sorcières, les ruines, les architectures improbables, les paysages rêvés....) que par leur traitement, qui fait d'Altdorfer un incontestable précurseur de ces deux grands courants, si liés, de la peinture germanique : le romantisme et l'expressionnisme. Exit sans autre forme de procès la notion d'Ecole du Danube, peut-être un peu artificielle, mais qui a quand même été déterminante en histoire de l'art pendant près d'un siècle : peut-on être aussi catégorique ?
3- Prédominance de l'œuvre graphique et faible quantité de tableaux font que le génie d'Altdorfer comme coloriste est complétement occulté alors qu'il m'en semble constituer un des plus éminents attributs. Certes il aurait fallu tout le polyptique de Saint Florian, aujourd'hui dispersé, ou celui de Saint Sebastien pour pouvoir en juger à loisir et c'était sans doute impossible. Sans tout montrer, la grande rétrospective de Francfort et Vienne de 2014-2015 donnait sous ce rapport une substance plus étoffée de la créativité du peintre de Ratisbonne.
Mais là aussi pourquoi ne pas recourir à des reproductions qui auraient au moins le mérite dans une exposition qui se veut exhaustive de fournir une image plus complète du travail de l'artiste ? Cela aurait fait peut-être souffrir les puristes mais évité de faire une présentation trop restrictive et biaisée de l'œuvre de cet immense artiste.
4- Pas de malentendus cependant, ces bémols n'ont pour objet que d'inciter à en savoir plus : en aucun cas, ils ne sauraient servir de prétexte à ne pas visiter cette exposition, qui , malgré ces aspects d'occasion un peu manquée, constitue quand même une heureuse initiative et permettra à beaucoup de faire une belle découverte, d'autant qu'il n'y aura guère d'occasion nouvelle avant un terme fort lointain….
François-Roger Cazala,
le 13 octobre 2020
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