C'était d'abord une promenade, puis, comme toujours, des photographies, en traînant derrière un tout petit groupe. Les photos prises, courir pour rattraper le groupe. Donc, finalement pour ne retarder personne, ne pas s'attarder. Prendre les photos sans réfléchir. Se livrer à la nature. L'appareil saurait bien y trouver quelque chose à filmer. Les machines de nos jours ont cette automaticité, cette spontanéité qui nous manquait autrefois. Il n'est plus utile de s'arrêter, choisir, cadrer, calculer, rechercher le soleil, les ombres, les couleurs, de ne pas confondre le bleu du ciel quand il est bleu avec le bleu de la mer, des rivières et des flaques d'eau, l'appareil est là pour penser l'image, le cadrage, les nuances, les contrastes. Il suffit de lui dicter quelques instructions générales et de laisser aller.
Je l'ai donc laissé aller.
Je livre ce qu'il en a fait.
La nature, telle qu'elle apparait lorsqu'un outil est laissé à lui-même. On me dira qu'il a pris n'importe quoi. Que la Bretagne ce n'est pas ça. Que la mer, ce n'est pas ça non plus. Que la nature en Bretagne, que le spectacle de la mer en Bretagne, les côtes et leurs dentelures, la mer et ses couleurs qui changent, les frèles esquifs et les petites maisons de pêcheurs, ne ressemblent en rien à ce que l'appareil a saisi. Ne s'était-il pas trompé d'objectif ou me suis-je trompé en le vidant de ses images. J'ai interverti sûrement une visite à un pensionnat dans le Nord avec la promenade le long de la côte bretonne.
Je sais tout cela.
Je sais les reproches qu'on pourrait me faire. Je n'aurais peut-être pas dû laisser aller, ni laisser faire. J'aurais du vérifier ce qui me paraissait l'attirer au delà du raisonnable. En d'autres termes, j'aurais dû lui dire de suivre son mode d'emploi et de ne pas prendre d'autres initiatives que celles qu'on y trouve décrites et permises.
Il est trop tard. Les photos sont prises. Je les livre telles qu'elles m'ont été livrées. Avec le titre que l'appareil a choisi lui-même.
Maintenant que les photos sont exposées, à la portée de tous, à la vue probablement terrorisée de quelques passionnés de Bretagne ou de photos, je m'interroge sur cette réalité que l'appareil a saisie.
S'agit-il de sa réalité d'appareil? N'est-il pas allé chercher ce qui lui ressemble? Ou ce qu'il redoute en tant qu'appareil. La peur du rebut. L'angoisse du boîtier vidé de toutes ses forces vitales. Le sentiment horrifique que la fin n'est peut-être pas si lointaine que ça qu'elle se nomme obsolescence technique ou défaillance du logiciel de traitement des images.
Ou bien, il aurait filmé ce qu'il aime par dessus tout: un monde d'objets utiles et utilisés, parfois usés. C'est de fait, un monde dur et austère qui est venu dans ces images. Le vrai monde d'un outil. Celui-ci était en vacances en Bretagne. Il a photographié ses homologues outils. Outils de la mer. Bateaux outils. Vieilles carcasses de camionnettes transformées en outils. La mer qui apparaît ici et là pour être utile et pas pour qu'on profite de ses reflets et de ses couleurs volatiles et fugaces. Il aurait mis en image le monde tel qu'il est beau et bourré de sens du point de vue d'un appareil photo enfin libéré de ses obligations professionnelles habituelles.
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