Sunmi KIM
‘Dessiner la relation incorporant une forme et une couleur et l’installer dans un espace, irradié par la lumière du temps, pour inviter les hommes - ‘moi et autrui - à une introspection, c’est la voie qui mène au véritable échange - essence même de la vie humaine, aujourd’hui si souvent mise en péril. La métaphore de Sunmi Kim s’écrit ainsi, au travers de son prodigieux langage multiple.
Au bout des doigts de l’artiste, pour qui l’art est une ‘conscience élargie du monde’, se matérialise une ‘réserve d’énergies plastiquement vibrantes’ et nous, les spectateurs, sommes conduits à un ‘face à face constructeur’, qui nous interpelle à nous interroger sur notre propre identité pour mieux nous ouvrir ainsi aux autres, en établissant des liens avec eux.
Visuel 1 : Sésame Ouvre moi! : On n’est jamais seule au monde ! 2015
Définir l’œuvre de Sunmi Kim n’est pas entreprise aisée, parce que, tout d’abord, sa pratique embrasse quasi tous les registres de l’univers artistique, ensuite, parce qu’une lecture fine de l’œuvre s’impose pour déchiffrer les différents domaines mis en articulation dans une même création, et enfin, parce qu’elle marie dans une infinie liberté les courants artistiques de l’Occident, où elle réside et travaille, à ceux de l’Orient, où elle est née et a grandi.
Visuel 2 : Abri dans la tempête : refuge intérieur - Installation vidéo, 2015
Poudre de marbre et pigments sur le toile et fils élastiques blancs, (Dimensions variables)
En collaboration artistique & interprétation : Sia Kim, Prise de vue & montage : Brahim Sahraoui, Arrangement sonore : Jean-Jacques do Santo
Guidée par une recherche axée sur le questionnement de fond : « comment faire résonner l’invisible au sein du visible ? », Sunmi Kim traduit les thèmes qui la touchent au plus profond - relation du soi et avec l’autre, dérive et dysfonctionnement de notre société, rapport avec l’espace, naviguant entre peinture, dessin, sculpture, installation, performance …, sans pour autant tomber dans le piège d’une production hétéroclite ou techniquement aveuglante. Tous ces domaines de création ne sont pour elle que des méthodes pour ses aboutissements artistiques.
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Visuel 3 : La porte des Merveilles 2, 2010 Visuel 4 : Refuge intérieur I, 2011
Les œuvres de Sunmi Kim, quelle que soit leur aspect ou leur dimension singulière, dialoguent entre elles et constituent un tout cohérent. Le fil, qui suggère la ‘notion de lien’, est aussi un excellent outil plastique, d’une part pour exprimer différentes facettes de la relation des individus entre eux ou avec leur environnement respectif - union, espoir, conflit, fragilité, séparation… et, d’autre part pour créer des formes, modifier des formes existantes, ou encore conférer, grâce aux fils intégrés dans la toile ou le dessin, à une œuvre, sensée être « plane », des perspectives certaines, offrant densité et profondeur.
Dans le silence du visible, les œuvres de Sunmi Kim, éminemment plastiques, qu’elles soient accrochées ou posées dans l’espace, sont profondément habitées par la question existentielle ou sociétale de l’être-ensemble, ayant pour vocation de restaurer la relation, de renouer le contact et de participer à la re-création du cadre de vie d’un monde meilleur.
Visuel 7 :
Coexistances chancellantes 2,
2013
Cette œuvre visuelle ‘alliant peinture et installation’ est aussi un espace de méditation, une fenêtre vers l’extérieur.
En observant les hommes et les femmes qu’elle croise tous les jours dans les lieux publics, par exemple, ici, sur un quai de gare, Sunmi Kim esquisse, en arrière-plan, les réalités cachées du paysage quotidien de la société contemporaine : l’indifférence, le refus de communication - sources majeures des problèmes sociaux et, tente de montrer, par les fils élastiques qui relient les passants, qu’il existe, malgré l’absence visible de relation, des liens qui les unissent.
Ces deux tableaux, qui représentent des entités spatio-temporelles distinctes, reliés par des fils extensibles, fusionnent dans un univers de coexistence ; le travail de l’artiste débute par des toiles en deux dimensions, mais qui, une fois réunies et repositionnées dans l’espace grâce aux jeux de fils, créent ensemble un effet stéréoscopique, dans un montage d’installation en trois dimensions. L’œuvre est ainsi placée dans une dimension entre deux et trois, que l’artiste appelle « deux dimensions et demie ».
L’œuvre de Sunmi Kim, en particulier ses tableaux ‘blancs’, épurés mais dont la composition riche, offre la possibilité de regards multiples, entre en résonnance, à la fois, avec l’art conceptuel, répandu en Occident et, avec le Dansekwha - mouvement abstrait monochrome coréen.
Visuel 8 : Entre deux : dimensions relatives, 2015
L’artiste invite le spectateur à participer directement à la construction de son œuvre, en lui permettant de déplacer à sa guise les fils élastiques à la fois dans le cadre et hors cadre, sur le mur qui l’entoure. L’intimité du spectateur avec l’œuvre est ici autorisée grâce à la structure à deux dimensions et demie. Le spectateur n’est plus un simple regardeur ; la création se démocratise. L’œuvre, à première vue, si simple et si ordinaire, amène le spectateur à examiner l’environnement immédiat de l’œuvre plus qu’elle-même et à s’examiner lui-même.
Ces tableaux à la surface quasi-lisse et « blanche » sont en fait le résultat d’un long travail, patiemment mené comme une méditation. Le contraste entre le plat et le relief se dévoile au travers des jeux de l’ombre et de la lumière qui se meuvent et vibrent, alors qu’on se déplace autour de la toile grâce à des lignes géométriques qui la traverse.
Visuel 8 : Entre deux : dimensions relatives, 2015
Pour produire un tableau, Sunmi Kim fabrique elle-même les châssis en bois, puis elle y applique des sables et des minéraux. Elle les superpose du plus brut au plus doux, couche après couche, y incorporant des fils à chaque strate, jusqu'à une quarantaine de niveaux microscopiques. Par cette superposition, le motif peint est absorbé et imprégné en profondeur entre les différentes couches. Les fils qu’elle incruste dans la toile sont disposés de manière à révéler ou indiquer une certaine topographie de l’espace et à donner ainsi à la surface monochrome une dimension supplémentaire.
« Il s’agit en fait d’un travail sur soi, intérieur ; en faisant “cela” ma pensée se libère […] Même si c’est invisible, je consacre 80 % de mon énergie à préparer mes œuvres, avant même de commencer à les peindre. Lors de cette phase de concentration méditative, je me vide de mes envies et de mes désirs, avant de placer des images ou de raconter une histoire. Cela me permet d’atteindre l’essentiel. »
Par les liens soigneusement tissés entre diverses disciplines, par la fusion inattendue entre sa culture d’accueil et celle d’origine qui imprègne ses œuvres, Sunmi Kim ouvre sans cesse de nouvelles pistes de recherche et des visions esthétiques à explorer.
Depuis ses débuts, Sunmi Kim, fortement ancrée dans la philosophie de la rencontre et l’art de vivre ensemble et, restant toujours en éveil par le renouvellement constant de ses démarches et propositions, ne se laisse jamais prendre au piège du métier qui consiste à donner l’effet visuel par de simples déclinaisons de la forme, de la couleur ou du matériau.
Elle ne se définit pas par ses positions, mais se construit par ses trajectoires d’artiste. Une de mes dernières lectures faites sur l’Art (Gilles Deleuze et Félix Guattari, 1991) semble, à mon sens, décrire parfaitement Sunmi Kim, une artiste-plasticienne au sens propre du terme :
Comme la philosophie et la science, l’art révèle « la réalité de la pensée », trace un « plan de composition » portant des « composés de sensations » et « crée du fini qui redonne l’infini », en luttant avec le chaos, le hasard du monde, sous l’action des figures esthétiques. L’artiste, le vrai, efface, nettoie des « pré-textes », les clichés qui préexistent à tout acte de création, pour donner à voir les sensations-visions par son propre langage. Il produit, se lançant dans une affaire universelle et non pas reproduisant fidèlement ses vécus personnels, l’œuvre, bloc de percepts et d’affects, indépendante même de son créateur, et qui tient toute seule et existe en soi. |
Jeongmin Domissy-Lee
Docteur en Linguistique, Conseillère en art
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