Mélinez ferma la
porte du studio-atelier qu’il partageait avec Martenchon. Il plia son parapluie et le rangea. Martenchon peignait comme il le faisait à certains moments de
calme et de sérénité.
Mélinez s’approcha. Martenchon était sur le point d’achever un tableau d’assez grande taille représentant une manifestation qui s'écoulait sur le
boulevard d’une grande ville. Sur le front de la manifestation, l’artiste avait figuré des individus dont les visages exprimaient toutes les émotions
« manifestationnelles » depuis la fureur jusqu’au mépris en passant par les exhortations à se battre et certaines impassibilités de chefs déjà
chevronnés.
On ne voyait pas l’ennemi. Mais, le point de vue de l’artiste étant frontal, l’ennemi était soit derrière soit de part et d’autre.
Mélinez fit remarquer que les banderoles ne portaient pas
d’inscriptions d’un genre un peu général « du pain pour les travailleurs », « à bas le gouvernement », « les généraux à la
lanterne » ni d’inscriptions personnalisées « à bas Macron », « Blanquer t’es une blanquette »
etc.
Martenchon, amusé, posa pinceau et palette.
« Si tu regardes attentivement, tu verras qu’on ne sait pas bien qui ils sont et de quelle époque ! »
Mélinez opina et faillit commencer une question quand il fut interrompu par son ami « Où est-ce à ton avis ? »
Mélinez hésita « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que
c’est à Paris ».
Martenchon l’interrompit d’un « pourquoi »
comminatoire.
Mélinez « C’est que, les manifestations, à Paris, c’est fréquent.
Mais celle-là, ce n’est pas clair puisqu’il n’y a rien sur les banderoles »
Martenchon éclata de rire « C’est évidemment à Paris, mais il y a
tant de manifestations à Paris que j’ai préféré laisser les banderoles en blanc, comme ça, le tableau sera toujours d’actualité »
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