Les tribulations de Mélinez et de Martenchon, avril 2023

 

On ne peut pas lancer des débats dans les manifestations

L'âge de la retraite importe peu

 Et si on pouvait être riche et endetté….

 

 

 

On ne peut pas lancer des débats dans les manifestations

 

Mélinez était revenu exténué de son équipée nocturne. Il sentait le roussi, la fumée et aussi un peu la merde ou le sale. Son apparence bien mise dans la vie quotidienne était ravagée. Une déchirure avait endommagé une chaussette et ses chaussures avaient perdu leur lustre habituel : clairement, il n’avait pas mis les pieds dans des parterres de roses mais plutôt dans des écoulements de purin ou d’autres choses liquides peu ragoûtantes.

Mélinez, sous l’œil interloqué de son ami, Martenchon, s’affala dans un fauteuil au risque de le rendre candidat à un passage chez le teinturier.
Il s’aperçut que le regard de Martenchon se faisait de plus en plus pesant signe que son auteur, s’impatientait, voire même réprouvait la situation.
 
Martenchon tendu: Je ne te demande pas d’où tu viens.
 
Mélinez nerveux : Et tu auras raison, ce n’est pas avouable de la part d’une personne raisonnable.
 
Martenchon exaspéré : Mais quand même tu vas me le dire, ta dégaine m’inquiète beaucoup et plutôt que d’appeler tout de suite Police-Secours, je te serais reconnaissant de m’expliquer cette débauche de salissures et d’odeurs douteuses.

Mélinez hautain : Je suis allé manifester contre la réforme des retraites.
 
Martenchon éberlué: Mais c’est insensé, tu es à la retraite depuis près de 10 années !
 
Mélinez : On ne se bat pas toujours pour défendre ses propres intérêts.
 
Martenchon : Tu t’es battu ?
 
Mélinez : De fait, je me suis battu : une divergence d’opinion qui n’a pas plu et qui a fourni les ferments d’une bataille presque rangée si ce n’est que j’étais, comme d’habitude, seul contre tous.
 
Martenchon : Cela t’ennuirait….
 
Mélinez : De te dire de quoi il s’agissait ? Pas du tout, je suis sûr que tu comprendras et, même je suis convaincu que tu acquiesceras.
Mélinez s’octroya un instant de réflexion et poursuivit : tu sais que l’idée qui suscite en ce moment une polémique assez vive est celle de repousser l’âge de la retraite.
Martenchon hocha la tête, opinant.
 
Mélinez, continua : J’étais au milieu de quelques personnes qui, comme moi, ne peuvent pas courir très vite, genre 60 ans et plus. A un moment, où nous reprenions notre souffle, j’ai glissé : c’est idiot de manifester contre la retraite à 64 ans quand on est des vieux. Là, j’ai reçu un coup de canne sur la tête et une femme a voulu me griffer et a réussi à abimer mes chaussettes.
Je me suis dégagé et j’ai couru vers une bande de jeunes qui avaient l’air plus joviaux. J’ai alors lâché, pour faire une blague et me faire des amis, qu’il fallait en tirer une énorme couche pour faire le clown contre la réforme des retraites quand dans un demi-siècle on aura fait table rase de tout et particulièrement des retraites. Là, j’ai reçu un coup de batte de baseball sur l’épaule et deux ou trois jeunes ont voulu me jeter dans une poubelle.
Alors, j’ai foncé pour trouver refuge au milieu de gens qui m’avaient l’air de se tenir, de ne chanter que quand on le leur demandait et de crier des choses faciles à retenir. Quand même, parmi eux, le rouge étant partout, je leur ai demandé s’ils s’étaient aperçu que Staline était mort depuis près des trois-quarts d’un siècle. J’aurais mieux fait de me taire. D’un coup, ils avaient perdu l’air affable qu’ils affichaient au moment où je les avais rejoints. Je te passe la suite, sauf ce moment ahurissant, quand, la police a voulu me saisir parce que je courais : j’ai crié "vive la retraite à 64 ans, vive la police qui nous protège". J’ai reçu en retour un coup de matraque et une injonction à cesser de me « foutre de leurs gueules, salaud d’infiltré. »

Martenchon, qui avait écouté silencieusement, glissa doucement : J’espère que tu ne leur a pas parlé de leur nombre.

Mélinez, véhément : Mais bien sûr que si, je leur ai même dit pour les convaincre que ce qu’ils faisaient n’avait pas de sens, que le syndicalisme en France était d’autant plus violent qu’il ne recueillait pas beaucoup d’adhésions. Pire, en France, le taux d’adhésion aux syndicats est le plus bas d’Europe. Même le Monténégro fait mieux.

Martenchon, sidéré : Tu leur as dit ça ? Alors qu’ils étaient autour de toi ? Tu es devenu suicidaire ?

Mélinez un peu penaud : J’ai failli leur dire qu’il y avait de moins en moins de travailleurs syndiqués. Mais là, je suis parti en courant. J’ai senti que je touchais un point sensible.
 

 

 

L'âge de la retraite importe peu 


 


Martenchon, était très guilleret ce jour-là rentrant de sa promenade quotidienne. En chantonnant, il se prépara un verre de whisky bien tassé, y déposa précautionneusement deux glaçons qui tintèrent joyeusement contre le cristal. Il leva son verre et contempla gaiement son liquide préféré brillant dans le soleil un peu pâli de cette fin de journée.

Ces préliminaires achevés, Il prit place dans son fauteuil et savoura un premier « sip » : le bonheur absolu n’était pas loin.

Mélinez, revenu plus tôt, contemplait son ami avec appréhension ; il avait l’habitude de ces passages euphoriques qui plongeaient son ami Martenchon dans des humeurs heureuses. Il savait aussi que ce n’étaient que de brefs moments arrachés à un tempérament peu porté sur l’abandon de soi et les douceurs des méditations euphorisantes.

Il risqua un « tu as gagné au loto ? » pas très malin mais qui n’était pas non plus agressif.

« Et voilà, Mélinez, répondit 
Martenchon en souriant, ton mauvais esprit et ton penchant pour le ras des pâquerettes viennent ternir un moment de joie pure ».

Mélinez, souriant, poursuivi sur le même registre : « La jalousie s’exprime par ma bouche, tu t’en rends compte. En d’autres termes, je suis impatient de participer à cette joie ! »

Martenchon décida de jouer « open » :  « Je vais te dire la bonne nouvelle qui me met de si bonne humeur. On vient de récupérer le temps libre que la réforme des retraites vient de nous retirer. La nouvelle était bien cachée. Personne ne voulait trop la voir sur le devant de la scène. En un mot, la durée de la vie des Français vient encore d’augmenter. « Le nombre de centenaires vivant en France a connu une forte hausse depuis trois ans : il a augmenté de 15% en moyenne par an entre 2020 et 2023 » nous a déclaré l’INSEE. Cette bonne nouvelle est une vraie nouvelle ».

Mélinez qui ne voulait pas montrer que cette nouvelle le mettait en joie, essaya d’objecter. « C’est bel et bon, mais pourtant, cela ne veut pas dire que pour l’ensemble des Français, la vie à 100 ans est pour demain ».

Martenchon avait préparé une réponse à cette objection qu’il attendait « plus de centenaires et aussi davantage d’années à vivre en moyenne. « En 2020, l’espérance de vie en France atteint 79,2 ans pour les hommes et 85,3 ans pour les femmes ». En 2030, on a calculé, au moins 2 ans de plus pour les uns et pour les autres. Repousser la retraite de deux ans ne fera pas de mal : c’est déjà compensé ! ». 

 

 

Les tribulations de Mélinez et de Martenchon

 Et si on pouvait être riche et endetté….

Sortant d’une de ces conférences qui fleurissent dans les moments inflationnistes et dépressionnaires, où les sachants assènent savamment que l’inflation « ce n’est pas bien », que les citoyens se sentent appauvris et que s’agissant de la France, le monde entier considère son endettement avec quelques signes d’incompréhension et d’inquiétude, nos deux amis, Mélinez et Martenchon, se dirigeaient vers leur colocation, l’air soucieux et la moue sceptique.

On leur avait clairement expliqué que nos concitoyens se sentaient malheureux et le clamaient haut et fort : on disait même que la population française était une des plus malheureuses de la terre, (c’est au moins ce qu’elle pensait), que son attitude hostile aux pouvoirs mêmes qu’elle élisait en était une triste manifestation et que la meilleure expression de la vérité de cette sinistrose se trouvait dans les plateaux-télé et leur mobilisation massive des esprits les plus forts au service de l’auto-détestation  française.

Les deux amis avaient quelque difficulté à absorber les doses de négativité qui leur avaient été infligées. Considérant la ville durant leur marche vers leur domicile, ils avaient eu du mal à y voir les manifestations topiques d’un mal français qui rongerait la société.


Martenchon se lança : « Peut-être nos concitoyens ont-ils du mal à accepter que notre beau pays soit aussi lourdement endetté, eux, qui font ce qu’ils peuvent pour suralimenter leurs livrets A ».
Mélinez encore sous le choc de la conférence retorqua aigrement : « Il n’y a pas de livret A pour les Etats » ce qui, au passage, n’avait aucun sens. Mais, quand on n’est pas prêt à dire quelque chose, on finit par dire n’importe quoi ! (Tout le monde n’est pas Wittgenstein)*
Martenchon en rajouta une couche : « Je ne comprends pas en vertu de quoi, l’endettement d’un pays serait une preuve d’incurie et d’incompétence. Je suis endetté et n’en suis pas honteux ».
Mélinez, sortant de ses brumes dépressives, compléta le propos : « Moi, aussi ! Tiens, si je faisais mon bilan, j’aurai des dettes au passif pour mon achat immobilier récent et à l’actif, le bien en question ! »
Martenchon se plût à compléter : « Si l’endettement national s’accompagne d’une amélioration de la santé de la population, c’est comme un investissement qu’il ne serait pas insane de financer par de la dette. Bien sûr, il y a des contre-exemples : Aux Etats-Unis, par exemple, l’endettement de l’Etat va de pair avec la diminution de la durée de la vie des Américains ».
Mélinez, sauta sur cette belle occasion « Et l’éducation, qui est chez nous gratuite et donc ouverte aux plus démunis ? Il n’y a de richesses que d’hommes disait-on **. Donc, je mets l’éducation à l’actif, ce qui équilibre une belle quantité de dettes.
Martenchon, s’enthousiasmait: « Pensons à la Défense nationale ? L’Allemagne a une armée sous-équipée et incompétente à force d’économies : elle n’a pas beaucoup de dettes mais, à l’actif, elle n’a pas d’équipement militaire digne de ce nom ».
Mélinez voulut conclure : "Avant de regretter l’endettement de notre bon pays dont le décompte est on ne peut plus aisé, il faudrait mettre en valeur les actifs dont toutes les dettes sont la contrepartie, ce qui est moins facile. Pourtant, on aurait alors un vrai moyen de comparaison entre pays. On découvrirait que les soi-disant pays « frugaux » équilibrent leur bilan au moyen d’économies sur les services fondamentaux à leurs citoyens avec pour conséquence des démographies désastreuses, un bilan sanitaire dramatique et la réduction de leur horizon sociétal.
Martenchon, approuva : En vérité, l’actif du bilan d’une Nation, ce qui est le plus essentiel, est certainement ce qui est le moins bien évalué.
 
*Ce dont on ne peut parler, il faut le taire, professait le célèbre logicien-épistémologue
** Bodin de Boismortier : célèbre économiste français vivant à l’époque de la Renaissance, pour lui : « il n’y a de richesse, ni force que d’hommes »


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