« Si vous n’êtes pas content, personne ne
vous retient ».
Martenchon paraissait à la fois rêveur et
perplexe. Sans se soucier de ce à quoi Mélinez pouvait être occupé, il l’interpella vivement, répétant cette phrase qu’il avait prononcée à haute voix :
« Si vous n’êtes pas content, personne ne vous retient ».
« Vois-tu, Mélinez, mon ami, pour moi cette phrase est le
summum de la désinvolture désagréable. Elle ne dit pas autre chose que « casse-toi pauvre C… ». On l’entend généralement dans des meetings qui
tournent mal ou des négociations qui n’en finissent pas. A un collaborateur qu’on a fortement envie de virer, on dit, « tout le monde est libre, vous
n’êtes pas obligé de rester » .
Mélinez qui ne voyait pas très bien où son ami voulait en venir acquiesça prudemment d’un « de fait, si on n’est pas content d’un restaurant,
d’une pièce de théâtre, d’une convention politique, que sais-je encore, dans un pays libre, rien n’oblige à les supporter jusqu’au bout. L’inverse serait
cruellement anti-démocratique ».
Certes! reprit Martenchon d’un air sombre, mais, imagine que tu
étendes le propos à une collectivité, un groupe ou un peuple ?
Mélinez, agacé, rétorqua qu’il ne voyait pas où tout ceci pouvait mener.
Martenchon s’essaya à une procédure un peu plus diplomatique : « Imagine, que le gouvernement français prenne des mesures qui ne plaisent pas
aux bretons, trouverais-tu normal qu’il close les discussions par un « si vous n’êtes pas contents, vous n’êtes pas obligés de rester »
.
Mélinez, amusé, lança : "Je ne vois pas où ils pourraient aller les bretons, ni où ils seraient bien accueillis…"
Martenchon gronda « Mais tu ne vois que ce serait une position de dingue ! Vous n’êtes pas obligé de rester ! Donc partez, quittez le
territoire national, allez-vous faire voir ailleurs ».
Mélinez ne riait plus.
Martenchon enfonça le clou : "Aujourd’hui, c’est une technique de gouvernement. On dit aux opposants qu’ils peuvent aller se faire voir ailleurs, dans
les pays européens par exemple, ou aux Etats-Unis… Les Talibans disent à leurs opposants, fichez-le camp si vous n’êtes pas contents. Le pouvoir vénézuélien dit la
même chose et invite ses adversaires politiques à fuir vers les pays périphériques par centaines de milliers. Etc.
Imagine que les Allemands aient dit ça aux
Français en 1940… et voilà nos concitoyens hostiles à la Grande-Allemagne qui s’enfuient là où c’est possible : en Angleterre. En France, il ne reste que
la moitié de la population… et donc de la place pour le conquérant.
Mélinez essaya : "Mais alors, il faudrait s’opposer à ces migrations quand des milliers, sinon des millions, de gens s’enfuient de leurs
pays pour trouver paix, douceur et tranquillité ailleurs".
Martenchon s’exclama : c’est bien la question que je me pose. Si ces gens fuient leur pays au nom de la liberté, pourquoi ne se battent-ils
pas chez eux pour la rétablir ? Pourquoi obtempèrent-ils si naturellement à l'injonction: "Si tu n'es pas content, tu les libre d'aller ailleurs
!".
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