Mélinez referma son
journal du matin. Comme emporté dans une méditation un peu lourde, son regard fixait le mur qui faisait face à son fauteuil préféré. A première vue, il donnait à
penser qu’il s’efforçait d’en décrypter les légères imperfections, les microfissures, les traces laissées par un coup de pinceau un peu trop appuyé et
quelques affadissements de la peinture dus à de trop longues expositions aux rayons du soleil.
Martenchon venait de se servir une troisième et dernière tasse de café quand, portant sa drogue préférée à mi-hauteur de son visage pour le déguster, il aperçut le
regard fixe et vague de son ami.
« Tu me fais l’impression du croyant qui a une vision » le moqua-t-il.
Mélinez détourna le regard du mur pour fixer maintenant le visage
de Martenchon.
Puis, comme s’il se réveillait d’un lourd et difficultueux sommeil, il lança : « Je me demande si, malgré tout, la démocratie n’est pas un rêve infantile
plutôt que le projet d’une société adulte ».
Martenchon n’avait pas prévu ce coup-là et se trouva coi pendant quelques secondes.
Mélinez n’attendit pas que son ami fut remis de son émotion et
poursuivit:
« Au fur et à mesure que le temps de l’histoire et de la politique se déroule, l’esprit démocratique semble s’affaiblir, se trouve repoussé dans des caves
humides ou des greniers étouffants ».
Martenchon qui s’était remis répliqua « Pourtant, les réseaux donnent
aux citoyens la possibilité de participer au débat…
Mélinez s’exclama « Justement, la démocratie se meurt des
réseaux : on n’y participe pas à des débats mais à des curées. On ne vient pas échanger mais combattre. Les débats n’ont plus d’autre chaleur que celle des
bûchers ».
Martenchon, fit de la résistance : « Mais, il est des pays qui se
battent pour la démocratie… »
Mélinez, sinistre, l’interrompit : « Certains groupes se
battent pour leurs intérêts qu’ils badigeonnent du beau nom de démocratie. En vérité, la plupart s’en éloignent, revenant à des années antérieures, quand les
dictatures simplifiaient les débats ».
Martenchon, sous le choc, laissa aller une pensée attristée : « Tu
veux dire qu’entre la démocratie riche de ses débats et les dictatures où il n’y en a pas… »
Mélinez acheva la phrase de son ami : « on préfère une vie
simple et bien réglée à une vie faite de mouvements, d’allers et de retour, de concessions et d’échanges, de propositions et d’oppositions. Une vie où le pouvoir
et/ou l’argent restent solidement entre les mains de quelques-uns. La démocratie n’est finalement qu’une technique vicieuse déployée pour déposséder les puissants
sans qu’on soit assuré que les nouveaux élus aient quelques mérites à l’être. »
Martenchon, effondré : « Mais, nos idéaux, le progrès, la
liberté, tout ce en quoi nous croyons… »
Mélinez mit un point final : « ils nous disent qu’il faut
savoir évoluer, changer et ne pas laisser les pensées s’incruster. On revient donc aux douces simplifications d’autrefois. »
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