Le temps printanier incitait à la promenade. A
deux pas de leur résidence, une fois par semaine, se tenait un marché découvert, célèbre pour la richesse de ses étals et la diversité des produits.
Mélinez, pourtant charmé par ces déballages alimentaires et les plaisirs de la table qu’ils annonçaient, ne put s’empêcher d’émettre un regret.
« Les prix, dit-il, les prix ne cessent d’augmenter ! ». Il ajouta que l’inflation n’était pas loin d’être galopante : il avait suivi une
émission sur ce sujet. Marie-Caroline, célèbre micro-trottoireuse avait questionné des consommateurs sur le lieu de vente même. Tous, lui avait dit leur inquiétude
devant la hausse des prix des denrées alimentaires.
« Le pain, par exemple, mademoiselle, le pain, c’est une honte ! Des jours sans pain parce qu’il est trop cher ? On reviendrait à l’âge de
pierre !». Marie-Caroline avait opiné (mais elle n’avait pas de bonnet).
Un peu plus loin, Marie-Caroline, avait recueilli des propos sévères sur le prix de la viande. Son interlocuteur avait vigoureusement conclu : « elle
serait belle la France si, on ne pouvait plus gagner son beefsteak !».
« Et les fruits ? entendit-elle, les avocats, les ananas, les mangues tous ces fruits exotiques auxquels on s’est habitué, faudra-t-il s’en
passer ?» …
Et ainsi de suite. Mélinez en avait été tout retourné. Le plaisir de la promenade au milieu des produits laitiers, des côtelettes d’agneau, des fruits de saison
venus de l’hémisphère sud, s’en trouvait gâché. Sur les étals, il ne voyait plus de futurs repas succulents mais des étiquettes en folie lancées dans une valse à
10 temps que Brel n’aurait pas désavouée.
Pendant ce temps, Martenchon était resté coi, l’air renfrogné.
Soudain, il s’exclama.
« Il y a quelque chose que je ne comprends pas : par exemple, est-il si important que le prix du pain dérive vers le haut puisque sa consommation ne
cesse de s’enfoncer vers le bas ? Nos concitoyens consomment 120 g de pain par jour, soit trois fois moins qu’en 1950. Tous les ans, 58 kg de pain sont
dévorés par chaque français, mais 328 kg en 1900 ».
Mélinez, interloqué, lança : « Ca ne retire pas que les prix
sont en hausse ».
Martenchon : « Réfléchis un peu, même la viande est touchée, et
je ne parle pas du vin, des légumes secs, des pommes de terre… ».
Mélinez gémit : « Mais, les gens que
Marie-Caroline… ».
Martenchon le coupa brutalement : « Ils sont comme
tous les gens à qui on veut faire dire ce que les téléspectateurs veulent entendre… et ils en font des tonnes. Penses-tu une seule seconde que Marie-Caroline
aurait retenu les propos de gens totalement indifférents au prix du pain, du vin et des fruits secs au motif qu’ils en mangent de moins en
moins ».
Mélinez, effondré, murmurait : « Alors, on ne
doit pas croire… ».
Martenchon pensif laissa aller son humeur : « Si, on
peut croire les micro-trottoirs sur le prix du whisky par exemple. Il a vraiment beaucoup augmenté. »
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